Effets indésirables oculaires liés aux médicaments administrés par voie orale - Partie 2 : Iris et cristallin

De nombreux médicaments administrés par voie orale peuvent affecter les structures de l'œil et les fonctions visuelles à des degrés divers. Dans certains cas, l’apparition de symptômes oculaires doit donc inciter à évaluer la liste de médicaments du patient. En général, ces symptômes sont réversibles à l’arrêt du médicament en cause, ou peuvent être traités par des médicaments ou par chirurgie. Dans quelques cas, l’atteinte ophtalmologique peut être irréversible. Une surveillance régulière ou l'arrêt immédiat du traitement en cause peuvent s’avérer nécessaire.
Cet article est la deuxième partie d'une série d'articles traitant des effets indésirables oculaires liés aux traitements systémiques. Cette deuxième partie aborde les effets indésirables que peuvent avoir certains médicaments sur l’iris et le cristallin, et comment les prendre en charge. Il s’agit surtout de la cataracte et du syndrome de l’iris hypotonique. La première partie (relative aux effets indésirables oculaires sur la cornée et la chambre antérieure de l’œil) a été publiée dans les Folia de février 2022.

Médicaments ayant des effets indésirables sur l'iris et le cristallin :
- Corticostéroïdes : peuvent accélérer le développement de la cataracte.
- Alpha1-bloquants: peuvent provoquer un syndrome de l'iris hypotonique peropératoire         (SIHP) au cours d’une opération de la cataracte.
- Allopurinol : augmentation possible du risque de cataracte en cas d’utilisation prolongée.
- Hypolipidémiants : augmentation possible du risque de cataracte.



 

© « Eye-diagram no circles border » Chabacan1
1. chambre postérieure (contenant le corps vitré), 2. ora serrata, 3. muscle ciliaire, 4. ligament suspenseur, 5. canal de Schlemm, 6. pupille, 7. chambre antérieure (remplie d'humeur aqueuse),
8. cornée, 9. iris, 10. capsule du cristallin, 11. noyau du cristallin, 12. corps ciliaire, 13. conjonctive,
14. muscle oblique inférieur, 15. muscle droit inférieur, 16. muscle droit médial, 17. veines et artères de la rétine, 18. papille optique ou point aveugle, 19. dure-mère, 20. artère centrale de la rétine, 21. veine centrale de la rétine, 22. nerf optique, 23. veine vortiqueuse, 24. tissu conjonctif, 25. macula, 26. fovéa, 27. sclère, 28. choroïde, 29. muscle droit supérieur, 30. rétine.


Corticostéroïdes

Effets indésirables

Les corticostéroïdes peuvent accélérer le développement de la cataracte, surtout en cas d’utilisation prolongée de doses supérieures aux doses quotidiennes physiologiques (20 à 30 mg d'hydrocortisone ou équivalent). Ils induisent plus précisément une cataracte sous-capsulaire postérieure, qui se développe plus rapidement que la cataracte typiquement liée à l’âge. Cet effet résulte vraisemblablement de modifications induites par les corticostéroïdes au niveau de la transcription génique dans les cellules épithéliales du cristallin2,3.

La prise prolongée de corticostéroïdes par voie systémique est associée à la formation d’une cataracte. Des cas ont également été décrits après une application oculaire et topique. La formation d’une cataracte pourrait aussi être liée à l’utilisation prolongée de corticostéroïdes inhalés à fortes doses, mais le lien de causalité n’est pas clair. L’usage intranasal de corticostéroïdes ne semble pas associé à un risque accru3.

Stratégie de prise en charge

Un bilan ophtalmologique n’est jugé nécessaire qu’en présence d’une cataracte préexistante et/ou de symptômes oculaires2.


Alpha1-bloquants

Effets indésirables

L’utilisation d’alpha1-bloquants, comme la tamsulosine, peut entraîner une plus grande labilité de l’iris au cours d’une opération de la cataracte. Ce phénomène est connu sous le nom de « syndrome de l’iris hypotonique peropératoire » (voir Folia de mars 2010) (Voir « Plus d’infos »). Ce syndrome est le plus souvent associé à l’utilisation de la tamsulosine, un alpha1-bloquant sélectif, mais a aussi été décrit avec d’autres alpha1-bloquants. Le mécanisme sous-jacent de cette affection est probablement lié à l’inhibition des récepteurs alpha-1-adrénergiques dans le muscle radiaire de l’iris. Le résultat peut donner un iris flasque, mobile, sans tonus, et le myosis progressif qui y est associé, avec un risque accru de complications chirurgicales telles que décollement de la rétine, luxation du cristallin, déchirure de la capsule et endophtalmie4.

Ce syndrome est neuf fois plus fréquent chez les hommes que chez les femmes, ce qui pourrait en partie s’expliquer par l’utilisation plus fréquente d’alpha-bloquants chez les hommes. Environ 40 à 90 % des patients traités par tamsulosine développent le syndrome de l’iris hypotonique. La tamsulosine a également été associée à un risque 2 à 3 fois plus élevé de développer des complications postopératoires de chirurgie de la cataracte4.

Stratégie de prise en charge

L’interruption du traitement peu avant une opération de la cataracte ne présente aucun bénéfice. Si le traitement est interrompu, il doit l’être au moins 1 à 2 semaines avant l'opération (voir « Plus d'infos »). Toutefois, cela ne permettra pas nécessairement d’éviter la survenue d’un syndrome de l’iris hypotonique (voir « Plus d'infos »). Le chirurgien doit être informé de la prise actuelle ou antérieure d’alpha1-bloquants (surtout si le traitement a été arrêté moins de 15 jours avant l’opération5), afin qu’il puisse prendre les mesures nécessaires si l’opération se complique4.

La tamsulosine étant un antagoniste irréversible des récepteurs alpha-1-adrénergiques du muscle dilatateur de la pupille, l’arrêt du traitement quelques jours avant l’opération peut s’avérer insuffisant pour annuler l’inhibition des récepteurs alpha1-adrénergiques.
Le risque de syndrome de l’iris hypotonique pourrait être semi-permanent,  puisque l’inhibition des récepteurs alpha1-adrénergiques peut conduire à une atrophie diffuse du muscle radiaire de l’iris. Ceci pourrait expliquer pourquoi le syndrome se produit encore alors que le médicament a été arrêté depuis longtemps.
Il pourrait être bénéfique d’arrêter le traitement par tamsulosine 1 à 2 semaines avant l’opération de la cataracte. Des études complémentaires sont cependant nécessaires pour déterminer le bénéfice et le moment optimal de l'arrêt du traitement avant la chirurgie6.


Allopurinol

Stratégie de prise en charge

La prise prolongée d’allopurinol a été associée à un risque accru de cataracte. L'association entre l'allopurinol et la cataracte reste toutefois controversée.

D’après certaines études, l’allopurinol serait associé à un risque accru de cataracte ou d’intervention d’extraction du cristallin, principalement de cataracte sous-capsulaire postérieure et corticale. Les études montrent que la prise prolongée d’allopurinol à fortes doses est associée à un risque de développer une cataracte chez des patients relativement jeunes. Des études scientifiques avancent l’hypothèse selon laquelle l’allopurinol pourrait influencer le processus de vieillissement du cristallin sous l’effet du rayonnement UV7.  Une récente étude cas-témoins nichée dans une cohorte n’a trouvé aucune association entre la prise d'allopurinol et le développement de cataracte8.

Stratégie de prise en charge

Le patient ne doit être orienté vers un bilan ophtalmologique qu’en présence de symptômes oculaires2.


Hypolipidémiants

Effets indésirables

Les hypolipidémiants pourraient être associés à un risque de cataracte, mais ceci est controversé9.

Il ressort d’études chez l’animal que les statines pourraient augmenter le risque de cataracte, mais cela n'a pas encore été confirmé chez l'humain. Une récente étude transversale a révélé une possible augmentation du risque de cataracte suite à l'utilisation d’hypolipidémiants (statines, fibrates, résines échangeuses d'anions et compléments alimentaires)9 Dans une étude cas-témoins, l'utilisation de statines n'a pas été associée à un risque accru. Des études observationnelles ont même constaté que l'utilisation de statines était plutôt associée à une réduction du risque de développer une cataracte10,11.

Stratégie de prise en charge

Le patient ne doit être orienté vers un bilan ophtalmologique qu’en présence de symptômes oculaires2.


Sources

Eye-diagram_no_circles_border. Chabacano; https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Eye-diagram_no_circles_border.svg CC BY-SA 3.0
Ahmad R, Mehta H. The ocular adverse effects of oral drugs. Australian Prescriber. 2021;44(4):129. doi:10.18773/austprescr.2021.028
3 Martindale - MICROMEDEX. Accessed January 18, 2022. https://www.micromedexsolutions.com/micromedex2/librarian/CS/300C0D/ND_PR/evidencexpert/ND_P/evidencexpert/DUPLICATIONSHIELDSYNC/1C6F43/ND_PG/evidencexpert/ND_B/evidencexpert/ND_AppProduct/evidencexpert/ND_T/evidencexpert/PFActionId/evidencexpert.IntermediateToDocumentLink?docId=1060-e&contentSetId=30&title=Corticosteroids&servicesTitle=Corticosteroids&navResults=relatedMartindale
4 Tamsulosin-induced intraoperative floppy iris syndrome during cataract surgery - Australian Prescriber. Accessed January 18, 2022. https://www.nps.org.au/australian-prescriber/articles/tamsulosin-induced-intraoperative-floppy-iris-syndrome-during-cataract-surgery
5 Cm B, Wv H, Hd F, et al. Association between tamsulosin and serious ophthalmic adverse events in older men following cataract surgery. JAMA. 2009;301(19). doi:10.1001/jama.2009.683
6 Zaman F, Bach C, Junaid I, et al. The Floppy Iris Syndrome – What Urologists and Ophthalmologists Need to Know. Current Urology. 2012;6(1):1. doi:10.1159/000338861
7 Luo C, Chen X, Jin H, Yao K. The association between gout and cataract risk: A meta-analysis. PLOS ONE. 2017;12(6):e0180188. doi:10.1371/journal.pone.0180188
8 Li YJ, Perng WT, Tseng KY, Wang YH, Wei JCC. Association of gout medications and risk of cataract: a population-based case-control study. QJM. 2019;112(11):841-846. doi:10.1093/qjmed/hcz167
9 Despas F, Rousseau V, Lafaurie M, et al. Are lipid-lowering drugs associated with a risk of cataract? A pharmacovigilance study. Fundam Clin Pharmacol. 2019;33(6):695-702. doi:10.1111/fcp.12496
10 Klein BEK, Klein R, Lee KE, Grady LM. Statin use and incident nuclear cataract. JAMA. 2006;295(23):2752-2758. doi:10.1001/jama.295.23.2752
11Tan JSL, Mitchell P, Rochtchina E, Wang JJ. Statin use and the long-term risk of incident cataract: the Blue Mountains Eye Study. Am J Ophthalmol. 2007;143(4):687-689. doi:10.1016/j.ajo.2006.11.027
 
Martindale: The complete drug reference. Dernière consultation le
22/02/2022.