Profil d’innocuité des AOD: des données en conditions réelles rassurantes sur le risque hémorragique selon l’EMA; attention cependant au sous- ou surdosage

Sur base d'une grande étude observationnelle, l'Agence européenne des médicaments (EMA) conclut que les anticoagulants oraux directs (AOD) en conditions réelles d’utilisation ne sont pas associés à un risque hémorragique supplémentaire. Il n’est donc pas nécessaire de modifier les conditions d’utilisation des AOD chez les patients atteints de fibrillation auriculaire (FA). L’incidence des hémorragies sévères parmi les patients sous AOD était comparable à celle observée dans les grandes études randomisées qui appuient l’usage des AOD dans la FA.
Une étude néerlandaise confirme que le dosage des AOD est régulièrement source d’erreurs. Il est indiqué d’ajuster spécifiquement les doses d’AOD selon la fonction rénale, mais parfois aussi selon l'âge, le poids ou les traitements concomitants. Des décisions sont souvent prises en s’appuyant sur des données incomplètes. On décrit aussi bien des cas de sous-dosage que de surdosage.
Le CBIP rappelle que les recommandations posologiques des RCP doivent être strictement suivies au moment de prescrire des AOD. Toute réduction de la dose en dehors de ces critères doit être évitée en raison du risque de sous-traitement.

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Avis de l’EMA: il n’est pas nécessaire de modifier les conditions d’utilisation des AOD

Les anticoagulants oraux directs (AOD) sont de plus en plus utilisés dans la fibrillation auriculaire (FA), un trouble qui se manifeste surtout chez les personnes âgées. Dès l'introduction des AOD, on a craint que les risques d'effets indésirables et d'interactions ne soient plus élevés dans la réalité que dans le contexte des RCT, qui observent un suivi beaucoup plus strict et concernent une sélection de patients plus jeunes et/ou ayant un mode de vie plus sain ou moins de comorbidités.

Après avoir évalué de manière approfondie une grande étude observationnelle incluant des données en conditions réelles, l'Agence européenne des médicaments (EMA) conclut que l'utilisation des AOD dans des conditions réelles n’est pas associée à un risque hémorragique supplémentaire et qu’il n’est donc pas nécessaire de modifier les conditions d’utilisation de l'apixaban, du dabigatran et du rivaroxaban chez les patients atteints de fibrillation auriculaire1. Cette étude, menée à l’initiative de l'EMA, rassemble les données de plusieurs grandes bases de données-patients de 6 pays européens. On ne dispose pas de données concernant l’édoxaban, l’AOD le plus récemment commercialisé. L'incidence des hémorragies sévères chez les utilisateurs d’AOD était comparable à celle observée dans les grandes études randomisées qui appuient l'utilisation des AOD dans la FA.

Selon les premiers résultats de l’étude (l'étude n'a pas encore été publiée dans une revue examinée par des pairs), le risque hémorragique était plus faible avec l'apixaban qu'avec le dabigatran ou le rivaroxaban2. L’EMA déclare toutefois que les données de cette étude ne permettent pas de tirer des conclusions solides concernant une différence en termes de risque hémorragique entre ces 3 AOD (comparaisons indirectes, données observationnelles). Chez un nombre important de patients, il semble que la prescription des AOD n’ait pas suffisamment tenu compte des contre-indications, des précautions particulières et des interactions potentielles2. On a toutefois constaté des variations importantes à ce sujet dans les différentes bases de données et l'EMA estime donc qu’il n’y a pas suffisamment de données solides pour prouver que les conditions d’utilisation mentionnées dans le RCP n’étaient pas suffisamment respectées. L'EMA demande toutefois aux fabricants des AOD de mener des études supplémentaires sur le risque hémorragique accru chez les personnes âgées (patients > 75 ans) et d'examiner si d’autres ajustements de la posologie recommandée doivent être prévus chez ces patients.

Étude néerlandaise: sous-dosage, surdosage et données manquantes

La dose de chaque AOD doit être ajustée selon la fonction rénale, mais parfois aussi selon le poids et/ou l'âge et/ou les traitements concomitants. Une étude néerlandaise, publiée à la fin de l'année 2019, attire à nouveau l’attention sur le problème des erreurs de dosage lors de la prescription des AOD3. Cette étude observationnelle rétrospective, menée auprès de 3.231 patients atteints de fibrillation auriculaire chez lesquels un traitement par AOD avait été initié, a vérifié si des erreurs avaient été faites lors de la prescription des AOD.

Dans 10,7 % des cas, la prescription de l’AOD ne s’avérait pas correcte. La majorité des cas concernaient des erreurs de réduction ou d’absence de réduction de la dose. En outre, chez 14,1% des patients, les données disponibles étaient insuffisantes pour vérifier si l’AOD avait été prescrit correctement.
Sur l’ensemble des patients, 5,4% patients se sont vu prescrire à tort une dose réduite (sous-dosage et donc risque de diminution de l'efficacité). 4,5% de tous les patients ont reçu à tort la dose complète d’AOD, alors qu'une réduction de la dose était recommandée (surdosage et donc risque hémorragique accru).
 

Etude observationnelle rétrospective, menée auprès de 3.231 patients atteints de fibrillation auriculaire chez lesquels un traitement par AOD avait été initié La majorité des patients (66%) prenaient du dabigatran, 28% de l'apixaban et 6% du rivaroxaban. Une dose réduite a été prescrite à un tiers des patients (43,6% des utilisateurs de dabigatran, 15,9% des utilisateurs d'apixaban et 10,7% des utilisateurs de rivaroxaban).
 
Dans 10,7 % des cas, la prescription de l’AOD ne s’avérait pas correcte. La majorité des cas concernaient des erreurs de réduction ou d’absence de réduction de la dose. D'autre part, 24 patients se sont vu prescrire un AOD à une dose qui n'était pas enregistrée pour cette indication (dabigatran 75 mg, rivaroxaban 10 mg); 54 patients à faible risque (déterminé par le score CHA2DS2-VASc), qui en principe n’étaient pas éligibles pour un traitement d'anticoagulation orale, se sont néanmoins vu prescrire un AOD; et 4 patients souffrant d'insuffisance rénale sévère se sont vu prescrire un AOD alors qu’il était contre-indiqué chez eux.
 
Sur l’ensemble des patients, 5,4% patients se sont vu prescrire à tort une dose réduite (sous-dosage et donc risque de diminution de l'efficacité). Ces cas concernaient surtout l'apixaban : chez 41,4% des patients ayant reçu une dose réduite d’apixaban, cet ajustement de dose n'était pas nécessaire. Un grand nombre de personnes de plus de 80 ans a reçu la dose réduite, alors que l’âge avancé en soi ne suffit pas pour justifier une réduction de la dose d'apixaban.
 
4,5% de tous les patients ont reçu à tort la dose complète d’AOD, alors qu'une réduction de la dose était recommandée (surdosage et donc risque hémorragique accru). Ces cas concernaient surtout le dabigatran: chez 9,4% des patients traités avec une dose complète de dabigatran, une dose réduite aurait dû être prescrite. On a surtout oublié de réduire la dose en fonction des critères suivants: utilisation concomitante de vérapamil ou fonction rénale altérée (selon le RCP actuel, la réduction de la dose en cas d'insuffisance rénale modérée est seulement à envisager; dans l’étude en question, on a toutefois estimé qu’elle était recommandée).

 Enfin, chez 14,1% des patients, les données disponibles étaient insuffisantes pour vérifier si l’AOD avait été prescrit correctement. Dans la très grande majorité des cas, c’étaient les données sur la fonction rénale qui manquaient (13,9% de tous les patients), mais les données sur le poids manquaient aussi régulièrement (3,8% de tous les patients).

Avis du CBIP

Nous avions déjà souligné le problème des mauvais ajustements de dose dans les Folia de décembre 2017, suite à une étude américaine qui avait surtout signalé le danger de surdosage chez les patients présentant une fonction rénale altérée. Dans l’étude néerlandaise abordée ici, seuls 10 % des patients présentaient une altération de la fonction rénale, ce qui explique probablement pourquoi, dans cette étude, le sous-dosage constituait un problème au moins aussi important.
Le KCE avait également déjà signalé qu'en Belgique, 43% des patients atteints de fibrillation auriculaire traités par un AOD reçoivent une dose inférieure à celle étudiée dans les études cliniques4. Il existe donc probablement en Belgique également quelques cas de patients sous-traités. Étant donné qu’il n’est pas possible de surveiller la coagulation chez les patients sous AOD au moyen d'un test de laboratoire de routine, cela passe généralement inaperçu. Il reste souhaitable qu'à terme, de tels tests de laboratoire pour le suivi d’un traitement par AOD deviennent disponibles en routine.
 
Les recommandations posologiques des RCP doivent être strictement suivies au moment de prescrire des AOD. Les critères actuels justifiant une réduction de la dose selon le RCP sont mentionnés ci-dessous. Les recommandations posologiques les plus récentes peuvent être consultées dans le Répertoire Commenté des Médicaments (Chapitre 2.1.2.1.2. Anticoagulants oraux directs). Toute réduction de la dose en dehors de ces critères doit être évitée en raison du risque de sous-traitement.
 

Ajustement de la dose des AOD en prévention thromboembolique dans la fibrillation auriculaire
  Dose complète Dose réduite Réduction de la dose en cas de
Apixaban 10 mg p.j. en 2 prises 5 mg p.j. en 2 prises
  • insuffisance rénale sévère
  • 2 ou plus des caractéristiques suivantes:
    • âge ≥ 80 ans
    • poids ≤ 60 kg
    • créatininémie ≥ 1,5 mg/dl
Dabigatran 300 mg p.j. en 2 prises 220 mg p.j. en 2 prises Recommandée:
  • âge ≥ 80 ans
  • utilisation simultanée de vérapamil
À envisager:
  • âge 75-80 ans
  • insuffisance rénale modérée (l’insuffisance rénale sévère est une contre-indication)
  • patients souffrant de gastrite, œsophagite ou reflux gastro-œsophagien
  • patients avec un risque hémorragique élevé
Édoxaban 60 mg p.j. en 1 prise 30 mg p.j. en 1 prise
  • poids ≤ 60 kg
  • insuffisance rénale modérée ou sévère
  • utilisation simultanée de ciclosporine*
Rivaroxaban 20 mg p.j. en 1 prise 15 mg p.j. en 1 prise
  • insuffisance rénale modérée ou sévère
 * La dronédarone, l'érythromycine et le kétoconazole sont également mentionnés dans le RCP d'édoxaban, mais ne sont pas disponibles à usage oral en Belgique.


Sources spécifiques

1 European Medicines Agency. No change is needed in use of direct oral anticoagulants following EMA-funded study. Press release 27/03/2020. https://www.ema.europa.eu/en/news/no-change-needed-use-direct-oral-anticoagulants-following-ema-funded-study
2 DTB Team. EMA reviews bleeding risk with direct oral anticoagulants. Drug Ther Bull. 2019;57:88. doi: 10.1136/dtb.2019.000031​
3 Jacobs MS, van Hulst M, Campmans Z, Tieleman RG. Inappropriate non-vitamin K antagonist oral anticoagulants prescriptions: be cautious with dose reductions. Neth Heart J. 2019;27:371-7. doi: 10.1007/s12471-019-1267-9​
4 KCE. Anticoagulation et fibrillation auriculaire. KCE Reports 279A (2016).
https://kce.fgov.be/fr/anticoagulation-et-fibrillation-auriculaire