Le service Vigilance de l’Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de Santé (AFMPS) demande d’être attentif au bon usage d’un certain nombre de psychotropes tels que les opioïdes, les benzodiazépines et Z-drugs (zolpidem, zopiclone), la prégabaline et la gabapentine. Les propriétés pharmacologiques de ces médicaments favorisent abus et dépendance, en particulier quand de tels antécédents d’abus ou dépendance de médicaments ou de drogues existent.

De plus, l’INAMI demande aux prescripteurs de porter une attention particulière lors de la prescription de benzodiazépines, d’opioïdes et de gabapentine/prégabaline: voir communiqué de l’INAMI « Bon usage des médicaments – mesures d’économie médicaments 2022 – 2023 »1 . Avec ce rappel, l’INAMI souhaite réduire le mauvais usage de ces médicaments, et aussi épargner pour la société 4 millions d’euros sur base annuelle. L’INAMI fait référence à un inventaire de sources concernant le bon usage de ces médicaments (situation septembre 2022). Les e-learning du CBIP, les chapitres concernés du Formulaire de soins aux personnes âgées et les articles concernés des Folia font partie des sources mentionnées.

Dans cet article, on attire l’attention sur le bon usage des opioïdes, benzodiazépines et Z-drugs, ainsi que de la prégabaline et de la gabapentine, sur base de publications des Folia, du Répertoire, avec une référence aux e-learnings pertinents.

Opioïdes

Au cours des dernières années, la consommation d’opioïdes a augmenté dans notre pays [voir Folia de juin 2021 et circulaire INAMI (8/12/2022)1].

  • Dans les Folia de juin 2021, on mentionnait qu’environ 10% de la population belge consomme ponctuellement ou régulièrement au moins un des opioïdes suivants, pour diverses raisons : tramadol, tilidine, oxycodone, patchs de fentanyl ou piritramide. La Belgique suit en cela une tendance mondiale.
  • Selon les chiffres dans le circulaire de l’INAMI (8/12/2022)1, la consommation d’opioïdes a augmenté entre 2017 et 2021 dans la tranche d’âge 60-74 ans ; elle se stabilise dans les autres tranches d’âge.

Bon usage des opioïdes dans la douleur non-cancéreuse

Comme mentionné dans le Répertoire chapitre 8.1. > Positionnement et Répertoire chapitre 8.3. > Positionnement :
Dans la douleur nociceptive somatique aiguë, les analgésiques opioïdes sont uniquement indiqués en cas de réponse insuffisante aux analgésiques non opioïdes. La durée d’utilisation doit être courte. Un opioïde peu puissant, tel que la codéine ou le tramadol, est ajouté ou peut remplacer le non-opioïde. Un opioïde puissant est utilisé en dernier recours.

Dans la douleur chronique non cancéreuse, la place des opioïdes est très limitée : les opioïdes ne sont probablement pas plus efficaces à long terme que les non-opioïdes et entraînent plus d’effets indésirables et un risque de dépendance [voir aussi Folia de septembre 2016 et de février 2018]. Dans ce contexte, une évaluation psychosociale approfondie au préalable, un suivi médical rapproché et des réévaluations périodiques sont particulièrement nécessaires. Lorsque la douleur chronique non cancéreuse n’est pas contrôlée par un traitement opioïde, il convient de vérifier la nécessité de sa poursuite et d’envisager éventuellement un sevrage. Si un opioïde est quand même utilisé, les directives recommandent de limiter la durée du traitement à 3 mois, de limiter la dose à moins de 50 mg d’équivalents de morphine par jour, et d’éviter une augmentation de la dose à ≥ 90 mg.

Selon un article publié dans les Folia de juin 2021, on rapporte aussi de plus en plus de preuves attestant que les opioïdes sont nocifs à long terme, surtout à fortes doses :

  • L’effet analgésique des opioïdes diminue avec le temps en raison de la tolérance qui s’installe progressivement.

  • Ils peuvent induire une dépendance psychique et physique (avec risque de surdoses) et une hyperalgésie (« hyperalgésie induite par les opioïdes »).

  • Le risque d’autres effets indésirables augmente également avec l’augmentation des doses. Nous faisons référence au Répertoire chapitre 8.3. > rubrique « Effets indésirables ». Environ 80% des personnes exposées de manière prolongée aux opioïdes dans le cadre d’un traitement de douleurs chroniques non cancéreuses présentent au moins un effet indésirable.

Pour éviter les symptômes de sevrage, il est conseillé d’arrêter progressivement les opioïdes à l’aide de schémas de sevrage. Comme mentionné dans les Folia de juin 2021, plusieurs synthèses méthodiques ont montré qu’après le sevrage de l’opioïde, la douleur perçue n’avait pas augmenté, ou avait même diminué, par rapport à la douleur perçue pendant le traitement. Le sevrage progressif de l’opioïde améliore en outre les capacités fonctionnelles générales et la qualité de vie. Nous faisons aussi référence aux modules e-learning dans notre Auditorium: « Consommation d’opioïdes et douleur chronique », « Sevrage progressif des opioïdes » et « Communiquer sur les opioïdes ».

Benzodiazépines et Z-drugs

L’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) a publié en 2022 les résultats d’une enquête sur la consommation de benzodiazépines et de médicaments apparentés (Z-drugs : zolpidem, zopiclone) utilisés dans le cadre des troubles du sommeil.2 L’enquête montre que la plupart des patients consomment ces médicaments trop longtemps. Plus d’un patient sur trois montre des signes de dépendance psychologique.

Les principaux résultats montrent que :

  • Le zolpidem est le somnifère le plus fréquemment utilisé par les patients, suivi du lormétazépam.
  • Il existe un degré élevé de mauvaise utilisation, à savoir la durée d’utilisation. En effet, la plupart des patients consomment des somnifères depuis plus d’un an. Une minorité de patients prend une dose supérieure à celle recommandée.
  • Plus d’un patient sur trois a montré des signes de dépendance psychologique (score  ≥ 7 sur la version légèrement modifiée de l’échelle de dépendance Severity of Dependence (SDS), avec p.ex. angoisse liée à l’absence possible de prise d’une dose, trouver (très) difficile l’idée de stopper le traitement.
  • La plupart des patients ont essayé par le passé d’arrêter leur traitement. En outre, la majorité des participants à l’enquête souhaitaient pouvoir arrêter leur traitement et près de la moitié trouverait très difficile, voire impossible de l’arrêter.

Bon usage des benzodiazépines et médicaments apparentés

Comme mentionné dans le Répertoire chapitre 10.1. > Positionnement, vu les effets indésirables, la dépendance rapide (dès 1 à 2 semaines de traitement) et le risque d’abus auxquels exposent les bénzodiazépines et les Z-drugs, l’indication doit être bien établie, la posologie maintenue aussi basse que possible et la durée du traitement limitée autant que possible.

Pour l’insomnie, nous référons dans le Répertoire au guideline belge sur la prise en charge des problèmes de sommeil et de l’insomnie chez l’adulte en première ligne et aux Folia de juin 2019 pour plus de détails sur les avis mentionnés dans le guideline belge. Les substances apparentées aux benzodiazépines appelées
« Z-drugs » ne présentent aucun avantage par rapport aux benzodiazépines en termes d’efficacité et d’innocuité : tout comme les benzodiazépines, elles exposent à des effets résiduels, une dépendance et un abus. Si – dans l’insomnie –  un hypnotique est malgré tout prescrit, son utilisation sera aussi brève que possible (1 semaine maximum). Il est important, dès l’instauration du traitement, de prévoir une date d’arrêt de l’hypnotique.

Dans les troubles anxieux, Les benzodiazépines ont certes une action plus rapide sur les symptômes anxieux que les antidépresseurs, mais ils engendrent aussi rapidement une dépendance. Pour cette raison, les guidelines privilégient de plus en plus des antidépresseurs dans la prise en charge des troubles anxieux. Si elles sont quand même prescrites, les benzodiazépines doivent être prescrites à la dose la plus faible possible et pendant une période aussi courte que possible, en raison des effets indésirables et de l’apparition rapide d’une dépendance (déjà après 1 à 2 semaines).

En plus du risque de tolérance et de dépendance lié à ces produits, il existe également un risque
de chute, de troubles de la mémoire, de somnolence diurne et d’accident.

Chez les patients utilisant une benzodiazépine depuis longtemps, afin de favoriser un sevrage de benzodiazépines et médicaments apparentés, un programme d’arrêt progressif de ces médicaments, sous la direction d’un médecin et d’un pharmacien, a été mis en place le 1er février 2023. Ce programme est remboursé par l’INAMI si le patient répond à certaines conditions, entre autres : âge > 18 ans, utilisation chronique (≥ 3 mois) d’une seule benzodiazépine ou Z-drug en une seule prise par jour à une dose ne dépassant pas 3 fois la DDD. Le sevrage n’est pas totalement gratuit pour le patient. Pour plus d’informations, voir Folia février 2023.

Prégabaline et gabapentine

Dans les Folia de décembre 2021, on attirait l’attention sur une augmentation du nombre de cas de mésusage avec la prégabaline (Lyrica® et génériques) rapportés (essentiellement par des pharmaciens) en Belgique aux services d’inspection de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS). Il s’agit surtout de patients tentant d’obtenir ce médicament à l’aide de fausses prescriptions ou en consultant plusieurs médecins pour obtenir des prescriptions (shopping médical). Le mésusage de prégabaline est souvent associé à un mésusage d’autres médicaments sédatifs. Le Flash VIG-news du 30/11/2022 attire aussi l’attention sur l’augmentation préoccupante du mésusage de prégabaline dans des pays européens, et fournit un certain nombre de précautions à  prendre avant de prescrire ou de délivrer la prégabaline.
Pour la gabapentine il y a aussi des inquiétudes croissantes sur le mésusage : voir Folia février 2020.

Bon usage de la prégabaline et la gabapentine

La gabapentine et la prégabaline sont autorisées pour le traitement de l’épilepsie et des douleurs neuropathiques. Dans le RCP de la prégabaline, le trouble anxieux généralisé figure également parmi les indications. Ces deux médicaments sont de plus en plus souvent utilisés off-label dans les douleurs chroniques non neuropathiques (notamment lombalgies, sciatique, syndrome du canal carpien et prophylaxie de la migraine), bien que l’efficacité dans ces indications ne soit pas prouvée [voir Folia de février 2018 et Folia de février 2020].

Suite aux signaux de mésusage avec la prégabaline, y compris en Belgique, quelques mesures pour lutter contre le mésusage ont été listées dans les Folia de décembre 2021. Ces mesures s’appliquent aussi à la gabapentine.

  • Il est recommandé aux médecins d’être particulièrement attentifs avant d’initier un traitement par prégabaline ou gabapentine, ou de renouveler une prescription chez un patient qui n’est pas régulièrement suivi par le médecin.

  • La prudence est de rigueur en cas d’antécédents d’abus de drogues et de médicaments et chez les patients qui prennent aussi des médicaments qui dépriment l’activité du système nerveux central, tels que les opioïdes.

  • Dans le cadre des soins pharmaceutiques, il est aussi recommandé aux pharmaciens de bien vérifier la conformité de la prescription et de contacter le prescripteur en cas de doute.

  • Les médecins et les pharmaciens doivent faire une déclaration à la police s’ils découvrent de fausses prescriptions.

Pour les principaux effets indésirables, nous faisons référence au Répertoire > gabapentine (10.7.2.2.) et prégabaline (10.7.2.3.).
La dépression respiratoire et la fibrillation auriculaire ont été rapportées aussi bien avec la prégabaline qu’avec la gabapentine. Le risque de dépression respiratoire est aussi augmenté en cas d’association à un opioïde ou à d’autres médicaments qui dépriment l’activité du système nerveux central.
Une étude observationnelle discutée dans les Folia de février 2020 suggère que la prégabaline, mais pas la gabapentine, est associée à un risque accru de suicide et d’autres comportements à risque, surtout chez les adolescents et les jeunes adultes. Des différences entre la prégabaline et la gabapentine au niveau des suicides et d’autres comportements à risque pourraient s’expliquer par des différences au niveau des propriétés pharmacodynamiques et pharmacocinétiques. Des études complémentaires sont nécessaires pour confirmer cela.

Sources spécifiques

INAMI. Utilisation appropriée des médicaments : Nos mesures 2022–2023 (dernière mise à jour 20/12/2022). Site Web INAMI. Avec Circulaire – Bon usage des médicaments – mesures d’économie médicaments 2022 – 2023 (8/12/22) et Médicaments – Vers une Belgique en bonne santé (belgiqueenbonnesante.be)
AFMPS. Somnifères : une enquête de l’AFMPS montre que plus d’un tiers des patients présentent une dépendance et que la majorité d’entre eux utilisent des somnifères pendant trop longtemps. Communiqué de 21/6/2022.

Noms de spécialités :

  • Gabapentine: Gabapentin(e), Neurontin® (voir Répertoire)

  • Pregabaline: Lyrica®, Pregabalin(e) (voir Répertoire)