Données insuffisantes pour démontrer l’effet bénéfique des suppléments d’acides gras polyinsaturés sur la mortalité et la morbidité cardiovasculaires
Deux études de grande envergure, publiées fin 2018, sur les suppléments d’acides gras oméga-3 (combinaison d’acide eicosapentaénoïque (EPA) et d’acide docosahexaénoïque (DHA)) dans la prévention primaire des maladies cardiovasculaires n’ont démontré aucun avantage des suppléments d’acides gras oméga-3 par rapport au placebo. Dans une troisième étude, portant sur une population présentant un risque cardiovasculaire plus élevé, une monopréparation contenant un dérivé de l’EPA à dose plus élevée (icosapent éthyl, non disponible en Belgique) a toutefois montré un avantage statistiquement significatif par rapport au placebo sur la mortalité et la morbidité cardiovasculaires. Cela s’est fait au prix d’une augmentation légèrement non significative des hémorragies graves et d’une incidence significativement plus élevée de nouvelles fibrillations auriculaires dans le groupe traité avec le supplément d’acides gras oméga-3. La mortalité totale n’a pas été influencée.
Trois Cochrane Reviews sur respectivement les acides gras oméga-3, les acides gras oméga-6 et les acides gras polyinsaturés en général n’ont trouvé aucune preuve d’un effet bénéfique des acides gras polyinsaturés dans la prévention des maladies cardiovasculaires.
D’après les données actuellement disponibles, les suppléments d’acides gras polyinsaturés n’ont pas leur place dans la prévention primaire et secondaire des maladies cardiovasculaires.
Un apport accru en acides gras polyinsaturés (y compris les acides gras oméga-3 et oméga-6) a un effet bénéfique sur le profil lipidique dans le sang. Les experts et les directives recommandent la consommation d’acides gras polyinsaturés pour la prévention des maladies cardiovasculaires. Ils précisent rarement si cette prise doit se faire uniquement par le biais de l’alimentation ou également par le biais de suppléments. Quelques études anciennes sur les suppléments d’acides gras oméga-3 ont constaté un bénéfice limité sur des critères d’évaluation forts dans des populations spécifiques (après un infarctus du myocarde, chez des patients souffrant d’insuffisance cardiaque), mais cela n’a pas pu être confirmé dans des études et méta-analyses plus récentes (voir Folia juin 2013). En décembre 2018, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a donc décidé que les médicaments à base d’acides gras oméga-3 ne peuvent plus être considérés comme efficaces dans la prévention secondaire des maladies cardiovasculaires après un infarctus du myocarde (décision confirmée en mars 2019 après réexamen à la demande de certains fabricants).1
Nouvelles études
Fin 2018, deux nouvelles grandes études randomisées, en double aveugle, contrôlées par placebo, avec des suppléments d’acides gras oméga-3 de composition identique à la seule préparation enregistrée en tant que médicament en Belgique (Omacor®: 1 g d’acides gras oméga-3 dont 460 mg d’acide eicosapentaénoïque (EPA) et 340 mg d’acide docosahexaénoïque (DHA), à prendre une fois par jour), ont été publiées. Elles ne montrent pas d’avantage des suppléments d’acides gras oméga-3 par rapport au placebo dans la prévention primaire des maladies cardiovasculaires dans la population générale (étude VITAL)2 ou chez des personnes diabétiques (étude ASCEND)3.
Une troisième étude randomisée en double aveugle et contrôlée par placebo4 a été menée auprès d’une population présentant un risque cardiovasculaire plus élevé (patients atteints de maladies cardiovasculaires existantes (70% de la population étudiée) ou patients diabétiques présentant des facteurs de risque cardiovasculaire supplémentaires), déjà sous traitement par statine. Une préparation à dose plus élevée contenant uniquement un dérivé de l’EPA (2 g d’icosapent éthyl (Vascepa®), 2 fois par jour, non disponible en Belgique) a démontré un avantage statistiquement significatif par rapport au placebo sur un critère d’évaluation primaire composé de mortalité et de morbidité cardiovasculaires (réduction absolue du risque de 4,8% ; NNT: 21 sur une durée d’étude moyenne de 4,9 années). La mortalité totale n’a pas été influencée. On a observé une augmentation légèrement non significative des saignements majeurs (2,7% dans le groupe icosapent éthyl contre 2,1% dans le groupe placebo, p = 0,06) et une augmentation significative des hospitalisations pour fibrillation auriculaire et flutter auriculaire nouvellement apparus (NNH 100 sur une durée d’étude moyenne de 4,9 ans) dans le groupe traité avec le supplément en acides gras oméga-3 par rapport au groupe placebo. L’utilisation d’huile minérale comme placebo pourrait avoir eu une influence négative sur l’absorption de médicaments et sur le profil lipidique dans le groupe placebo et pourrait avoir légèrement faussé les résultats de l’étude en faveur de l’icosapent éthyl5.
Trois Cochrane Reviews sur respectivement les acides gras oméga-36, les acides gras oméga-67 et les acides gras polyinsaturés en général8 (principalement sous forme de suppléments, mais aussi par l’alimentation) n’ont révélé, fin 2018, aucun effet bénéfique de ces acides gras polyinsaturés dans la prévention primaire et secondaire des maladies cardiovasculaires. Cependant, les études incluses ont montré une hétérogénéité importante en termes de population étudiée, et la plupart des études étaient de courte durée (voir aussi la discussion détaillée dans Minerva9).
Avis du CBIP
Des études randomisées ne fournissent que peu de preuves d’un effet bénéfique d’un apport accru en acides gras polyinsaturés sur la mortalité et la morbidité cardiovasculaires. La plupart des études ont été menées avec des suppléments d’acides gras polyinsaturés. Il n’est pas facile d’étudier l’augmentation de l’apport alimentaire. Etant donné que certains acides gras oméga-3 sont des acides gras essentiels (ne pouvant pas être produits par le corps lui-même) et qu’il existe des indices que leur apport par le Belge moyen est trop faible, les conseils alimentaires concernant l’apport en acides gras polyinsaturés restent maintenus.
En ce qui concerne les suppléments, la position du CBIP reste inchangée: sur la base des données actuellement disponibles, les suppléments d’acides gras polyinsaturés actuellement disponibles en Belgique n’ont pas leur place dans la prévention primaire et secondaire des maladies cardiovasculaires. D’autres études sont nécessaires pour déterminer l’efficacité et l’innocuité des préparations à doses plus élevées, comme celles à base d’icosapent éthyl, et leur place dans la prévention cardiovasculaire.
Sources spécifiques
1 European Medicines Agency. EMA confirms omega-3 fatty acid medecines are not effective in preventing further heart problems after a heart attack. Via: https://www.ema.europa.eu/en/medicines/human/referrals/omega-3-fatty-acid-medicines (Last updated: 29/03/2019).
2 Manson JE, Cook NR, Lee IM, Christen W, Bassuk SS et al. Marine n-3 fatty acids and prevention of cardiovascular disease and cancer. N Engl J Med 2019;380:23-32. doi: 10.1056/NEJMoa1811403
3 Bowman L, Matham M, Wallendszus K, Stevens W, Buck G et al. Effects of n-3 fatty acid supplements in diabetes mellitus. N Engl J Med 2018;379:1540-50. doi: 10.1056/NEJMoa1804989
4 Bhatt DL, Steg G, Miller M, Brinton EA, Jacobson TA et al. Cardiovascular risk reduction with icosapent ethyl for hypertriglyceridemia. N Engl J Med 2019;380:11-22. doi: 10.1056/NEJMoa1812792
5 Kastelein JJP, Stroes ESG. FISHing for the miracle of eicosapentaenoic acid. N Engl J Med 2019;380:89-90. doi: 10.1056/NEJMe1814004
6 Abdelhamid AS, Brown TJ, Brainard JS, Biswas P, Thorpe GS et al. Omega-3 fatty acids for the primary and secondary prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2018, Issue 11. Art. No.: CD003177. doi: 10.1002/14651858.CD003177.pub4
7 Hooper L, Al-Khudairy L, Abdelhamid AS, Rees K, Brainard JS et al. Omega-6 fats for the primary and secondary prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2018, Issue 11. Art. No.: CD011094. doi: 10.1002/14651858.CD011094.pub4
8 Abdelhamid AS, Martin N, Bridges C, Brainard JS, Wang X et al. Polyunsaturated fatty acids for the primary and secondary prevention of cardiovascular disease. Cochrane Database Syst Rev 2018, Issue 11. Art. No.: CD012345. doi: 10.1002/14651858.CD012345.pub3
9 Claus B, Laekeman G. L’importance des acides gras polyinsaturés (oméga 3 et oméga 6) dans la prévention des affections cardiovasculaires : faits et mythes. Minerva 2019;18:24-6. http://www.minerva-ebm.be/FR/Analysis/594