Le nouveau rapport de consensus ADA/EASD sur la prise en charge du diabète de type 2 propose des modifications importantes sur l’échiquier thérapeutique
Le CBIP est d’avis que:
- la formulation utilisée dans ce rapport de consensus impose au prestataire de soins une interprétation difficile. Quelles sont les molécules qui ont réellement prouvé un bénéfice cardio-vasculaire et/ou rénal?
- le design des études de sécurité cardio-vasculaire limite la portée de leurs résultats, même sur les critères d’évaluation cardio-vasculaires primaires. Sans compter que ces études sont relativement courtes (3-4 ans) et menées dans des populations sélectionnées.
- Le bénéfice sur les évènements cardio-vasculaires majeurs semble se limiter, pour les gliflozines, aux patients avec antécédents cardio-vasculaires (avec l’empagliflozine et la canagliflozine). Pour les analogues du GLP-1, ce bénéfice n’est montré que pour 2 des 5 molécules évaluées (liraglutide et albiglutide).
- Le bénéfice rénal n’est pas formellement prouvé à ce stade, pour aucune des 2 classes thérapeutiques, même si les données sont encourageantes.
- Les arguments à propos du remplacement de l’insuline par les analogues du GLP-1 comme premier médicament injectable sont, pour la plupart, recevables, mais la question de l’impact de cette mesure sur le coût du traitement doit être prise en considération.
- Il ne faut pas oublier les risques associés à ces molécules. Pour les gliflozines en particulier, le risque d’amputation et celui d’acidocétose diabétique, font toujours l’objet d’un suivi rapproché. Récemment, une notification d’effets indésirables rares mais sévères, évoque un risque de gangrène de Fournier associé à l’usage des gliflozines.2
L’American Diabetes Association (ADA) et la European Association for the study of diabetes (EASD) ont publié un rapport de consensus à propos de la prise en charge de l’hyperglycémie dans le diabète de type 21. Les modifications importantes, motivées principalement par les résultats issus des études de sécurité cardio-vasculaire publiées entre 2013 et 2017, peuvent être résumées comme suit.
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Chez les patients avec antécédents cardio-vasculaires avérés, les médicaments de seconde intention (après que la metformine soit devenue insuffisante) deviennent les gliflozines (appelées aussi inhibiteurs du SGLT-2) ou les analogues du GLP1 (appelés aussi incrétinomimétiques) "qui ont prouvé un bénéfice cardio-vasculaire" (sic).
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Chez les patients avec néphropathie ou insuffisance cardiaque, les gliflozines (inhibiteurs du SGLT-2) "avec un bénéfice prouvé" (sic) sont recommandées.
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Les analogues du GLP-1 (incrétinomimétiques) deviennent les premiers médicaments injectables recommandés, avant l’insuline.
La formulation utilisée impose au prestataire de soin une interprétation difficile.
Qu’entend-on par "qui ont prouvé un bénéfice cardio-vasculaire” ?
Dans le rapport de consensus ADA/EASD1 , on précise qu'une molécule "avec bénéfice cardio-vasculaire prouvé" signifie qu’elle a, dans sa notice, l’indication de réduction des événements cardio-vasculaires. En ce qui concerne les gliflozines, l’Agence européenne des médicaments (EMA) n’a pas suivi la Food and Drugs Administration (FDA) [voir Folia de avril 2017]. Les RCP européens de l’empagliflozine et de la canagliflozine ne formulent pas clairement un bénéfice : on ne fait que renvoyer le lecteur à la section où sont présentés les résultats des études cliniques. Aucun analogue du GLP-1 n’a la prévention cardio-vasculaire dans ses indications. On mentionne également dans ce rapport de consensus, que les modifications proposées sont motivées principalement par les résultats issus des études de sécurité cardio-vasculaire.
Le CBIP a déjà maintes fois souligné ses réserves à propos du design des études de sécurité cardio-vasculaire, non conçues initialement pour démontrer un bénéfice, mais bien pour rassurer quant à l’innocuité des nouvelles molécules dans le diabète. Un résultat issu d’études conçues avec ce design hiérarchique (d’abord on démontre la non-infériorité, et ensuite, la supériorité) n’aura jamais autant de valeur qu’un résultat issu d’études conçues d’emblée avec un design de supériorité. Une étude de non-infériorité nécessite moins de patients et des durées de suivi plus courtes. Extraire les données de ces études de non-infériorité, dans un second temps, pour réaliser une étude de supériorité, atténue de facto la puissance du résultat obtenu.
Quels sont les résultats des études de sécurité cardio-vasculaire concernant les gliflozines?
Le rapport de consensus ADA/EASD1 a établi que le bénéfice cardio-vasculaire est prouvé pour l’empagliflozine et la canagliflozine et que les preuves sont modestement plus solides pour l’empagliflozine que pour la canagliflozine.
Le CBIP a déjà formulé des commentaires à propos de EMPA-REG3 et CANVAS4, études ayant évalué ces 2 molécules [voir Folia novembre 2015, février 2017, août 2017 et octobre 2017]. En dehors des réserves liées à leur design, l’empagliflozine et la canagliflozine ont en effet montré un bénéfice sur le critère primaire combiné composé des décès d’origine cardio-vasculaire, des infarctus et des AVC non fatals, dans des populations de patients diabétiques majoritairement avec antécédents cardio-vasculaires.
Les résultats issus de DECLARE-TIMI5 , publiés après le rapport de consensus, avec la dapagliflozine, où moins de patients ont des antécédents cardio-vasculaires et aucun ne souffre d’insuffisance rénale, ne montrent pas de bénéfice sur ce même critère primaire combiné décrit ci-dessus [voir Folia mars 2019].
Une méta-analyse12 a évalué l’effet des gliflozines sur des critères d’évaluation cardio-vasculaires (et rénaux, voir plus loin) dans le diabète de type 2, en prévention primaire et secondaire. Les résultats montrent un bénéfice modéré des gliflozines sur le risque d’événements cardio-vasculaires majeurs, mais uniquement en prévention secondaire. Le risque combiné d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque et de décès cardio-vasculaires diminue également.
- Méta-analyse ayant inclus uniquement les données des 3 études de sécurité cardio-vasculaire (EMPA-REG3, CANVAS4 et DECLARE-TIMI5 ; n=34.322).
- Les gliflozines ont réduit le nombre d’évènements cardio-vasculaires majeurs de 11% (HR=0,89 ; IC à 95% 0,83 à 0,96 ; p=0,0014). Lorsque l’on évalue l’effet en fonction de la présence ou de l’absence d’antécédents cardio-vasculaires, celui-ci n’est significatif qu’en prévention secondaire.
- Les gliflozines ont réduit le risque combiné de décès d’origine cardio-vasculaire et d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque de 23% (HR=0,77 ; IC à 95% 0,71 à 0,84 ; p<0,0001). Il n’y a pas d’analyse séparée pour ces 2 critères. Il est probable que le bénéfice est ici principalement guidé par le bénéfice sur l’insuffisance cardiaque en lien avec l’effet diurétique associé à ces molécules.
Il est probable que c’est parce que le bénéfice cardio-vasculaire absolu est limité qu’il n’est significatif que chez les patients à risque le plus élevé, à savoir les patients diabétiques avec antécédents cardio-vasculaires.
Quels sont les résultats des études de sécurité cardio-vasculaire concernant les analogues du GLP-1?
Les auteurs du rapport de consensus ADA/EASD mentionnent que les preuves sont "les plus solides" pour le liraglutide, qu’elles sont "favorables" pour le sémaglutide, "moins certaines" pour l’exénatide hebdomadaire et qu’il n’y a pas de preuve d’un bénéfice avec le lixisénatide. L’analyse par le CBIP des résultats de ces études diffère: outre les réserves déjà décrites liées au design, la supériorité n’est prouvée que pour le liraglutide (et l’albiglutide, étude publiée après la parution de ce consensus).
- Le critère d’évaluation primaire de ces études est toujours un critère combiné, composé au moins des décès d’origine cardio-vasculaire, des infarctus et des AVC non mortels.
- Les populations incluses sont également sélectionnées pour leur risque cardio-vasculaire élevé (majoritairement avec antécédents cardio-vasculaires et 20 à 25% d’entre eux présentent une insuffisance rénale).
- Parmi les 4 études évaluées dans ce rapport de consensus ADA/EASD, la seule qui a montré un bénéfice statistiquement significatif quant à la supériorité sur le critère d’évaluation primaire est l’étude LEADER7 (avec le liraglutide) [voir Folia février 2017].
- Les auteurs de l’étude SUSTAIN8 (avec le sémaglutide) mentionnent que la puissance de leur étude est insuffisante pour pouvoir démontrer la supériorité de la molécule. Malgré cette constatation importante, les résultats de l'analyse de supériorité, qui sont statistiquement significatifs mais méthodologiquement peu fiables, ont néanmoins été publiés et commentés en faveur du sémaglutide.
- L’étude EXSCEL9 n’a pas atteint la significativité statistique pour démontrer la supériorité de l’exénatide hebdomadaire sur le critère d’évaluation primaire. C’est également le cas dans l’étude ELIXA6 avec le lixisénatide.
- L’étude HARMONY10 (évaluant l’albiglutide), publiée en octobre 2018 et non évaluée dans ce rapport de consensus ADA/EASD, a également montré un bénéfice statistiquement significatif quant à la supériorité sur le critère d’évaluation primaire combiné composé des décès d’origine cardio-vasculaire, des infarctus et des AVC non mortels. Curieusement, l’albiglutide a été retirée du marché en septembre 2018 par son fabricant pour des raisons commerciales.
Il n’est pas clair à ce stade de savoir si la différence de bénéfice entre les molécules de la classe sont attribuables à des différences entre les groupes étudiés, ou à des différences intrinsèques entre les molécules11.
Y a-t-il un bénéfice rénal prouvé avec les gliflozines et/ou les analogues du GLP-1?
Dans l’ensemble des études de sécurité cardio-vasculaire publiées à ce jour, l’analyse sur des critères d’évaluation rénaux, est toujours une analyse secondaire, uniquement génératrice d’hypothèses. Aucune preuve ne peut être déduite de ces résultats. En ce qui concerne les gliflozines, le bénéfice sur ce critère secondaire qui se répète dans les 3 études réalisées, est prometteur. Avec les analogues du GLP-1, il n’y a eu des évaluations sur des critères rénaux qu’avec le liraglutide et le sémaglutide et ces analyses montrent également un bénéfice.
La méta-analyse12 décrite ci-dessus, ayant évalué les gliflozines sur des critères d’évaluation cardio-vasculaires et rénaux en prévention primaire et secondaire dans le diabète de type 2, montre un bénéfice important des gliflozines sur la progression de la néphropathie.
Le CBIP est d’avis que le choix de sélectionner uniquement les données issues des 3 études de sécurité cardio-vasculaire, à l’exclusion de toutes les autres, pour évaluer l’effet rénal des gliflozines, pose question et ne permet pas de conclure de façon formelle à un bénéfice rénal des gliflozines.
- Il semble curieux de se limiter aux études de sécurité cardio-vasculaire, en particulier lorsqu’il s’agit d’évaluer le bénéfice rénal des gliflozines. Lorsque l’on se penche sur la méthodologie de sélection des études pour cette méta-analyse, des 175 citations initialement identifiées, 109 sont exclues du simple fait qu’elles ne sont pas des études de sécurité cardio-vasculaire. Il est manifeste que le but principal des auteurs de la méta-analyse était de n’inclure que ces études de sécurité cardio-vasculaire, mais les motivations en faveur de cette option (et les limitations que cela génère à propos de l’évaluation de critères d’évaluation rénaux) ne sont pas décrites dans l’article.
- Les gliflozines ont réduit le risque de progression de la maladie rénale de 45% (HR=0,55 ; IC à 95% 0,48 à 0,64 ; p<0,0001).
Une autre méta-analyse13 s’est penchée de façon plus spécifique sur l’effet néphroprotecteur des gliflozines dans le diabète de type 2. Les critères d’inclusion sont plus en lien avec la question de recherche et 25 RCT ont été incluses (dont les 3 études de sécurité cardio-vasculaire décrites ci-dessus, comptant pour 78,5 % du total des patients). Les résultats de cette méta-analyse sont certainement rassurants quant à la sécurité rénale de l’usage des gliflozines.
- Méta-analyse de 25 RCTs (n=43721). Le critère d’évaluation primaire est la progression de la fonction rénale (eGFR). Elle se détériore légèrement dans les analyses à court terme (1 à 6 semaines et 12 à 52 semaines) pour s’améliorer légèrement dans les analyses à long terme (72 à 104 semaines et plus de 188 semaines). Chez les patients qui présentent déjà une insuffisance rénale au moment de l’inclusion, l’amélioration ne survient qu’à partir d’un suivi de 188 semaines et plus. Les différences moyennes pondérées par rapport au placebo (tant positives que négatives) sont de l’ordre de 5 ml/min/1.73m².
- Parmi les critères d’évaluation secondaires, on retrouve un composé de divers événements en lien avec la néphropathie qui regroupe : la réduction soutenue de 40% de l’eGFR, la nécessité de recourir à la dialyse et les décès pour cause rénale. Seules 3 études sont incluses dans la méta-analyse pour ce critère combiné, et il s’agit des 3 études de sécurité cardio-vasculaire décrites ci-dessus. Comme attendu, les gliflozines montrent un bénéfice sur ce critère, avec un résultat tout à fait similaire à celui de la méta-analyse de Zelniker (RR=0,57 ; IC à 95% de 0,49 à 0,66).
- La mortalité toutes causes est un autre critère d’évaluation secondaire dans cette méta-analyse. Les gliflozines sont associées à une réduction significative pour ce critère (RR= 0,84 ;ICà95% de 0,75 à 0,94).
Remplacer l’insuline par les analogues du GLP-1 en tant que premier choix d’une médication injectable?
Le premier argument développé dans le rapport de consensus ADA/EASD concerne le contrôle glycémique, qui est similaire à celui obtenu avec les insulines.
Le second argument concerne le risque d’hypoglycémies et de prise de poids, qui sont les principaux désavantages de l’insulinothérapie. En comparaison, les analogues du GLP-1 ne provoquent pas d’hypoglycémies et font perdre du poids.
Le troisième argument concerne l'observance du traitement. Le passage à un traitement injectable est toujours une étape difficile dans le diabète. Les formes hebdomadaires, disponibles pour certains analogues du GLP-1, pourraient présenter un avantage. Néanmoins, la tolérance clinique des analogues du GLP-1, surtout en début de traitement, est moins bonne que celle des insulines.
Le CBIP est d’avis que le coût des analogues du GLP-1, clairement plus élevé que celui des insulines (en particulier les insulines humaines), doit également être un paramètre à prendre en compte.
Sources spécifiques
2 FDA MedWatch - SGLT2 (sodium-glucose cotransporter-2) Inhibitors for Diabetes: Drug Safety Communication - Regarding Rare Occurrences of a Serious Infection of the Genital Area
3 B. Zinman, C. Wanner , J. Lachin et al. Empagliflozin, cardiovascular outcomes, and mortality in type 2 diabetes. N Engl J Med 2015; 373:2117-2128 (doi: 10.1056/NEJMoa1504720)
4 Neal B, Perkovic V, Mahaffey KW, et al. Canagliflozin and Cardiovascular and Renal Events in Type 2 Diabetes. N Engl J Med 2017;377:644-57. https://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJMoa1611925?url_ver=Z39.88-2003&rfr_id=ori:rid:crossref.org&rfr_dat=cr_pub%3dwww.ncbi.nlm.nih.gov
5 Wiviott SD, Raz I, Bonaca MP, et al. Dapagliflozin and Cardiovascular Outcomes in Type 2 Diabetes. N Engl J Med 2019 ; 380(4):347-357. doi: 10.1056/NEJMoa1812389. Epub 2018 Nov 10.
6 Pfeffer MA, Claggett B, Diaz R, et al. Lixisenatide in Patients with Type 2 Diabetes
and Acute Coronary Syndrome. N Engl J Med 2015;373:2247-57.
DOI: 10.1056/NEJMoa1509225
7 Marso SP, Daniels GH, Brown-Frandsen K et al. Liraglutide and cardiovascular outocmes in type 2 diabetes. N Engl J Med 2016 ;375 :311-22 (doi: 10.1056/NEJMoa1603827)
8 Marso SP, Bain SC, Consoli A, et al. Semaglutide and Cardiovascular Outcomes
in Patients with Type 2 Diabetes. N Engl J Med 2016;375:1834-44. DOI: 10.1056/NEJMoa1607141.
9 Holman RR, Bethel MA, Mentz RJ, et al. Effects of Once-Weekly Exenatide on
Cardiovascular Outcomes in Type 2 Diabetes. N Engl J Med 2017; 377:1228-1239
DOI: 10.1056/NEJMoa1612917.
10 Hernandez AF, Green JB, Anmohamed S, et al. Albiglutide and cardiovascular outcomes in patients with type 2 diabetes and cardiovascular disease (Harmony Outcomes): a double-blind, randomised placebo-controlled trial. Lancet 2018; 392: 1519–29. http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(18)32261-X.
11 Mafham M, Preiss D. HARMONY or discord in cardiovascular outcome trials of GLP-1 receptor agonists? Lancet 2018 ;392(10157):1489-90. doi: 10.1016/S0140-6736(18)32348-1. Epub 2018 Oct 2.
12 Zelniker TA, Wiviott SD, Raz I, et al. Comparison of the Effects of Glucagon-Like Peptide Receptor Agonists and Sodium-Glucose Co-Transporter 2 Inhibitors for Prevention of Major Adverse Cardiovascular and Renal Outcomes in Type 2 Diabetes Mellitus: A Systematic Review and Meta-Analysis of Cardiovascular Outcomes Trials. Circulation 2019. doi: 10.1161/CIRCULATIONAHA.118.038868.
13 Wang C, Zhou Y, Kong Z, et al. The renoprotective effects of sodium-glucose cotransporter 2 inhibitors versus placebo in patients with type 2 diabetes with or without prevalent kidney disease: A systematic review and meta-analysis. Diabetes Obes Metab 2019;21:1018–26. Doi: 10.1111/dom.13620