ISRS contre l'éjaculation prématurée

Une Cochrane Review de plusieurs RCT conclut que les ISRS sont plus efficaces que le placebo dans l'éjaculation prématurée, mais sont associés à un plus grand taux d’abandon en raison d'effets indésirables. Les résultats concernent seulement une population sélectionnée d'hommes souffrant d’éjaculation prématurée primaire (c.-à-d. présente depuis le début de leur vie sexuelle). En raison des lacunes méthodologiques des études disponibles, de la courte durée du suivi et de l’absence d’analyse comparative avec d'autres traitements, cette Cochrane Review n’a qu’une utilité limitée pour la pratique clinique.
  • Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont connus pour provoquer une perte de libido ou des troubles de l'érection. C’est précisément en raison de ces effets indésirables qu’ils sont utilisés dans l'éjaculation prématurée, pour retarder l'éjaculation.

  • Dans les Folia de janvier 2019, nous avions déjà souligné le rapport bénéfice/risque douteux de la dapoxétine, le seul ISRS enregistré en Belgique dans le traitement de l'éjaculation prématurée chez l’homme adulte. La dapoxétine doit être administrée uniquement comme traitement « à la demande », environ 1 à 3 heures avant une activité sexuelle prévue1. Outre les effets indésirables associés aux ISRS en général (notamment nausées, diarrhée, céphalées, agitation, vertiges, voir Répertoire, chapitre 10.3.1.1), la dapoxétine est également associée à un risque dose-dépendant d'hypotension orthostatique et de syncope.

  • Une nouvelle Cochrane Review de plusieurs RCT contrôlées par placebo2 a évalué le profil d'efficacité et d’innocuité des ISRS (prise quotidienne ou selon les besoins) chez des hommes adultes souffrant d’une éjaculation prématurée sans cause organique depuis le début de leur vie sexuelle (éjaculation prématurée primaire ou innée). La Review n’incluait pas les études portant sur l’éjaculation prématurée secondaire ou acquise.

Résultats de la Cochrane Review

  • Les auteurs ont choisi l'amélioration subjective et la satisfaction du patient comme critères d’évaluation primaires pour la méta-analyse de l'efficacité, mais ces critères n’ont été rapportés que dans très peu d'études. Les résultats de la méta-analyse concernent essentiellement la dapoxétine (études qui duraient généralement 12 semaines).
    Les ISRS se sont avérés plus efficaces que le placebo sur les critères d'évaluation primaires « amélioration selon le participant » (RR 1,92 ; degré de certitude modéré) et « satisfaction des rapports sexuels » (RR 1,63 ; degré de certitude modéré). Le sentiment de contrôle sur l'éjaculation était un critère d'évaluation secondaire (RR 2,29 ; degré de certitude modéré). Le temps de latence de l'éjaculation intravaginale (« intravaginal ejaculatory latency time » ou IELT) a été rapporté dans beaucoup plus d'études, mais ne constituait pas un critère d'évaluation primaire dans la Cochrane Review. L'éjaculation pouvait être retardée d'environ 3 minutes avec un ISRS par rapport au placebo (faible degré de certitude).

  • Le traitement par ISRS était plus fréquemment abandonné en raison d'effets indésirables par rapport au placebo (critère d'évaluation primaire, faible degré de certitude).

  • Les études présentaient plusieurs lacunes méthodologiques et un biais de publication ne peut être exclu.

    31 RCT chez des hommes adultes (n = 8 254) ; durée des études de 4 à 24 semaines ; antidépresseurs étudiés : citalopram, dapoxétine, duloxétine (un IRSN, mais il s'agissait d'une étude de très petite taille, incluant seulement 20 patients), fluoxétine, fluvoxamine, paroxétine, sertraline.
    Résultats :

    • Amélioration selon le participant (critère d'évaluation primaire, 6 études dont 4 avec la dapoxétine, 1 avec le citalopram et 1 avec la duloxétine, n = 3 260, degré de certitude modéré) : RR 1,92 (IC à 95 % 1,66 à 2,23). Résultats similaires pour la dapoxétine (RR 1,87 ; IC à 95% 1,66 à 2,10).
    • Satisfaction des rapports sexuels (critère d'évaluation primaire, 3 études avec la dapoxétine, n = 4 273, degré de certitude modéré) : RR 1,63 (IC à 95 % 1,42 à 1,87).
    • Contrôle sur l'éjaculation (critère d’évaluation secondaire, 3 études avec la dapoxétine, n = 4 273, degré de certitude modéré) : RR 2,29 (IC à 95 % 1,72 à 3,05).
    • Temps de latence de l'éjaculation intravaginale (critère d'évaluation secondaire, 20 études, n = 5 872, faible degré de certitude) : augmentation moyenne de 3,09 minutes (IC à 95 % 1,94 à 4,25).
    • Abandon du traitement en raison d'effets indésirables (critère d'évaluation primaire, 20 études, n = 7 367, faible degré de certitude) : RR 3,80 (IC à 95 % 2,61 à 5,51). Résultats spécifiques pour la dapoxétine : posologie de 30 mg selon les besoins : RR 2,44 (IC à 95 % 1,06 à 5,59) ; posologie de 60 mg selon les besoins : RR 6,51 (IC à 95% 3,64 à 11,66).
    • Survenue d'effets indésirables (critère d'évaluation secondaire, 17 études, n = 4 624, degré de certitude modéré) : RR 1,71 (IC à 95 % 1,48 à 1,99). En ce qui concerne spécifiquement la dapoxétine, le RR était de 2,54 (IC à 95 % de 1,34 à 4,81). Un nombre significativement plus élevé de participants ont rapporté des effets indésirables avec un ISRS, par rapport au placebo (critère d'évaluation secondaire, degré de certitude modéré).
    • Les principales lacunes méthodologiques des études incluses étaient un biais de détection (incertitudes concernant la mise en aveugle de l'investigateur), un biais de sélection (incertitudes concernant la randomisation), un biais de mention des résultats (outcome reporting bias, incertitudes concernant la mention sélective des critères d’évaluation) et un biais d'attrition (données incomplètes). Le nombre d’études par critère étant inférieur à 10, la possibilité d'un biais de publication n'a pas pu être évaluée et ne peut donc pas être exclue.

Discussion

Quelques réflexions concernant cette Cochrane Review :

  • Les études incluses dans cette Cochrane Review ne concernent que les hommes dont les symptômes sont présents depuis le premier rapport sexuel. Chez les hommes dont les symptômes sont apparus plus tard, le problème sous-jacent doit être traité, estiment les auteurs.

  • Seul un nombre limité d'études donnait des informations suffisantes pour l'analyse des critères d’évaluation primaires concernant l’efficacité.

  • Les auteurs ne fournissent pas d'informations sur les effets indésirables graves, tels que les syncopes sévères, ni sur le nombre de participants qui abandonnent le traitement pour d’autres raisons que les effets indésirables. Selon une étude observationnelle, le taux d'abandon peut atteindre près de 80 % après six mois. L’abandon s’expliquait notamment par la déception liée à l’incurabilité de l’éjaculation prématurée et l’obligation de prendre la dapoxétine lors de chaque rapport sexuel, les effets indésirables et l’efficacité limitée (voir les Folia de janvier 2019).

  • La Review ne fournit aucune information sur le rapport bénéfice/risque des ISRS par rapport à une approche non-médicamenteuse, ou par rapport à d’autres médicaments étudiés dans l'éjaculation prématurée (clomipramine, inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5, tramadol, anesthésiques locaux3.

Le CBIP reste d’avis, comme énoncé dans les Folia de janvier 2019, que la dapoxétine a une place tout au plus limitée dans la prise en charge de l’éjaculation prématurée. Ceci vaut également pour les autres ISRS (utilisés en off-label). Le CBIP est d’avis que les médecins doivent informer le patient des incertitudes et des risques liés à un tel traitement, et en discuter avec lui.


Sources

Prigily®. Résumé des Caractéristiques du Produit (consulté le 12/10/2021)
Sathianathen NJ, Hwang EC, Mian R, Bodie JA, Soubra A, Lyon JA, Sultan S, Dahm P. Selective serotonin re-uptake inhibitors for premature ejaculation in adult men. Cochrane Database of Systematic Reviews 2021, Issue 3. Art. No.: CD012799. DOI: 10.1002/14651858.CD012799.pub2
3 Bouma J, De Boer JJ, De Jong J, et al. NHG-Standaard seksuele klachten (M87). Nederlands Huisartsen Genootschap november 2015, versie 2.0.  https://richtlijnen.nhg.org/standaarden/seksuele-klachten