Usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires en première ligne
- le problème de la résistance;
- la durée du traitement antibiotique;
- la nouvelle édition du guide des antibiotiques pour la pratique ambulatoire de BAPCOC (2019) et quelques e-learning recommandés par la BAPCOC;
- quelques infos intéressantes (publications récentes sur les antibiotiques et les infections des voies respiratoires).
Problème de la résistance
- Les bactéries multirésistantes aux antibiotiques (MDRO) constituent un défi pour tout professionnel de la santé. Dans un rapport (2019), le CSS fournit des outils pour limiter la transmission des MDRO dans les institutions de soins.
- Dans un rapport (2019), le KCE formule 21 recommandations pour une politique antibiotique plus rationnelle en Belgique. Le rapport plaide notamment en faveur d’une meilleure disponibilité d’anciens antibiotiques et de l’optimisation des modalités pratiques de la délivrance fractionnée dans les pharmacies publiques.
La Commission belge de coordination de la politique antibiotique (BAPCOC) a été créée en 1999 en réponse à la forte utilisation des antibiotiques. Des efforts importants ont été déployés depuis, en vue d’une politique antibiotique plus rationnelle, tant dans le secteur humain que dans le secteur vétérinaire (dans ce dernier cas, notamment sous les auspices de l’AMCRA, le Centre de connaissances belge concernant l’utilisation des antibiotiques et l’antibiorésistance chez les animaux1). Toutefois, la situation reste grave en ce qui concerne le problème de la résistance.
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L’émergence rapide de germes multirésistants (Multi Drug Resistant Organisms ou MDRO) constitue une menace générale pour la santé publique, et ce à l’échelle mondiale. Les MDRO constituent un groupe hétérogène de bactéries. Ils ont en commun qu’au fil des ans, par un usage excessif d’antibiotiques, ils ont développé une résistance aux principales classes d’antibiotiques.
Les MDRO considérés comme pertinents pour la situation belge en 2019: les MRSA; S. aureus non sensible aux glycopeptides; Enterococcus faecium et E. faecalis résistants à la vancomycine (VRE); les entérobactéries productrices de β-lactamases à spectre étendu (ESBL); les entérobactéries productrices de carbapénèmases (CPE); P. aeruginosa multirésistant (MDR Pa); A. baumannii multirésistant (MDR Ab).2
Les mesures de contrôle de la transmission des MDRO (l’hygiène des mains étant l’une des plus importantes) sont impératives pour les personnes sensibles (p.ex. en raison d’un affaiblissement, de plaies). Ces mesures, ainsi qu’une politique rationnelle de prescription d’antibiotiques, sont des piliers importants dans la lutte contre les MDRO. Dans un rapport (CSS n°9277, avril 2019)2, le Conseil Supérieur de la Santé (CSS) fournit quelques outils pratiques pour limiter la transmission des MDRO dans les institutions de soins. Les MDRO ne se limitent certainement pas aux institutions de soins et émergent de plus en plus dans la communauté. Chaque professionnel de la santé a donc un rôle essentiel dans le contrôle de la propagation.
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Dans un rapport (KCE Reports 311A, 2019)3, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) a formulé 21 recommandations pour améliorer la politique actuelle en matière d’antibiotiques. Le rapport appelle notamment à améliorer la coopération entre les différents acteurs (approche “One Health”), à renforcer les programmes de gestion de l’utilisation des antimicrobiens, à investir dans les formations et à améliorer la disponibilité d’anciens antibiotiques : nous pensons à la phénoxyméthylpénicilline (Peni-Oral®), qui a été supprimée en mai 2019, et à l’amoxicilline pour utilisation i.m. et i.v. (Clamoxyl®), qui n’est actuellement disponible que de manière limitée. Le KCE préconise en outre que soient optimisées, dans le secteur ambulatoire, les modalités pratiques de la délivrance fractionnée, c’est-à-dire la délivrance du nombre exact de comprimés nécessaires pour la cure d’antibiotiques prescrite. Souvent, les tailles de conditionnement ne sont pas adaptées à la durée de traitement prescrite. Cela augmente le risque que les patients consomment le contenu de toute la boîte (et prennent donc plus de comprimés que la quantité prescrite), que les patients conservent leurs comprimés restants et les prennent plus tard en automédication, ou que l’excédent d’antibiotiques aboutisse dans l’environnement.4 En Belgique, depuis 2006, les pharmaciens dans une officine ouverte au public sont autorisés à délivrer en fractions sous certaines conditions (par exemple si aucun conditionnement adapté à la durée du traitement n’est disponible). Toutefois, avant que cela ne soit réalisable de manière optimale dans la pratique, certaines modalités pratiques doivent encore être réglées, notamment en ce qui concerne le prix et le remboursement. Ainsi, le patient paie actuellement le conditionnement complet même s’il est fractionné (situation au 01/09/2019).
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Selon les auteurs d’une Perspective dans The New Engl J Med , le modèle économique actuel pour le développement de nouveaux antibiotiques, qui est pourtant l’un des piliers de la lutte contre la résistance aux antibiotiques, est un échec. Ils préconisent un modèle dans lequel les antibiotiques seraient développés par des organismes sans but lucratif. Cela devrait notamment permettre que les faibles chiffres de vente prévus n’entravent pas le développement et que l’utilisation de l’antibiotique soit contrôlée efficacement après sa commercialisation.5
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Sur www.antibioticguardian.com/french/, une initiative de Public Health England soutenue par la BAPCOC, tout le monde, y compris les citoyens, est invité à s’engager pour aider à combattre la résistance aux antibiotiques.
Durée de l’antibiothérapie
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Comme nous le mentionnions déjà dans les Folia d’octobre 2017, la durée optimale d’un traitement antibiotique n’est souvent pas connue. Il en résulte que les recommandations sur la durée de traitement varient parfois d’un organisme à l’autre (national ou international). Une période de traitement trop longue n’offre aucun bénéfice en termes d’efficacité, tout en augmentant le risque d’effets indésirables et de développement de résistance.4
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Selon une étude britannique6 en contexte ambulatoire (période 2013-2015), la surconsommation d’antibiotiques s’explique en grande partie par les traitements de trop longue durée (c’est-à-dire plus longs que ceux recommandés dans les directives). Dans cette étude, une durée de traitement plus longue que celle recommandée a été constatée dans le cas des infections des voies respiratoires surtout, mais pas seulement. Dans plus de 80% des prescriptions pour des cas de toux aiguë et de bronchite aiguë, de mal de gorge aigu, d’otite moyenne aiguë et d’exacerbation aiguë de BPCO, la durée de traitement prescrite était de 2 à 3 jours plus longue que celle recommandée (valeur médiane). Les résultats étaient comparables chez les adultes et les enfants, et la comorbidité n’affectait pas les résultats. On a calculé de manière générale (c.-à-d. pour toutes les indications), que si la durée de traitement recommandée dans les directives actuelles du NICE était respectée, le temps d’utilisation des antibiotiques serait réduit de 14 jours par 10 prescriptions. Le but de cette étude n’était pas d’examiner si les antibiotiques avaient été prescrits de manière justifiée. Il est probable que pour un certain nombre d’infections (des voies respiratoires), les antibiotiques n’étaient pas vraiment indispensables et que le nombre de jours d’utilisation inutile d’antibiotiques était donc encore beaucoup plus élevé.
Nouvelle édition du guide des antibiotiques (pratique ambulatoire) de BAPCOC, et e-learning
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En 2019 encore, la BAPCOC prévoit une nouvelle édition du "Guide belge des traitements anti-infectieux dans la pratique ambulatoire". Nous y reviendrons plus en détail lorsque le guide sera publié.
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Les e-learning "Moins d’antibiotiques en toute sécurité" et "GRACE INTRO" (suite de "Moins d’antibiotiques en toute sécurité") peuvent aider les médecins généralistes à prescrire en toute sécurité moins d’antibiotiques aux adultes (soutenu par la BAPCOC entre autres; groupe cible: médecins généralistes; via www.e-learninghealth.be). La formation en ligne "Hygiène des mains" peut aider les prestataires de soins à réduire le risque de transmission de micro-organismes par une bonne hygiène des mains (soutenu par la BAPCOC entre autres; groupe cible: prestataires de soins; via www.e-learninghealth.be).
Quelques infos intéressantes (publications récentes sur les antibiotiques et les infections des voies respiratoires)
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Le terme utilisé pour qualifier une infection des voies respiratoires semble influencer le médecin dans sa décision de prescrire ou non un antibiotique. C’est le cas par exemple de la sinusite: dans une étude américaine, les médecins qui avaient le plus souvent prescrit des antibiotiques pour diverses infections des voies respiratoires, avaient plus fréquemment qualifié l’infection de "sinusite" que les médecins qui avaient prescrit le moins d’antibiotiques (59% contre 35%). L’auteur d’un commentaire dans le NEJM Journal Watch résume l’étude comme suit: “I’m calling it sinusitis. Here’s your antibiotic!”.7
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Selon l’auteur d’un commentaire dans le Nederlands Tijdschrift voor Geneeskunde, on peut s’interroger sur le bénéfice que représentent pour le médecin généraliste les méthodes de diagnostic spécifiques axées sur l’étiologie. L’auteur doute que le fait de connaître l’agent pathogène spécifique contribuera à une meilleure prise en charge, par exemple, du patient présentant un toux aiguë chez qui une infection des voies respiratoires inférieures est suspectée. Selon l’auteur, il s’agit plutôt de faire la distinction entre les infections sévères (pneumonie) et non sévères des voies respiratoires inférieures, quel que soit le pathogène éventuel. Il rejoint en cela la NHG-standaard "Acuut hoesten". L’auteur conclut comme suit: Dans la pratique, l’examen des infections des voies respiratoires inférieures en première ligne se résume souvent à une consultation consciencieuse et à l’évaluation personnelle de la situation, jugée comme inquiétante ou non. Un diagnostic structurel de l’agent pathogène est alors rarement nécessaire.8
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Un article paru dans La Revue Prescrire (2019)9 discute de l’approche en première ligne de la bronchite aiguë chez l’adulte. On y souligne que ce qui importe, chez un patient qui tousse, c’est d’exclure une pneumonie. Dans la bronchite aiguë, le bénéfice des antibiotiques est marginal (par exemple, réduction de la durée de la toux de tout au plus une demi-journée), et il n’est généralement pas recommandé de les utiliser [voir aussi “Antibiotiques en cas de bronchite aiguë non compliquée?” dans les Folia d’octobre 2017].
Chez un patient atteint d’une infection aiguë des voies respiratoires pour laquelle des antibiotiques ne sont pas indiqués, une bonne stratégie consiste à ne pas remettre de prescription au patient et à lui demander de revenir en l’absence d’amélioration dans le délai attendu ou en cas d’aggravation des symptômes. Une autre stratégie est celle de la "prescription différée" (c.-à-d. la remise d’une prescription à n’utiliser qu’en l’absence d’amélioration dans le délai attendu ou en cas d’aggravation des symptômes): cette stratégie permet de diminuer l’anxiété éventuelle du médecin et du patient de passer à côté d’une infection potentiellement sévère, mais laisse supposer à tort que les antibiotiques sont efficaces dans de telles affections [voir aussi Folia d’octobre 2014 et d’octobre 2016]. -
La prise d’antibiotiques sans prescription est fréquente aux Etats-Unis.10 Ceci s’explique notamment par l’accès aux antibiotiques par l’intermédiaire de connaissances ou de la famille du patient, qui rapportent des antibiotiques de pays où ils sont en vente libre. Cette pratique semble aussi exister chez nous.
Sources spécifiques
1 Voir entre autres le rapport de l’AMCRA “Activités et réalisations relatives à la réduction de l’utilisation d’antibiotiques et de l’antibiorésistance chez les animaux en Belgique en 2018”, avec discussion sur le site Web de la section vétérinaire du CBIP (communiqué du 16/07/2019).
2 Conseil Supérieur de la Santé. Recommandations en matière de prévention, maîtrise et prise en charge des patients porteurs de bactéries multi-résistantes aux antibiotiques (MDRO) dans les institutions de soins (CSS-9277, avril 2019). Via https://www.health.belgium.be/fr/avis-9277-mdro-0
3 Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE). Propositions pour une politique antibiotique plus efficace en Belgique. KCE Reports 311A (2019). Via https://kce.fgov.be/fr/propositions-pour-une-politique-antibiotique-plus-efficace-en-belgique
4 Wilson HL, Daveson K, Del Mar CB. Optimal antimicrobial duration for common bacterial infections. Aust Prescr 2019;42:5-9 (https://doi.org/10.18773/austprescr.2019.001), avec un éditorial “Does size matter? Addressing pack size and antibiotic duration.” dans Aust Precr 2019;42:2-3 (https://doi.org/10.18773/austprescr.2019.005)
5 Nielsen TB et al. Sustainable Discovery and Development of Antibiotics - Is a Nonprofit Approach the future? Perspective. New Engl J Med June 19, 2019 (doi: 10.1056/NEJMp1905589)
6 Pouwels KB, Hopkins S, Llewelyn MJ et al. Duration of antibiotic treatment for common infections in English primary care: cross sectional analysis and comparison with guidelines. BMJ 2019;364:l440 (http://dx.doi.org/10.1136/bmj.l440), avec éditorial dans BMJ 2019;364:l780 (doi: 10.1136/bmj.l780). Voir aussi la discussion dans NICE “Medicines Evidence Commentary” (17/06/19)
7 Martinez KA et al. Coding bias in respiratory tract infections may obscure inappropriate antibiotic use. J Gen Intern Med 2019;806-8 (10.1007/s11606-018-4823-x), avec commentaire dans NEJM Journal Watch (13/06/2019)
8 Hopstaken RM. Onderste-luchtweginfecties uitgeplozen. Commentaar. Ned Tijdschr Geneeskd 2019;163:D3102
9 Premiers Choix Prescrire. Bronchite aiguë chez un adulte. L’essentiel sur les soins de premier choix. Actualisation mai 2019.
10 Grigoryan etal. Use of Antibiotics Without a Prescription in the U.S. Population. A scoping Review. Ann Intern Med doi : 10.7326/M19-0505 (en ligne le 23/07/19)