Usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires en première ligne

Le mois d’octobre est le moment idéal pour rappeler l’importance de l’usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires. Les messages généraux des précédents articles de Folia à ce sujet (toujours dans les numéros d’octobre) restent d’application. Nous renvoyons aux Folia d’octobre 2019 pour une discussion sur le problème de la résistance.
Dans cet article, les points suivants sont brièvement abordés.
  • Le guide BAPCOC édition 2019 est disponible sur le site Web du CBIP. Dans le Répertoire Commenté des Médicaments, les textes introductifs et les posologies d'antibiotiques sont conformes au guide BAPCOC. Pour plus de détails, voir ici.
  • La léfamuline est un antibiotique récemment autorisé, mais pas encore commercialisé en Belgique (situation au 01/10/2020), indiqué dans les pneumonies bactériennes communautaires. Pour plus de détails, voir ici.
  • L'utilisation d'azithromycine (pendant 3 mois) comme traitement adjuvant en cas d’exacerbation sévère de BPCO n’est pas encore suffisamment étayée. Pour plus de détails, voir ici.
  • Un dosage de la CRP au chevet du patient (point-of-care-test, POCT) pour appuyer la décision de prescrire ou non des antibiotiques en cas d’exacerbations de BPCO pourrait contribuer à réduire le recours aux antibiotiques sans avoir d'effet néfaste sur les résultats cliniques. Pour plus de détails, voir ici.
  • Des données récentes suggèrent une légère augmentation du risque d'anomalies congénitales (surtout cardio-vasculaires) lors de l'utilisation de macrolides pendant la grossesse (pour plus de détails, voir ici).
  • Une autre étude récente suggère un risque accru de mortalité cardio-vasculaire avec l'azithromycine (pour plus de détails, voir ici). Dans les infections des voies respiratoires, la BAPCOC n’accorde qu’une place très limitée aux macrolides : seule l'azithromycine a une place dans les pneumonies atypiques, dans certaines infections des voies respiratoires chez les patients présentant une allergie à la pénicilline IgE médiée, et dans la coqueluche (voir Répertoire 11.1.2.2. et BAPCOC).

Guide BAPCOC édition 2019

En 2019, la BAPCOC (Commission belge de coordination de la politique antibiotique) a publié ses recommandations révisées sur les traitements anti-infectieux en ambulatoire, aussi connues sous le nom de « guide des antibiotiques ». Ces recommandations sont disponibles dans leur intégralité sous le chapitre « Infections » dans la version en ligne du Répertoire, dans le sous-chapitre 11.5. BAPCOC - Guide belge des traitements anti-infectieux en ambulatoire. Pour la section sur le traitement antimicrobien des infections des voies respiratoires, voir BAPCOC 11.5.2. Infections respiratoires.

 Dans le chapitre « Infections » du Répertoire Commenté des Médicaments, lorsque cela est pertinent, il est fait référence au guide BAPCOC dans la rubrique Positionnement des différentes classes d'antibiotiques, sous le point Indications principales en pratique ambulatoire. Les posologies des antibactériens figurant dans le Répertoire correspondent toujours à celles recommandées par la BAPCOC.

Léfamuline, un antibiotique autorisé récemment

En juillet 2020, la léfamuline, un nouvel antibiotique (non commercialisé en Belgique, situation au 01/10/20), a été autorisée au niveau européen pour le traitement (par voie i.v. ou orale) de la pneumonie bactérienne communautaire1. La léfamuline appartient à la classe des pleuromutilines. Il s’agit du premier antibiotique à usage systémique de cette classe. Jusqu’à présent, la léfamuline a seulement été comparée à la moxifloxacine, à laquelle elle s’avérait « non inférieure ».

Commentaire du CBIP. De nouveaux antibiotiques sont mis sur le marché dans l’espoir qu’ils seront capables de combattre les micro-organismes résistants dans les années à venir. Il n'existe toutefois actuellement aucun argument pour dire que la léfamuline apporte un bénéfice en termes de morbidité et de mortalité chez les patients atteints d'infections à germes multirésistants. La moxifloxacine n'a qu'une place très limitée dans les pneumonies communautaires [voir BAPCOC, Infections aiguës des voies respiratoires inférieures chez l'adulte], et on peut se demander pourquoi la léfamuline a seulement été comparée à ce médicament. La léfamuline est susceptible de prolonger l'intervalle QT, et elle est métabolisée par le CYP3A4, des interactions étant possibles. La place de la léfamuline dans la pratique clinique n'est pas claire à l’heure actuelle2.

L'azithromycine comme traitement adjuvant en cas d’exacerbations sévères de BPCO?

Dans la prise en charge de la BPCO, l'utilisation prolongée d'azithromycine (c.-à-d. pendant 1 an) en prévention des exacerbations a une place très limitée. Dans les Folia de juin 2018 sur la prise en charge de la BPCO, nous concluions qu’un « traitement continu avec l’azithromycine ou d’autres macrolides a une place très limitée, et le risque d’émergence de bactéries résistantes reste très préoccupant. » La place des macrolides dans la prise en charge des exacerbations de BPCO a été évaluée dans l'étude belge BACE3.
Cette étude randomisée, contrôlée par placebo, a examiné si un traitement de 3 mois avec de l’azithromycine à faible dose permettait de prévenir l’échec thérapeutique d'une exacerbation sévère de BPCO lorsqu'il était initié à l’admission à l’hôpital en complément des soins standard (corticostéroïdes + antibiotiques). Le critère d'évaluation primaire composite (intensification du traitement avec des antibiotiques et/ou des corticostéroïdes ; intensification des soins hospitaliers ; mortalité) survenait moins fréquemment dans le groupe azithromycine que dans le groupe placebo, mais la différence n'était pas statistiquement significative, probablement en raison d'un manque de puissance statistique.

Commentaire du CBIP. Cette étude ne modifie rien à la prise en charge actuelle des exacerbations de BPCO. L'approche proposée dans cette étude ne doit pas en faire partie. Pour les recommandations de la BAPCOC sur les exacerbations de BPCO, voir BAPCOC 11.5.2.9. Cette étude a fait l'objet d'une discussion dans le magazine de notre organisation sœur Minerva, qui concluait ainsi : “... Probablement par manque de puissance, une différence statistiquement significative n'a pas pu être démontrée. Elle ne remet donc pas en cause les recommandations actuelles en Belgique. De nouvelles études plus puissantes sont cependant espérées.”

Dosage de la CRP sur le lieu d’intervention en cas d’exacerbation aiguë de BPCO

Un dosage de la CRP au chevet du patient (point-of-care-test, POCT) pour appuyer la décision de prescrire ou non un antibiotique face à un patient présentant une exacerbation aiguë de BPCO permet-il de réduire le recours aux antibiotiques, sans effet néfaste sur les résultats cliniques ? Cette question a fait l’objet d’une étude ouverte randomisée4 menée dans des pratiques de médecine générale britanniques auprès de 653 patients présentant une exacerbation aiguë de BPCO (au moins un des symptômes suivants : dyspnée, augmentation du volume des expectorations, augmentation de l’aspect purulent des expectorations).
Dans le groupe ayant subi un dosage de la CRP, il a été communiqué aux médecins généralistes que les antibiotiques ne sont probablement pas utiles en cas de CRP < 20 mg/l, probablement utiles en cas de CRP > 40 mg/l, et qu’ils pourraient être utiles en cas de CRP comprise entre 20 mg/l et 40 mg/l en présence d'expectorations purulentes. Quatre semaines après la randomisation, le recours aux antibiotiques était plus faible dans le groupe ayant bénéficié d’un dosage de la CRP (soins standard + dosage CRP) que dans le groupe témoin (soins standard) : 57% contre 77% (statistiquement significatif). Le résultat clinique était semblable dans les deux groupes (lors de la période de suivi de 6 mois).

Commentaire du CBIP. Cette étude suggère qu’un dosage de la CRP au chevet du patient (point-of-care-test, POCT) comme aide à la décision de prescrire ou non des antibiotiques aux patients souffrant d'une exacerbation de BPCO peut aider à réduire le recours aux antibiotiques, sans avoir d'effet néfaste sur les résultats cliniques. Comme le souligne l'auteur de l'éditorial5 correspondant, cette étude ne nous apprend pas quels patients atteints d'une exacerbation aiguë de BPCO bénéficient réellement d'un antibiotique ou quels sont les antibiotiques les plus appropriés. La BAPCOC est d’avis que les antibiotiques ne sont généralement pas indiqués dans l'exacerbation aiguë de BPCO, sauf dans certaines situations (dont CRP > 40 mg/l, ou CRP entre 20 - 40 mg/l en présence d'expectorations purulentes) : voir BAPCOC 11.5.2.9.

Macrolides pendant la grossesse

Une étude de cohorte rétrospective britannique sur le risque d'anomalies congénitales avec les macrolides6 révèle un risque légèrement accru (2,77 % contre 1,77 %, risque relatif de 1,55 ; IC à 95% : 1,19-2,03) chez les enfants dont la mère s'était vu prescrire un macrolide (1.935 érythromycine, 163 clarithromycine et 72 azithromycine) au cours du premier trimestre, par rapport aux enfants dont la mère s'était vu prescrire une pénicilline. Il s'agissait principalement d'anomalies cardiaques (1,06 % contre 0,66 %). En outre, un risque accru d'anomalies génitales (surtout l’hypospadias) a également été constaté après la prescription de macrolides à un moment donné de la grossesse (0,47 % contre 0,31 %). Les chercheurs appellent à une utilisation prudente des macrolides pendant la grossesse.

Commentaire du CBIP. La plupart des autres études portant sur les macrolides pendant la grossesse ne montrent aucun signal d'anomalies congénitales. Dans le Répertoire, pour les (néo)macrolides, il n'y a pas de rubrique « Grossesse et allaitement », ce qui signifie qu'aucune donnée inquiétante n'a été trouvée dans nos sources (Lareb, CRAT, Drugs in Pregnancy and Lactation (Briggs et al.)). Nous examinons s'il convient de modifier ce point, bien que nous puissions déjà conclure que l’augmentation éventuelle du risque d'anomalies congénitales avec les macrolides sera de toute façon limitée.

Incertitudes concernant le risque cardio-vasculaire des macrolides

Le risque d’une mortalité cardio-vasculaire accrue due aux macrolides a déjà été étudié dans le passé, certaines études suggérant un lien et d'autres pas [voir Folia d'octobre 2013 et octobre 2014]. Une récente étude de cohorte rétrospective américaine vient s'ajouter aux études suggérant un lien entre les macrolides et un risque de mortalité cardio-vasculaire accru7. L'étude a comparé des patients à qui l'on avait prescrit de l'azithromycine en ambulatoire avec des patients qui s’étaient vu prescrire de l'amoxicilline en ambulatoire. La mortalité cardio-vasculaire (notamment suite à une crise cardiaque ou à des arythmies, critère d'évaluation primaire) dans les 5 jours suivant la date de référence (c.-à-d. la date de la prescription) était plus élevée dans le groupe azithromycine que dans le groupe amoxicilline : risque relatif de 1,82 (IC à 95% : 1,23-2,67). L'incidence n’était pas accrue entre le 6e et le 10e jour après la date de référence. Les chercheurs considèrent le risque connu d'allongement de l'intervalle QT comme un mécanisme possible. L'incidence de « mort subite cardiaque » n'était pas accrue. Dans l’étude, on a également observé une mortalité non cardio-vasculaire plus élevée dans le groupe azithromycine (risque relatif de 2,17 (IC à 95% : 1,44-3,25), critère d'évaluation secondaire), que les chercheurs ne peuvent expliquer.

Commentaire du CBIP. Comme c’était le cas des études précédentes, il s'agit ici d'une étude observationnelle, susceptible de présenter des biais et des facteurs de confusion, et ne permettant pas de se prononcer sur une relation de causalité. Nous savons toutefois que l'azithromcycine (et les autres macrolides) peuvent allonger l'intervalle QT et provoquer des torsades de pointes. Par conséquent, dans l'attente de nouvelles données, la prudence reste de mise avec les macrolides, en particulier chez les patients souffrant de maladies cardio-vasculaires ou présentant des facteurs de risque d'allongement de l'intervalle QT, et en cas d'association avec d'autres médicaments susceptibles d'allonger l'intervalle QT [voir Intro.6.2.2.]. Il convient de respecter les indications bien définies des macrolides. Dans les infections des voies respiratoires, la BAPCOC n’accorde qu’une place très limitée aux macrolides : seule l'azithromycine a une place dans les pneumonies atypiques, dans certaines infections des voies respiratoires chez les patients présentant une allergie à la pénicilline IgE médiée, et dans la coqueluche (voir Répertoire 11.1.2.2. et BAPCOC).

Sources spécifiques

EMA. Xenleta (lefamulin). Via https://www.ema.europa.eu/en/medicines/human/EPAR/xenleta
Lefamulin (Xenleta) for Community-Acquired Bacterial Pneumonia. The Medical Letter 2019;61:145-8
Vermeersch K, Gabrovska M, Aumann J, et al. Azithromycin during acute chronic obstructive pulmonary disease exacerbations requiring hospitalization (BACE): a multicenter, randomized, double-blind, placebo-controlled trial. Am J Respir Crit Care Med 2019;200:857-68 (doi: 10.1164/rccm.201901-0094OC), avec discussion dans Minerva
4 Butler CC, Gillespie D, White P et al. C-Reactive Protein Testing to Guide Antibiotic Prescribing for COPD Exacerbations. N Engl J Med 2019;381:111-20 (doi: 10.1056/NEJMoa1803185), avec discussion dans DTB Select 2020;58:85 (doi: 10.1136/dtb.2020.000016)
5 Brett AS en Al-Hasan MN. Editorial. COPD Exacerbations — A Target for Antibiotic Stewardship. N Engl J Med 2019;381:174-5 (doi: 10.1056/NEJMe1905520)
6 Fan H, Gilbert R, O’Callaghan et al. Associations between macrolide antibiotics prescribing during pregnancy and adverse child outcomes in the UK: population based cohort study. BMJ 2020;368:m331 (http://dx.doi.org/10.1136/bmj.m331)
7 Zaroff JG, Cheetham C, Palmetto N et al. Association of Azithromycin Use With Cardiovascular Mortality.  JAMA Network Open 2020;3:e208199 (doi:10.1001/jamanetworkopen.2020.8199)