Usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires inférieures en première ligne
Voici les points abordés dans le présent article :
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Problématique de la résistance dans le monde et en Belgique.
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Prise en charge de l’otite moyenne en première ligne chez l’enfant et l’adulte : guide d’ebpracticenet versus guide BAPCOC.
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Mise à jour d’une revue Cochrane sur la prise en charge du mal de gorge aigu: une place limitée pour les antibiotiques.
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Enfants atteints de bronchite aiguë non compliquée : de nouvelles preuves en faveur d’une prescription réduite d’antibiotiques.
La problématique de la résistance dans le monde et en Belgique
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L’antibiorésistance est une importante cause de décès dans le monde entier. Une récente analyse systématique, publiée dans le Lancet, propose une estimation de l’impact mondial des résistances bactériennes1,2.
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Les auteurs de cette étude estiment , sur la base de calculs et de modèles statistiques très complexes, qu'en 2019, environ 5 millions de décès étaient associés à l’antibiorésistance, dont environ 1,3 million étaient directement attribuables à l’antibiorésistance. En d'autres termes, environ 5 millions de décès résultent d'infections qui ne se seraient pas manifestées s'il n'y avait pas eu de germe résistant (par exemple, les infections nosocomiales) et 1,3 million de décès qui ne se seraient pas manifestés si le germe résistant avait été un germe non résistant. Les résistances aux antibiotiques sont donc devenues une des principales causes de mortalité d’origine infectieuse dans le monde1,2.
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Les principales infections en cause dans cette mortalité étaient des infections des voies respiratoires inférieures, des septicémies et des infections intra-abdominales.
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Les six bactéries résistantes aux antibiotiques ayant causé le plus grand nombre de décès étaient: Escherichia coli, Staphylococcus aureus, Klebsiella pneumoniae, Streptococcus pneumoniae, Acinetobacter baumannii et Pseudomonas aeruginosa2.
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Fin 2021, la Belgique publiait son premier rapport détaillé sur l’utilisation des antibiotiques et l’antibiorésistance, à savoir le rapport BELMAP3.
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Dans le secteur des soins ambulatoires humain, une réduction de l’usage d’antibiotiques a été observée en 2020, une réduction qui s’explique notamment par la situation exceptionnelle due à la pandémie de COVID-19. Par rapport à 2019, une réduction de 20% a été enregistrée.
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L’objectif de réduction du recours aux fluoroquinolones, visé dans la pratique ambulatoire, n’a pas été atteint en 2019.
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Le secteur hospitalier a connu une forte diminution de l’usage des fluoroquinolones (-27 % entre 2011 et 2020) et une forte augmentation de l’usage de l’association pipéracilline+tazobactam (+48 % entre 2011 et 2020).
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Parmi les bactéries résistantes qui posent problème, on note dans l’ensemble une nette diminution des SARM (Staphylococcus aureus résistant à la méticilline) et une légère augmentation des Klebsiella pneumoniae résistants aux carbapénèmes (10 %).
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Du côté des infections bactériennes sexuellement transmissibles, telles que l’infection due à Neisseria gonorrhoeae, nous observons une résistance croissante aux macrolides et à la ciprofloxacine. Les recommandations actuelles de la BAPCOC proposent toujours un traitement adjuvant par néomacrolide comme traitement de routine dans l'urétrite et la maladie inflammatoire pelvienne (pelvic inflammatory disease, PID), mais cette recommandattion sera révisée avant fin 2022 : le macrolide sera supprimé des schémas de traitement proposés.
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Commentaire du CBIP. L’antibiorésistance est un problème de santé mondial. Les taux estimés de mortalité mondiale en conséquence de bactéries résistantes nous font prendre conscience de l’étendue et de l’importance du problème. En Belgique, nous remarquons une tendance à la baisse en ce qui concerne l’usage d’antibiotiques dans le secteur ambulatoire et dans le secteur hospitalier pendant la pandémie de COVID-19 ; la question est de savoir si cette tendance se maintiendra. Dans les infections sexuellement transmissibles, une résistance croissante et son impact sur la stratégie de traitement démontrent l’importance d’un suivi permanent de l’antibiorésistance. Ces données montrent une nouvelle fois que nous devons poursuivre nos efforts pour un usage judicieux des antibiotiques.
Guide de pratique clinique d’ebpracticenet pour la prise en charge de l’otite moyenne en première ligne chez l’enfant et l’adulte
Le Guide de pratique clinique sur la prise en charge de l’otite moyenne aiguë chez l’enfant et l’adulte, mis à jour en 2021, souligne la place très limitée des antibiotiques4. Le traitement de la douleur et une attitude attentiste (attentive aux symptômes d’alarme) sont recommandés chez la plupart des enfants et des adultes. Les antibiotiques ne sont indiqués que dans certaines situations bien spécifiques. Le guide de pratique clinique apporte une série de nuances aux recommandations de la BAPCOC (Cf. 11.5. BAPCOC, 2021).
Prise en charge de l’otite moyenne aiguë chez l’enfant
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Conformément au guide BAPCOC, ebpracticenet recommande de ne pas prescrire d’antibiotiques aux enfants sans facteurs de risque de complications et sans signe de maladie sévère. Une prescription différée d’antibiotiques est déconseillée.
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Contrairement au guide BAPCOC, un antibiotique n’est pas systématiquement recommandé entre l’âge de 3 et 6 mois, en présence d’anomalies anatomiques dans la région ORL ou d’un syndrome de Down, ou après une chirurgie moins récente de l’oreille : la recommandation d’ebpracticenet considère ces situations comme des facteurs de risque mineurs, pour lesquels un bon suivi est crucial. En présence de facteurs de risque majeurs, tels qu’un implant cochléaire, une chirurgie récente de l’oreille (autre que drains transtympaniques) ou une immunodéficience, un antibiotique doit être instauré immédiatement.
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Conformément au guide BAPCOC, un antibiotique oral (amoxicilline en premier choix) peut être envisagé chez l’enfant âgé de 6 mois à 2 ans atteint d’une otite moyenne aiguë bilatérale ou chez l’enfant âgé de plus de 6 mois se présentant avec une otite moyenne aiguë et un écoulement dû à la perforation spontanée du tympan.
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Conformément au guide BAPCOC, un antibiotique oral (dose élevée d’amoxicilline en premier choix) est administré aux enfants atteints d’une otite moyenne aiguë en l’absence d’amélioration de la fièvre et/ou de la douleur après 3 jours d’administration d’antidouleurs à dose et fréquence suffisante. Si aucune amélioration n’est intervenue dans les 48 heures suivant le début du traitement antibiotique, le guide d’ebpraticenet recommande d’ajuster le traitement selon les recommandations de la BAPCOC en y associant de l’acide clavulanique, ou d’orienter l’enfant vers un ORL.
Prise en charge de l’otite moyenne aiguë chez l’adulte
Contrairement au guide BAPCOC, un antibiotique n’est pas systématiquement recommandé en présence de facteurs de risque tels qu’anomalies anatomiques dans la région ORL, syndrome de Down ou chirurgie moins récente de l’oreille : la recommandation d’ebpracticenet considère ces situations comme des facteurs de risque mineurs, pour lesquels un bon suivi est crucial. Chez l’adulte, un traitement antibiotique (dose élevée d’amoxicilline en premier choix) doit également être instauré immédiatement en présence d’un facteur de risque majeur tel qu’un implant cochléaire, un antécédent récent de chirurgie de l’oreille (sauf drains transtympaniques) ou une immunodéficience.
Si aucune amélioration n’est intervenue 48 heures après le début du traitement antibiotique, le guide d’ebpraticenet recommande d’ajuster le traitement selon les recommandations de la BAPCOC en y associant de l’acide clavulanique, ou d’orienter l’adulte vers un ORL.
Renvoi vers un service d’urgences pour une otite moyenne aiguë
Le guide de pratique clinique d’ebpracticenet émet également des recommandations en matière de renvoi vers les urgences.
Quand orienter un enfant vers les urgences ?
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âge < 3 mois ;
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présence de symptômes d’alarme :
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signes graves de maladie ;
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suspicion d’infection systémique sévère ou de complications, comme une méningite et une mastoïdite ;
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présence d’une otite moyenne aiguë chez un enfant présentant une allergie à la pénicilline
IgE-médiée en cas de symptômes généraux sévères.
Quand orienter un adulte vers les urgences ?
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présence de symptômes d’alarme :
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signes d’une infection systémique sévère.
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signes/symptômes suggérant une complication aigüe d’une otite moyenne aiguë, comme méningite et mastoïdite.
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Commentaire du CBIP. Dans la plupart des cas, l’otite moyenne aiguë est une affection qui connaît une résolution spontanée. La version actualisée du guide de pratique clinique d’ebpracticenet préconise une attitude attentiste et un traitement symptomatique pour la plupart des patients. Le guide de pratique clinique concorde en grande partie avec le guide BAPCOC. Le guide de pratique clinique estime toutefois qu’une stratégie attentiste se justifie également en présence d’anomalies anatomiques dans la région ORL, d’un syndrome de Down ou d’antécédents moins récents de chirurgie de l’oreille, qui sont considérés comme des facteurs de risque mineurs.
Mise à jour d’une revue Cochrane sur la prise en charge du mal de gorge aigu : une place limitée pour les antibiotiques
Dans le mal de gorge aigu (pharyngite et tonsillite), les antibiotiques ne sont que rarement indiqués, car le bénéfice attendu est très limité [BAPCOC, 2021]. C’est ce que confirme une mise à jour 2021 de la revue Cochrane à propos de la prise en charge du mal de gorge aigu 5. Les études incluses ont examiné 15 337 patients atteints d’un mal de gorge aigu. L’âge des patients variait de 1 an à plus de 50 ans. La conclusion est que les antibiotiques réduisent la survenue de complications très rares (des incertitudes subsistant en ce qui concerne la glomérulonéphrite aiguë (cf. « + plus d’infos »)) ainsi que la durée des symptômes, mais l'effet est très modeste. Ce qui peut justifier une attitude attentiste. La place des antibiotiques dans le traitement du mal de gorge aigu est limitée.
La revue Cochrane a évalué l’impact du traitement antibiotique sur l’incidence des complications suppuratives et non suppuratives chez les patients atteints d’un mal de gorge aigu d’origine virale ou bactérienne. Les complications non suppuratives d’une pharyngite à streptocoques sont le rhumatisme articulaire aigu et la glomérulonéphrite aiguë post-streptococcique. Les complications suppuratives d’une pharyngite sont l’abcès périamygdalien, l’otite moyenne aiguë et la sinusite aiguë.
- L’incidence d’un abcès périamygdalien dans les 2 mois suivant l’infection initiale était réduite par rapport au groupe témoin : OR de 0,16 (IC à 95 % de 0,07 à 0,35 ; 7 études, 2 376 participants ; 23 cas dans le groupe placebo contre 2 cas dans le groupe sous traitement).
- L’incidence d’une otite moyenne aiguë dans les 14 jours suivant l’infection initiale était réduite par rapport au groupe témoin : OR de 0,21 (IC à 95 % de 0,11 à 0,40 ; 10 études, 3 646 participants ; 28 cas dans le groupe placebo contre 10 cas dans le groupe sous traitement).
- L’incidence d’une sinusite aiguë dans les 14 jours suivant l’infection initiale était semblable ou peu différente par rapport au groupe témoin : OR de 0,46 (IC à 95 % de 0,10 à 2,05 ; 7 études, 2 270 participants).
- Seulement 10 études très anciennes avaient inclus la glomérulonéphrite aiguë comme critère d’évaluation et il n’y a eu au total que 2 cas de glomérulonéphrite aiguë dans le groupe témoin. Par conséquent, il est très difficile de déterminer si le traitement avait ou non un effet sur l’incidence de la glomérulonéphrite aiguë : OR de 0,07 (IC à 95 % de 0,00 à 1,32 ; 10 études ; 5 147 participants ; 2 cas dans le groupe placebo contre 0 cas dans le groupe sous traitement).
- L’incidence d’un rhumatisme articulaire aigu était moins élevée dans le groupe sous traitement antibiotique que dans le groupe témoin : OR de 0,36 (IC à 95 % de 0,26 à 0,50 ; 17 études, 12 132 participants; 74 cas dans le groupe placebo contre 37 cas dans le groupe sous traitement). Les cas documentés de rhumatisme articulaire aigu provenaient tous d'études réalisées avant 1975. Aucun cas de rhumatisme articulaire aigu n'a été détecté dans les études réalisées après 1975.
Commentaire du CBIP. Les résultats de la revue Cochrane concordent avec les recommandations de la BAPCOC. Chez les patients gravement malades ou présentant des facteurs de risque (patients immunodéprimés, patients oncologiques, patients ayant des antécédents de rhumatisme articulaire aigu, patients avec chirurgie prothétique récente, patients atteints de valvulopathie cardiaque), la BAPCOC mentionne que les antibiotiques peuvent être indiqués.
Enfants atteints de bronchite aiguë non compliquée : de nouvelles preuves en faveur d’une prescription réduite d’antibiotiques
Une RCT contrôlée par placebo (étude ARTIC PC) de 2021 a évalué l’efficacité de l’amoxicilline dans la bronchite aiguë non compliquée. L’étude a été conduite dans le contexte de cabinets britanniques de médecine générale, auprès de 432 enfants âgés de 6 mois à 12 ans (moyenne d’âge : 3 ans). Les résultats ne montrent pas de bénéfice avec l’amoxicilline sur la durée des symptômes (tels que toux (avec expectorations), essoufflement, wheezing, nez bouché ou qui coule, sommeil perturbé, sensation générale de malaise, fièvre et perturbation des activités quotidiennes)6. De même, aucun bénéfice n’a été démontré sur la durée des symptômes dans les sous-groupes d’enfants souffrant, entre autres, de wheezing, de crépitations, d’expectorations ou de fièvre.
Commentaire du CBIP. Le guide BAPCOC (2021) stipule que les antibiotiques ne sont pas indiqués en cas de bronchite aiguë chez un enfant préalablement en bonne santé. L’étude ARTIC PC fournit des données probantes complémentaires, indiquant qu’une moindre prescription d’antibiotiques est sans danger pour les enfants atteints de bronchite aiguë sans suspicion clinique de pneumonie [cf. critères cliniques de la BAPCOC dans le Répertoire 11.5.2.6. pour la distinction entre une bronchite aiguë et une pneumonie bactérienne].
Il va de soi qu’il est important de rester vigilant à la présence de facteurs de risque et de signaux d’alarme. Ces symptômes d’alarme doivent également être communiqués aux parents ou aux soignants. Comme le souligne l’auteur de l’éditorial connexe, il convient d’accorder une attention particulière aux enfants à haut risque de développer une forme grave (par ex. enfants atteints d’affections respiratoires ou cardiaques sous-jacentes, enfants immunodéficients, enfants présentant un faible poids à la naissance) et, chez ces enfants, la prescription d’un antibiotique ne doit pas être écartée trop rapidement7.
Sources
1 Murray CJ, Ikuta KS, Sharara F, et al. Global burden of bacterial antimicrobial resistance in 2019: a systematic analysis. The Lancet 2022;399(10325):629-655. doi:10.1016/S0140-6736(21)02724-0
2 Résistances aux antibiotiques : une menace croissante. Rev. Presc. Juin 2022; 42(464):456
3 One Health Report on Antibiotic Use and Resistance 2011-2020 (https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/rapport_annuel_amr_2021.pdf)
4 Mokrane S, Keijzer J-H, Van Royen P, Dekker N, Goossens M, Vanderveken O, De Sutter A, Mehta R, Ducène C, Sousa A, Boulad M. Richtlijnen voor de aanpak van acute otitis media in de eerste lijn. Werkgroep Ontwikkeling Richtlijnen Eerste Lijn (Worel); 2022.
5 Spinks A, Glasziou PP, Del Mar CB. Antibiotics for treatment of sore throat in children and adults. Cochrane Database of Systematic Reviews 2021, Issue 12. Art. No.: CD000023. DOI: 10.1002/14651858.CD000023.pub5.
6 Little P, Francis NA, Stuart B et al. Antibiotics for lower respiratory tract infection in children presenting in primary care in England (ARTIC PC): a double-blind, randomised, placebo-controlled trial. Lancet 22/09/21. DOI: https://doi.org/10.1016/S0140-6736(21)01431-8
7 Jankauskaite L, Oostenbrink R. Comment. Childhood lower respiratory tract infections: more evidence to do less. Lancet 22/09/21. DOI: https://doi.org/10.1016/S0140-6736(21)01955-3