L’empagliflozine dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée: un effet favorable sur les hospitalisations, mais pas sur la mortalité

  • Message clé

    • Dans l’étude EMPEROR-Preserved, un traitement avec l’empagliflozine chez des patients atteints d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée a réduit l’incidence du critère d’évaluation primaire composé de mortalité cardiovasculaire et d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque par rapport au placebo. Ce résultat favorable était principalement dû à une diminution significative du nombre d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque ; il n’y avait pas de différence significative entre les deux groupes en ce qui concerne la mortalité cardiovasculaire1.

    • Il reste difficile, sur la base de cette seule étude, de déterminer la place de l’empagliflozine dans le traitement de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (traitement de fond ou traitement add on) ainsi que les patients qui tireraient le plus de profit d’un tel traitement. Il ne faut pas non plus perdre de vue les quelques rares effets indésirables graves observés avec les gliflozines dans le traitement du diabète.

  • En quoi cette étude est-elle importante ?

    • Il existe peu de médicaments dont l’efficacité est établie dans le traitement de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (voir Folia décembre 2020)2. Aucune classe de médicaments n’a un effet positif clairement démontré sur la survie. Une mise à jour de la revue Cochrane parue sur le sujet en 2021 le confirme et montre, pour certaines classes (les antagonistes de l’aldostérone et le complexe sacubitril/valsartan), un léger effet positif sur le nombre d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque3.

    • Les gliflozines dapagliflozine et empagliflozine ont récemment été ajoutées à l’arsenal thérapeutique dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection diminuée, bien que leur place exacte dans le traitement reste incertaine (voir Folia février 2021). L’étude EMPEROR-Preserved a cherché à savoir si l’empagliflozine est également efficace chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée.

  • Protocole de l’étude

    • Étude randomisée, contrôlée par placebo, en double aveugle, menée auprès de 5 988 patients atteints d’insuffisance cardiaque (classe NYHA II-IV) et présentant une fraction d’éjection supérieure à 40%. Les patients ont été randomisés pour recevoir 10 mg d’empagliflozine une fois par jour ou un placebo en plus du « traitement habituel » de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (en traitement add on, donc). Le fabricant de l’empagliflozine était le promoteur de l’étude et a été étroitement impliqué dans le protocole, l’exécution et l’analyse de l’étude.

    • La moyenne d’âge des participants était de 72 ans. 80% des patients avaient une insuffisance cardiaque de classe NYHA II. La moitié des patients souffrait de diabète. Également, la moitié des patients souffrait d’insuffisance rénale modérée ou sévère. Un tiers des patients avait une fraction d’éjection comprise entre 40 et 50%. Au début de l’étude, 85% des patients prenaient déjà un bêtabloquant, 80% prenaient un inhibiteur du système rénine – angiotensine (IECA, sartan ou, pour une petite minorité de 2%, le complexe sacubitril/valsartan) et 40% prenaient un antagoniste de l’aldostérone.

    • Le critère d’évaluation primaire était composé des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et de la mortalité cardiovasculaire. Les critères d’évaluation secondaires étaient entre autres les composants individuels du critère d’évaluation primaire composé et la mortalité globale.

  • Résultats en bref

    • Après un suivi médian de 26 mois, l’incidence du critère d’évaluation primaire était significativement moins élevée dans le groupe empagliflozine que dans le groupe placebo (13,8% vs 17,1% ; HR : 0,79 ; IC95% : 0,69 à 0,90 ; NNT = 31 sur la durée médiane du suivi). Cet effet favorable était principalement dû à une nette baisse du nombre d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque (8,6% vs 11,8% ; HR : 0,71 ; IC95% : 0,60 à 0,83). Il n’y avait pas de différence entre les deux groupes pour ce qui concerne la mortalité cardiovasculaire (7,3% vs 8,2%; HR : 0,91 ; IC95% : 0,76 à 1,09) ou la mortalité globale (14,1% vs 14,3% ; HR : 1,00 ; IC95% 0,87 à 1,15).

    • Les résultats favorables ont été observés tant chez des patients avec que sans diabète.

    • L’effet semblait le plus grand chez les patients dont la fraction d’éjection était comprise entre 40 et 50%. Il n’y avait plus de différence statistiquement significative chez les patients ayant une fraction d’éjection égale ou supérieure à 60%.

    • Les infections génitales et urinaires non compliquées et l’hypotension ont été plus fréquentes dans le groupe empagliflozine que dans le groupe placebo. Le compte rendu des effets indésirables graves dans l’article principal est extrêmement sommaire; si l’on se réfère au tableau repris dans l’annexe supplémentaire, les cas d’hypoglycémie, d’acidocétose et d’infections génitales compliquées sont survenus à la même fréquence dans les deux groupes.
       

  • Commentaire du CBIP

    • L’étude EMPEROR-Preserved est annoncée comme étant la première étude menée parmi des patients avec insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée qui ait atteint son critère d’évaluation primaire. Néanmoins, à ce jour, les vastes études conduites chez des patients atteints d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée restent peu nombreuses. Seuls le candésartan et l’irbésartan, la spironolactone et le complexe sacubitril/valsartan ont été étudiés dans des études de taille comparable et avec des critères d'évaluation comparables. Aucune de ces études n’a permis de démontrer un avantage au niveau d’un critère d’évaluation primaire composé de mortalité cardiovasculaire et d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque4-7. Des médicaments plus anciens, comme les bêtabloquants et les IECA, n’ont jamais été évalués pour cette indication dans de vastes études comme celle-ci.

    • L’effet positif sur le critère d’évaluation primaire composé est induit par une réduction du nombre d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque; aucun effet n’est observé sur la mortalité cardiovasculaire. Certains autres groupes de médicaments montrent également un léger effet positif sur le nombre d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque, mais pas sur la mortalité cardiovasculaire3-7. L’effet positif sur le nombre d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque semble plus marqué avec l’empagliflozine qu’avec les autres classes de médicaments, mais il s’agit ici de comparaisons indirectes ; aucune étude n’a effectué de comparaison directe entre l’empagliflozine et d’autres classes de médicaments.

    • Depuis 2016, les recommandations considèrent les patients atteints d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection intermédiaire (mid-range ou mildly reduced, soit entre 40 et 50%) comme un groupe distinct, pour lequel une stratégie de traitement spécifique peut être indiquée8. Dans cette étude, ces patients sont néanmoins toujours inclus parmi les patients atteints d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. Ces patients semblant précisément être ceux qui profitent le plus d’un traitement par l’empagliflozine, il paraît probable que les résultats seraient nettement moins positifs si l’étude n’avait inclus que des patients ayant une fraction d’éjection préservée selon les critères actuels (fraction d’éjection supérieure à 50%). À titre de comparaison, la plupart des autres grandes études auprès de patients atteints d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée fixaient la limite inférieure d’inclusion à une fraction d’éjection de 45%4-7.

    • Plus de 80% des patients inclus dans l’étude EMPEROR-Preserved avaient une insuffisance cardiaque légère (classes NYHA I et II). Étant donné la très faible proportion de patients atteints d’insuffisance cardiaque plus sévère (classes NYHA III et IV), l’étude ne fournit pas suffisamment de preuves pour étayer un effet positif de l’empagliflozine chez ces patients.

    • L’étude compare l’empagliflozine au placebo en tant que traitement d’appoint (add-on) ajouté à un « traitement habituel ». Or, il n’existe presque pas de recommandations pour le traitement de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée et ce « traitement habituel » peut donc varier d’un patient à l’autre. Il nous est difficile, sur la base de cette étude, de déterminer la place de l’empagliflozine par rapport à d’autres traitements de l’insuffisance cardiaque, de même que de déterminer la phase du traitement (traitement de fond ou add on) où l’empagliflozine doit idéalement être instauré.

    • L’utilisation de gliflozines dans le traitement du diabète a mis en évidence quelques effets indésirables rares, mais graves (acidocétose, amputations, gangrène de Fournier). Dans l’étude EMPEROR-Preserved, tout comme dans les études conduites chez des patients atteints d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection diminuée, ces effets indésirables graves n’ont pas été observés plus fréquemment dans le groupe intervention par rapport au groupe placebo, mais ces études sont de trop petite envergure et de trop courte durée pour détecter ces rares effets indésirables. La vigilance reste donc de mise à l’égard de ces rares effets indésirables graves.

    • Conclusion: il semble bien que, pour le traitement de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, l’empagliflozine rejoigne les autres médicaments qui ont un effet positif sur le nombre d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque, mais pas sur la mortalité cardiovasculaire (bêtabloquants, IECA, sartans, diurétiques d’épargne potassique, complexe sacubitril/valsartan). Sur la base de comparaisons indirectes, l’effet de l’empagliflozine semble plus substantiel que celui des autres médicaments, certainement chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection intermédiaire. Des recherches complémentaires sont encore nécessaires pour savoir si l’empagliflozine va véritablement changer la donne dans le traitement de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée et quels patients en retireront le plus grand bénéfice. Lorsqu’il s’agit de pondérer les avantages et les inconvénients de l’empagliflozine pour le traitement de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, il convient également de tenir compte des effets indésirables rares, mais graves, mis au jour en marge de l’utilisation des glifozines dans le traitement du diabète (acidocétose, amputations, gangrène de Fournier).

    • L’Agence européenne des médicaments a autorisé l’extension de l’indication de l’empagliflozine à l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée au mois de mars 2022. La possibilité d’utiliser les autres gliflozines dans le traitement de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée doit encore être étudiée. La récente directive de l’ESC, publiée en quasi-simultané avec l’étude EMPEROR-Preserved, ne mentionne pas encore les gliflozines parmi les options de traitement pour les patients avec insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée ou intermédiaire8.


Sources

1Anker SD, Butler J, Filippatos G, Ferreira JP, Bocchi E et al. Empagliflozin in heart failure with a preserved ejection fraction. N Engl J Med. 2021;385:1451-61. doi:  10.1056/NEJMoa2107038
Gard E, Nanayakkara S, Kaye D, Gibbs H. Management of heart failure with preserved ejection fraction. Aus Prescr. 2020;43:12-7. doi: 10.18773/austprescr.2020.006 
3 Martin N, Manoharan K, Davies C, Lumbers RT. Beta-blockers and inhbitors of the renin-angiotensin aldosterone system for chronic heart failure with preserved ejection fraction. Cochrane Database Syst Rev. 2021, Issue 5. Art. No.: CD012721. doi:  10.1002/14651858.CD012721.pub3
4 Yusuf S, Pfeffer MA, Swedberg K, Granger CB, Held P et al. Effects of candesartan in patients with chronic heart failure and a preserved left-ventricular ejection fraction: the CHARM-Preserved trial. Lancet. 2003; 362:777-81. doi: 10.1016/S0140-6736(03)14285-7
5 Massie BM, Carson PE, McMurray JJ, Komajda M, McKelvie M et al. Irbesartan in patients with heart failure and preserved ejection fraction. N Engl J Med. 2008;359:2456-67. doi: 10.1056/NEJMoa0805450
6 Pitt B, Pfeffer MA, Asmann SF, Boineau R, Anand IS et al. Spironolactone for heart failure with preserved ejection fraction. N Engl J Med. 2014,370:1383-92. doi: 10.1056/NEJMoa1313731
7 Solomon SD, McMurray JJV, Anand IS, Ge J, Lam CSp et al. Angiotensin-neprilysin inhibition in heart failure with preserved ejection fraction.  N Engl J Med. 2019; 381:1609-20. doi: 10.1056/NEJMoa1908655
8 European Society of Cardiology. 2021 ESC guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. Eur Heart J. 2021;42:3599-726. doi: 10.1093/eurheartj/ehab368