Grossesse et allaitement: prise en charge des nausées et vomissements (mise à jour d’octobre 2021)
- Il est important de distinguer les plaintes moins sévères d’une hyperémèse gravidique, forme sévère des vomissements pendant la grossesse qui nécessite une prise en charge différente, impliquant souvent une hospitalisation.
- Les mesures non médicamenteuses sont à privilégier. Si celles-ci ne suffisent pas, un traitement médicamenteux peut être envisagé.
- La prudence s'impose dans la décision de prescrire un médicament et dans le choix du médicament, les symptômes survenant le plus souvent au moment critique de l'organogenèse. Il n’est pas évident d’interpréter les données de la littérature, étant donné leur nombre souvent limité et la faible qualité des preuves.
- Selon nos sources habituelles, le gingembre, la pyridoxine, la doxylamine, la méclozine et le métoclopramide peuvent être utilisés pendant la grossesse.
Selon nos sources habituelles, pendant la période d’allaitement, le gingembre, la pyridoxine, la dompéridone et le métoclopramide peuvent être utilisés.
Grossesse
Des nausées et des vomissements surviennent fréquemment en début de grossesse.
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Généralement, ces symptômes sont bénins et régressent spontanément ou grâce à des mesures non médicamenteuses. Ces mesures sont la base de la prise en charge et consistent en un régime alimentaire adapté, c.-à-d. une hydratation suffisante et en petites quantités (préférer des boissons froides) et le fractionnement des repas (préférer les plats froids, riches en protéines et en sucres et pauvres en graisses). De plus, l’éviction d’odeurs fortes et du repos sont recommandés1. Pour d’autres mesures non médicamenteuses telles que l’acupuncture, on ne dispose pas de preuves valables d'une efficacité supérieure à celle d’un placebo1,2.
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L’hyperémèse gravidique (hyperemesis gravidarum) consiste en des vomissements très intenses, avec des possibles répercussions néfastes sur la santé de la mère et sur le développement fœtal. Dans ce cas, un traitement médicamenteux va de pair avec une prise en charge des éventuelles complications (déshydratation, troubles électrolytiques et métaboliques, carence nutritionnelle), très souvent en milieu hospitalier1,3.
Prise en charge médicamenteuse
Lorsque les mesures non médicamenteuses ne suffisent pas, un traitement médicamenteux peut être envisagé. La prudence s'impose dans la décision de prescrire un médicament et dans le choix du médicament, les symptômes survenant la plupart du temps au moment critique de l'organogenèse.
Les données sur l’innocuité des antiémétiques exposés ci-dessous proviennent de nos sources habituelles, à savoir l’ouvrage Drugs in Pregnancy and Lactation. A Reference Guide to Fetal and Neonatal Risk (Briggs), le site Web du “Bijwerkingencentrum Lareb” (Pays-Bas) et le site Web du CRAT (Centre de Référence sur les Agents Tératogènes, France), ainsi que de quelques articles de la revue Prescrire1-4. Les produits mentionnés ci-dessous ne sont cependant pas tous repris dans chacune de ces sources.
On ne dispose que de très peu de preuves de bonne qualité sur l’efficacité des médicaments antiémétiques dans la prise en charge des nausées et des vomissements pendant la grossesse.
Pour les médicaments homéopathiques, on ne dispose pas de preuves solides d'une efficacité supérieure au placebo1,2.
Tableau. Recommandations de nos sources habituelles sur l’utilisation des antiémétiques pendant la grossesse
Antihistaminiques H1:
Doxylamine |
Peut être utilisée. Pour la doxylamine il n’y a pas d’indices d’un effet tératogène chez l’animal ni chez l’être humain. Il n’est pas clair si l’exposition en fin de grossesse à la doxylamine donne lieu à des effets indésirables chez le nouveau-né.
En Belgique, la doxylamine est uniquement disponible sous forme d’association avec la pyridoxine. Cette spécialité a pour seule indication dans le RCP le traitement des nausées et vomissements légers à modérés pendant la grossesse. |
Diphenhydramine |
Peut être utilisée. Dans nos sources habituelles, la diphenhydramine n’est pas mentionnée comme option thérapeutique en cas de nausées et vomissements pendant la grossesse. Elle n’est pas tératogène chez l’animal et les données chez l’être humain ne montrent pas d’augmentation du risque global de malformations. Elle a été moins étudiée pendant la grossesse que la doxylamine4.
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Méclozine |
Peut être utilisée. A très haute dose (20 à 50 fois la dose utilisée chez l’humain), la méclozine est tératogène chez l’animal. Les données chez l’être humain ne montrent pas d’augmentation du risque global de malformation, ni de risque de malformation spécifique, p. ex. cardiaque.
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Diménhydrinate |
Peut être utilisé. Dans nos sources habituelles, le diménhydrinate n’est pas mentionné comme option thérapeutique en cas de nausées et vomissements pendant la grossesse. Il n’est pas tératogène chez l’animal et les données chez l’être humain ne montrent pas d’augmentation du risque global de malformations. Il a été moins étudié pendant la grossesse que la doxylamine4.
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Gastroprocinétiques:
Métoclopramide |
Peut être utilisé. Les données sur l’utilisation du métoclopramide au premier trimestre de la grossesse ne montrent pas de risque de malformations congénitales. Par contre, il faut tenir compte du risque de troubles extrapyramidaux chez la mère et privilégier un traitement court (max. 5 jours). La revue Prescrire2 mentionne un risque possible d’effets indésirables pour le fœtus en cas d’exposition aux 2e et 3e trimestres de la grossesse (troubles cardiaques et extrapyramidaux) et en fin de grossesse (somnolence, troubles de la régulation thermique). Les effets à long terme d’une exposition in utero ne sont pas connus.
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Dompéridone |
Ne peut être utilisé qu’en cas de vomissements intenses (voir Commentaires). Selon le Lareb, on ne dispose pas de suffisamment de données chez l’être humain pour pouvoir déterminer le risque pour le fœtus. De plus, la dompéridone augmente le risque d’allongement de l’intervalle QT chez la mère. Ce risque est d’autant plus accru en cas de vomissements intenses avec risque de troubles électrolytiques, un facteur de risque connu d’allongement de l’intervalle QT [voir Introduction 6.2.2. du Répertoire]. C’est pourquoi la dompéridone ne peut être utilisée que pendant une courte période. On ne dispose pas de données sur le risque d’allongement de l’intervalle QT chez le fœtus.
Selon le CRAT, les données sur la dompéridone pendant la grossesse sont nombreuses et rassurantes, mais la dompéridone est à utiliser en dernier recours. |
Alizapride |
Déconseillée. On ne dispose pas de suffisamment de données pour pouvoir évaluer le risque pour le fœtus.
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Antagonistes 5HT3:
Ondansétron |
Ne peut être utilisé qu’en cas de vomissements intenses (voir Commentaires). On n’a pas observé d’augmentation du risque global de malformations mais il y a des indices d’un risque légèrement accru de fentes labiopalatines. Les données concernant le risque de troubles cardiaques sont contradictoires. Pour ces raisons, nos sources habituelles conseillent d’éviter si possible son usage pendant le premier trimestre. L’ondansétron, utilisé par voie intraveineuse à doses élevées, a été associé à un allongement de l’intervalle QT. La prudence s’impose donc chez les femmes déshydratées et présentant des troubles électrolytiques (par ex. une hypokaliémie) [voir Folia de février 2020].
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Autres antagonistes 5HT3 |
Déconseillés. On ne dispose d’aucune ou de très peu de données sur leur utilisation pendant la grossesse, ce qui ne permet pas de se prononcer sur des risques éventuels.
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Corticostéroïdes:
Corticostéroïdes |
Déconseillés. Dans nos sources habituelles, les corticostéroïdes ne sont plus considérés comme une option thérapeutique ou sont considérés comme à utiliser en tout dernier recours, en raison de suspicions de tératogénicité et d’un manque de preuves de bonne qualité sur leur efficacité pendant la grossesse.
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Compléments alimentaires:
Gingembre |
Peut être utilisé. Efficacité modeste contre les nausées mais pas contre les vomissements1. Les données sur l’innocuité du gingembre pendant la grossesse sont limitées mais l’expérience d’utilisation est large. Jusqu’à présent, il n’y a pas d’indices d’un effet tératogène ni d’effets indésirables pour le fœtus.
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Pyridoxine |
Peut être utilisée. Il n’y a pas d’indices d’effets nocifs sur le développement fœtal ou le décours de la grossesse. La pyridoxine, au dosage approprié, n’est disponible que sous forme d’association avec la doxylamine. Cependant, son ajout à la doxylamine ne présente probablement pas de plus-value en termes d’efficacité.
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Commentaires
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Il n’est pas évident d’évaluer les données disponibles chez la femme enceinte, étant donné leur nombre souvent limité et la faible qualité des preuves: il s’agit presqu’exclusivement de données épidémiologiques et de case reports, les résultats d’études chez l’animal étant difficilement extrapolables. De plus, le pourcentage de base des malformations congénitales (c.-à-d. lorsqu’aucun médicament n’est pris) est estimé à 2 à 4%, ce qui rend difficile l’interprétation des résultats d’études quant au risque de malformations dû à un médicament. Ce manque de données de bonne qualité incite certaines firmes pharmaceutiques à prendre le moins de risques possibles et de ce fait, à déconseiller souvent l’usage de leur médicament pendant la grossesse et la période d’allaitement. Les données contenues dans les RCP ne sont donc pas d’une grande aide [voir Introduction 6.4. du Répertoire]. Il ne faut toutefois pas oublier l’aspect médico-légal dans ce contexte.
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En cas de plaintes légères à modérées, il faut privilégier les mesures non médicamenteuses. Si ces mesures ne suffisent pas, la doxylamine ou la méclozine (off-label) peuvent être utilisées, pendant la période la plus brève possible. La méclozine est moins sédative que la diphenhydramine ou le diménhydrinate. Une association a été rapportée entre l’utilisation d’antihistaminiques H1 pendant les deux dernières semaines de la grossesse et des cas de rétinopathie du prématuré. Le métoclopramide (pendant max. 5 jours) est une bonne alternative.
En cas de vomissements intenses, le métoclopramide semble être le premier choix. Il vaut mieux utiliser l’ondansétron et la dompéridone (ce dernier seulement pendant une courte période) seulement en cas de vomissements intenses et échec du métoclopramide (voir détails dans le tableau). Vu les indices d’un risque légèrement accru de fentes labiopalatines, les autorités européennes ont quant à elles récemment décidé qu’il doit être mentionné dans le RCP que l’ondansétron ne peut être utilisé pendant le premier trimestre de la grossesse [voir Folia de février 2020]. Selon nos sources habituelles l’alizapride, les autres antagonistes 5HT3 et les corticostéroïdes sont déconseillés pendant la grossesse (voir tableau ci-dessus). -
La doxylamine (en combinaison avec la pyridoxine) est le seul antiémétique qui a pour indication dans le RCP le traitement des nausées et des vomissements pendant la grossesse. Pour les autres antiémétiques, il s’agit d’un usage off-label dans ce contexte.
Période d’allaitement
Lorsqu’un antiémétique est nécessaire chez une femme qui allaite, il faut tenir compte du passage éventuel de ce médicament dans le lait maternel et des effets indésirables potentiels pour l’enfant allaité. Etant donné que la concentration du médicament dans le lait maternel suit le plus souvent la concentration dans le plasma, on administrera dans la plupart des cas le médicament juste après une tétée [voir Intro.6.4. de notre Répertoire].
On ne dispose que de très peu de données de bonne qualité sur l’innocuité des antiémétiques pendant la période d’allaitement. Selon nos sources habituelles:
- le gingembre, la pyridoxine, la dompéridone et le métoclopramide peuvent être utilisés. Le Lareb émet une préférence pour la dompéridone par rapport au métoclopramide.
- la doxylamine, la diphenhydramine, l’alizapride, les antagonistes 5HT3 et les corticostéroïdes sont déconseillés.
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Gingembre: on ne dispose pas de données sur son innocuité mais son utilisation est probablement sûre.
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Pyridoxine: peut être utilisée. Son ajout à la doxylamine ne présente pas de plus-value en termes d’efficacité.
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Doxylamine: déconseillée vu le manque de données et les effets indésirables possibles (effets anticholinergiques et sédatifs) chez l’enfant allaité.
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Diphenhydramine: déconseillé vu le manque de données et les effets indésirables possibles (effets anticholinergiques et sédatifs) chez l’enfant allaité.
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Méclozine: est excrétée dans le lait maternel mais son utilisation est probablement sûre.
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Diménhydrinate: déconseillé vu l’absence de données et les effets indésirables possibles (effets anticholinergiques et sédatifs) chez l’enfant allaité.
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Métoclopramide: peut être utilisé mais seulement sur une courte période (max 5 jours). Il faut tenir compte du risque de troubles extrapyramidaux et de somnolence chez la mère, et peut-être aussi chez l’enfant allaité.
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Dompéridone: ne peut être utilisée que sur une courte période (max 7 jours), vu le risque d’allongement de l’intervalle QT chez la mère. Selon le Lareb, la survenue d’effets indésirables cardiaques chez l’enfant allaité n’a pas été signalée mais ne peut être exclue.
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Alizapride: déconseillé car on ne dispose pas de suffisamment de données pour évaluer le risque chez l’enfant allaité.
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Les antagonistes 5HT3: déconseillés. On ne dispose d’aucune ou de très peu de données sur leur utilisation pendant la période d’allaitement, ce qui ne permet pas de se prononcer sur des risques éventuels.
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Corticostéroïdes: déconseillés. On ne dispose que de très peu de données sur leur utilisation pendant la période d’allaitement, ce qui ne permet pas de se prononcer sur des risques éventuels.
Sources
1 Premiers choix Prescrire. Nausées et vomissements bénins liés à une grossesse. Prescrire, actualisation mai 2021;
2 Vomissements intenses avec déshydratation chez les femmes enceintes. Prescrire, 2019 ; 39 : 754-760
3 Ondansétron et grossesse : un doute sur des malformations cardiaques. Prescrire, 2016 ; 36 : 25.
4 Patientes enceintes gênées par des nausées-vomissements modérés. Prescrire, 2013 ; 33 : 594-600.