Le présent article remplace le communiqué « Bon à savoir » du 5 janvier 2018.

En novembre 2017, l’American College of Cardiology et l’American Heart Association (ACC/AHA) ont publié une directive révisée concernant l’hypertension (HTA).1 Cette directive élargit la définition de « l’hypertension » et recommande d’instaurer immédiatement un traitement médicamenteux, chez les patients à haut risque cardio-vasculaire, à partir d’une tension systolique de 130 mmHg ou diastolique de 80 mmHg, et chez les autres patients, à partir d’une tension systolique de 140 mmHg ou diastolique de 90 mmHg. Les cibles tensionnelles sont en outre abaissées à < 130 mmHg pour la systolique et < 80 mmHg pour la diastolique. 
La rédaction du CBIP a examiné la directive et les commentaires formulés à ce sujet, et soutient l’avis des auteurs du récent Perspective publié dans The New England Journal of Medicine, qui estiment que l’application de directives ne doit pas faire oublier le patient individuel, et que certains éléments de cette directive HTA révisée ne sont pas suffisamment étayés. Ainsi, les données actuelles ne sont pas suffisantes pour prédire que l’augmentation du nombre de patients qui devraient être traités selon les nouveaux critères se traduirait par un bénéfice proportionnel en termes de santé. 

Dans le communiqué “Bon à savoir” du 5 janvier 2018, nous avions abordé les principales modifications de la directive HTA révisée de l’ACC/AHA1. Notre rédaction a constaté par après qu’un Perspective2 avait été récemment publié dans The New England Journal of Medicine, dans lequel certains points épineux de la directive révisée de l’ACC/AHA étaient décrits de manière claire, et placés dans une bonne perspective clinique. Nous avons donc jugé utile de revenir sur ce sujet. 

Principales modifications de la directive HTA révisée de l’ACC/AHA

– La définition de l’hypertension est élargie.

Une tension systolique située entre 130 et 139 mm Hg ou une tension diastolique entre 80 et 89 mm Hg est définie comme une « hypertension de grade 1 » (auparavant appelée « préhypertension »).     
Dès que la tension systolique est égale ou supérieure à 140 mm Hg ou que la tension diastolique est égale ou supérieure à 90 mmHg, on parle d’une « hypertension de grade 2 » (auparavant « hypertension » à partir de valeurs supérieures à 140/90 mmHg). 

– Définitions selon la directive HTA révisée de l’ACC/AHA
 

Catégorie des valeurs de tension
Valeur systolique
 
Valeur diastolique
Normales
< 120 mmHg
et
< 80 mmHg
Accrues
120-129 mmHg
et
< 80 mmHg
Hypertension de grade 1
130-139 mmHg
ou
80-89 mmHg
Hypertension de grade 2
≥ 140 mmHg
ou
≥ 90 mmHg

– On souligne que ces chiffres doivent être la moyenne d’au moins deux mesures, faites au moins à deux occasions. On insiste également davantage sur la mesure de la tension en dehors du cabinet (out-of-office), notamment afin de mieux dépister l’hypertension par « effet blouse blanche » et l’hypertension masquée.

– Le risque cardio-vasculaire est pris en compte dans la décision d’instaurer un traitement médicamenteux, et un traitement médicamenteux est plus vite instauré.

On recommande d’instaurer immédiatement un traitement médicamenteux (outre l’adaptation du mode de vie) dans les cas suivants. 

  • Désormais en cas d’hypertension de grade 1 (c.-à-d. systolique de 130-139 mmHg ou diastolique de 80-89 mmHg): seulement chez les patients à haut risque cardio-vasculaire, à savoir les patients présentant une pathologie cardio-vasculaire cliniquement apparente ou un risque cardio-vasculaire à 10 ans estimé ≥ 10% selon le score ASCVD. Les patients diabétiques et les insuffisants rénaux chroniques sont systématiquement considérés comme des patients à haut risque cardio-vasculaire.
    Auparavant, en cas de tension systolique entre 130-139 mmHg ou de tension diastolique entre 80-89 mmHg, on se contentait de recommander une adaptation du mode de vie, même chez les patients à haut risque cardio-vasculaire.

  • Désormais, en cas d’hypertension de grade 2 (c.-à-d. systolique ≥ 140 mmHg ou diastolique ≥ 90 mmHg): chez tous les patients.
    Auparavant, chez les patients présentant un faible risque cardio-vasculaire et une tension systolique ≥ 140 mmHg ou diastolique ≥ 90 mmHg, on se limitait, dans un premier temps, à recommander une adaptation du mode de vie.

Ces recommandations s’appliquent à tous les âges.

– Les objectifs tensionnels du traitement sont abaissés. 

Désormais, des cibles tensionnelles < 130 mmHg pour la systolique et < 80 mmHg pour la diastolique sont recommandées. Ceci vaut particulièrement pour les patients à haut risque cardio-vasculaire, mais les auteurs estiment que même chez les autres patients, ces valeurs cibles semblent justifiées.
Auparavant, des objectifs tensionnels < 140/90 mmHg étaient avancés.

Quelques commentaires à propos de la directive HTA révisée de l’ACC/AHA

Quelques commentaires et critiques ont été publiés au sujet de la directive HTA révisée de l’ACC/AHA2-6. Des calculs révèlent que l’application de la directive révisée signifierait une forte augmentation du nombre de patients diagnostiqués “hypertendus” (46% de la population adulte aux Etats-Unis, par rapport à 32% auparavant) et entrant en ligne de compte pour un traitement médicamenteux. L’American Academy of Family Physicians a décidé de ne pas corroborer la directive HTA révisée de l’ACC/AHA dans ses avis.5
En particulier les auteurs d’un Perspective récemment publié dans The New England Journal of Medicine2 décrivent bien quelques aspects épineux de la directive révisée de l’ACC/AHA, en les plaçant dans une bonne perspective clinique.

  • Le risque existe que certains patients, en raison d’un manque de temps lors des consultations (p.ex. pas suffisamment de temps pour mettre d’abord les patients à l’aise et effectuer trois mesures), seront classés à tort dans la catégorie de l’hypertension de grade 1, et qu’en ne prêtant pas suffisamment attention au risque cardio-vasculaire individuel, un traitement médicament sera trop vite prescrit. Un traitement médicamenteux est peut-être plus rapidement réalisé que l’objectif d’adapter son mode de vie, mais chez les patients dont le risque absolu d’accidents cardio-vasculaires est faible, le traitement médicamenteux présentera peu de bénéfices, au prix d’effets indésirables.

  • On peut s’interroger sur la pertinence d’utiliser 10% comme valeur seuil pour le risque cardio-vasculaire à 10 ans. En effet, cette valeur seuil n’est pas étayée par des preuves. Les auteurs du Perspective pensent qu’une plus grande différenciation est peut-être nécessaire et qu’il conviendrait plutôt d’utiliser un seuil de 15% pour plus de conformité avec les résultats des études cliniques qui soutiennent les nouvelles cibles. Dans ce groupe de patients dont le risque cardio-vasculaire à 10 ans est ≥ 15%, les nouveaux objectifs tensionnels abaissés qui sont proposés, seraient davantage justifiés. On doute par ailleurs que ces objectifs tensionnels abaissés puissent être atteints chez un grand nombre de patients, en particulier chez les personnes âgées présentant une rigidité artérielle. Il convient en effet de se demander si le suivi éventuellement meilleur d’un avis universel mais peu étayé, vaut mieux que le suivi éventuellement moins bon d’un avis mieux étayé mais adapté à un certain nombre de facteurs individuels. 

  • On se demande si la disparition de bêta-bloquants comme traitement antihypertenseur de première ligne chez certains groupes de patients est justifiée. Le fait de ne pas avoir pu démontrer de diminution de la mortalité, dans les études sur l’hypertension menées avec des bêta-bloquants, pourrait s’expliquer par le choix inadapté du bêta-bloquant (aténolol une fois par jour). Les auteurs du Perspective estiment donc qu’une prise en charge adaptée à l’individu mérite une place dans le choix d’un antihypertenseur.

  • On doute que la restriction en sel recommandée dans la directive (moins de 1.500 mg/jour) en cas d’hypertension de grade 1 soit réellement en mesure de diminuer le risque cardio-vasculaire, étant peu étayée. Selon les auteurs du Perspective, une prise de sodium ne dépassant pas 2.300 à 2.400 mg/jour est en revanche bien étayée, et une restriction plus importante ne rajoute que peu à l’effet sur la tension.

La rédaction du CBIP soutient l’avis des auteurs du Perspective selon lequel l’application de directives ne doit pas faire oublier le patient individuel, et que certains éléments de la directive HTA révisée ne sont pas suffisamment étayés. Ainsi, les données actuelles ne sont pas suffisantes pour prédire que l’augmentation du nombre de patients qui devraient être traités selon les nouveaux critères se traduirait par un bénéfice proportionnel en termes de santé.  
En 2018, une révision de la directive HTA de l’European Society of Cardiology sera publiée, suite à laquelle nous reviendrons plus en détail sur la prise en charge de l’hypertension.

 

Sources spécifiques

1 2017 ACC/AHA/AAPA/ABC/ACPM/AGS/APhA/ASH/ASPC/NMA/PCNA Guideline for the Prevention, Detection, Evaluation, and Management of High Blood Pressure in Adults. Via https://hyper.ahajournals.org/content/guidelines2017
2 Bakris G. en Sorrentino M. Perspective. Redefining hypertension – assessing the new blood-pressure guidelines. New Engl J Med (online op 17/01/2018; doi:10.1056/NEJMp1716193)
3 Ioannidis JPA. Vieuwpoint. Diagnosis and treatment of hypertension in the 2017 ACC/AHA Guidelines and in the real world. JAMA , published online 14/12/2017 (doi:10.1001/jama.2017.19672)
4 Greenland P. Viewpoint. Cardiovascular guideline scepticism vs lifestyle realism? JAMA, published online 14/12/2017 (doi:10.1001/jama.2017.19675)
5 Greenland P. en Peterson E. Editorial.  The new 2017 ACC/AHA guidelines “Up the pressure” on diagnosis and treatment of hypertension. JAMA 2017;318:2083-4 (doi: 10.1001/jama.2017.18605)
6 https://www.aafp.org/news/health-of-the-public/20171212notendorseaha-accgdlne.html
7 Bakris G. en Sorrentino M. Perspective. Redefining hypertension – assessing the new blood-pressure guidelines. New Engl J Med (online op 17/01/2018; doi:10.1056/NEJMp1716193)