Interactions entre les médicaments et l’alcool
Résumé |
- Les interactions entre les médicaments et l’alcool dont les conséquences peuvent être sévères font l’objet de cet article. Il importe de mettre en garde le patient contre de telles interactions. - Les interactions potentiellement graves lors de chaque prise d’alcool (occasionnelle ou chronique) sont entre autres: une interférence avec les effets centraux (entre autres renforcement de la sédation en cas de prise de médicaments à effet sédatif), un « effet disulfirame », et un risque accru d’hypotension (entre autres avec les dérivés nitrés et les antihypertenseurs) et d’hypoglycémie (avec les antidiabétiques). - Les interactions qui sont particulièrement importantes en cas d’alcoolisme chronique ou de consommation excessive d’alcool sont entre autres un risque accru de toxicité hépatique (e.a. avec le méthotrexate et le paracétamol) et d’hémorragies gastro-intestinales (avec l’acide acétylsalicylique et les AINS). Une induction enzymatique a été décrite suite à la consommation chronique d’alcool (avec comme conséquence une diminution de la concentration plasmatique de la phénytoïne entre autres) mais lors de la survenue d’une atteinte hépatique, le métabolisme des médicaments peut être plus ou moins ralenti. - Il existe des valeurs limites qui définissent la consommation d’alcool « inoffensive », mais celles-ci donnent une fausse impression de sécurité en cas de prise de médicaments à effet sédatif. Le risque de traumatisme grave dû à un accident de la route augmente ainsi de manière disproportionnée lorsque le conducteur roule sous l’influence d’une combinaison d’alcool et d’un médicament à effet dépresseur central. |
Des études épidémiologiques révèlent que la consommation d’alcool lors d’un traitement avec un médicament susceptible d’interagir avec l’alcool est fréquente, et qu’il est donc probable que des interactions ayant un impact clinique important se manifestent régulièrement.
Voir Alcoholism: Clinical and Experimental Research 2015;39:371-9 (doi:10.1111/acer.12633)
Le présent article passe en revue les principales interactions alcool/médicaments, sans pour autant être exhaustif; les interactions avec les drogues récréatives ne sont pas abordées.
1. Interactions potentiellement importantes lors de chaque prise d’alcool (occasionnelle ou chronique)
1.1. Interférence avec les effets centraux
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Plusieurs médicaments peuvent davantage diminuer le fonctionnement psychomoteur en cas de consommation d’alcool (voir Tableau 1), généralement en raison d’un effet sédatif supplémentaire. Ceci peut avoir des conséquences importantes en cas de conduite d’un véhicule ou d’utilisation de machines dangereuses. Il existe des valeurs limites de concentrations plasmatiques d’alcool légalement autorisées en cas de conduite d’un véhicule, ainsi que des valeurs limites d’une consommation d’alcool considérée comme étant « inoffensive » ou « à risque ».
- Le taux légal maximal d’alcool autorisé dans le sang lors d’un test d’alcool au volant est en Belgique actuellement de 0,5 g/l (= 0,5 pro mille) pour les conducteurs non professionnels, et de 0,2 g/l (= 0,2 pro mille) pour les chauffeurs professionnels (situation au 01/06/16).
- Pour le nombre d’unités d’alcool par jour qui est utilisé pour évaluer les risques à long terme de la consommation d’alcool (p.ex. abus et dépendance, troubles de la fonction hépatique), nous renvoyons à un article dans le N Engl J Med [2005;352:597-607].Il convient toutefois de souligner que ces valeurs limites donnent une fausse impression de sécurité en cas de prise simultanée de médicaments à effet sédatif. Le risque de traumatisme grave dû à un accident de la route est d’autant plus élevé lorsque plus de 0,1 g/l d’alcool est présent dans le sang, et ce risque augmente de manière disproportionnée lorsque le conducteur roule sous l’influence d’une combinaison d’alcool et d’un médicament à effet dépresseur central.
Il ressort d’une étude européenne que la combinaison d’alcool + un médicament à effet dépresseur central augmente très fortement le risque d’un grave accident de la route (c.-à-d. avec des blessures graves ou à issue fatale), même lorsque la quantité d’alcool consommée n’est pas très prononcée: risque relatif de 20 à 200 par rapport à une conduite sobre. Ceci est comparable avec le risque observé en cas d’alcoolémie ≥ 1,2 g/l (c.-à-d. ≥ 1,2 pro mille) sans prise de médicaments à effet dépresseur central. A titre de comparaison: le risque relatif d’un grave accident de la route en cas de consommation d’alcool sans médicament à effet dépresseur central, par rapport à la conduite sobre, est de 1 à 3 pour une alcoolémie entre 0,1 et 0,5 g/l (c.-à-d. entre 0,1 et 0,5 pro mille); de 2 à 10 pour une alcoolémie entre 0,5 et 0,8 g/l (c.-à-d. entre 0,5 et 0,8 pro mille), et de 5 à 30 pour une alcoolémie entre 0,8 et 1,2 g/l (c.-à-d. entre 0,8 et 1,2 pro mille). [Source: Druid, final report, 2012; sur www.druid-project.eu/Druid/EN/Dissemination/downloads_and_links/Final_Report.pdf]
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Le méthylphénidate peut donner la fausse impression de ne pas être sous l’influence de l’alcool mais ne diminue pas les effets toxiques de l’alcool.
Tableau 1. Médicaments pouvant aggraver davantage le fonctionnement psychomoteur lors de la prise d’alcool
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1.2. Effet disulfirame
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En cas de consommation d’alcool, le disulfirame induit, en raison d’une interférence avec le métabolisme de l’alcool, un certain nombre de réactions désagréables: entre autres flush facial, céphalées pulsatiles, palpitations, nausées et vomissements. En cas de grandes quantités d’alcool, un collapsus cardio-vasculaire potentiellement fatal peut survenir. Ces réactions liées à l’alcool peuvent même survenir jusqu’à 2 semaines après la dernière prise de disulfirame.
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Des réactions de type disulfirame ont également été décrites pour un certain nombre d’autres médicaments: voir Tableau 2. L’incidence de telles réactions est faible et les réactions ne sont généralement pas sévères.
1.3. Augmentation du risque d’hypotension orthostatique
Certains médicaments augmentent le risque d’hypotension orthostatique en cas de consommation d’alcool: voir Tableau 3.
1.4. Augmentation du risque d’hypoglycémie
L’alcool est susceptible d’aggraver l’hypoglycémie provoquée par des antidiabétiques et masque par ailleurs les symptômes d’une hypoglycémie. Les patients diabétiques ne doivent pas nécessairement se priver complètement d’alcool, mais on recommande au moins une consommation modérée. La consommation d’alcool à jeun est déconseillée chez les patients diabétiques.
1.5. Augmentation du risque de convulsions (voir aussi 2.3.)
Même si les patients épileptiques ne doivent pas nécessairement se priver complètement d’alcool, il convient de signaler que s’ils boivent 3 à 4 unités d’alcool ou plus, le risque de convulsions peut être accru, surtout 7 à 48 heures après le dernier verre.
1.6. Interactions diverses
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Acitrétine: la métabolisation de l’'acitrétine en étrétinate est plus importante en cas de prise d’alcool; l’étrétinate est encore plus tératogène que l’acitrétine, et a par ailleurs une plus longue demi-vie. Afin d’empêcher une transformation supplémentaire en étrétinate, les femmes en âge de procréer doivent éviter la prise d’alcool pendant un traitement par l’acitrétine ainsi que pendant les deux mois qui suivent l’arrêt du traitement. De toute manière, la grossesse doit être évitée pendant le traitement par l’acitrétine et jusqu’à 3 ans après l’arrêt du traitement.
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Niclosamide: l’alcool augmente sa résorption, avec risque accru d’effets indésirables (réactions gastro-intestinales surtout).
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Vérapamil: lors de la prise d’alcool, l’alcoolémie peut être plus élevée que prévu et rester élevée plus longtemps.
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Comme c’est le cas pour certains fromages, certaines bières et certains vins contiennent suffisamment de tyramine pour provoquer de graves crises hypertensives en cas de prise de phénelzine, un inhibiteur non sélectif des MAO. Il est cependant difficile de donner un avis univoque, entre autres en raison des quantités variables de tyramine dans une même sorte de bière ou de vin. Avec la moclobémide, un inhibiteur réversible des MAO, le risque d’interaction avec la tyramine est beaucoup moins élevé qu’avec la phénelzine, et une interaction avec des boissons alcoolisées riches en tyramine est improbable. La rasagiline, la safinamide et la sélégiline, des inhibiteurs de la MAO-B utilisés dans la maladie de Parkinson, n’interagissent pas avec la tyramine.
2. Interactions principalement importantes en cas d’alcoolisme chronique ou d’une consommation excessive d’alcool
2.1. Hépatotoxicité accrue
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En cas d’alcoolisme chronique ou d’une consommation excessive d’alcool, un risque accru d’hépatotoxicité a été décrit pour certains médicaments: voir Tableau 4. Toutefois, les données sont généralement limitées et sont surtout basées sur la casuistique.
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Pour le paracétamol, la dose maximale chez les patients qui présentent des troubles de la fonction hépatique - dus à une consommation chronique d’alcool p. ex. - doit être limitée à 3 grammes par jour; étant donné que le risque de toxicité hépatique augmente davantage en cas de jeûne ou de sous-alimentation chronique, la dose maximale est de préférence limitée à 2 grammes par jour chez les patients < 50 kg présentant des troubles de la fonction hépatique. Lors de la phase de sevrage alcoolique, le risque d’hépatotoxicité lié au paracétamol peut être accru, et on utilisera de préférence maximum 2 grammes par jour. La prise chronique d’alcool augmente davantage le risque d’hépatotoxicité après un surdosage de paracétamol.
2.2. Risque accru d’hémorragies
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L’alcool, l’acide acétylsalicylique et les AINS ont un effet nocif additif sur la muqueuse gastrique. En particulier en cas d’alcoolisme chronique ou de consommation excessive d’alcool, il existe une forte augmentation du risque d’hémorragies gastro-intestinales.
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Chez les buveurs chroniques excessifs, des doses plus élevées que prévu d’antagoniste de la vitamine K peuvent s’avérer nécessaires (probablement en raison de l’induction de la dégradation dans le foie). Chez les patients avec atteinte hépatique qui s’adonnent au « binge drinking », des variations importantes de l’INR ont été décrites; la diminution de la synthèse des facteurs de coagulation, ceci en raison des troubles hépatiques, peut y jouer un rôle. En l’absence d’atteinte hépatique, une consommation d’alcool limitée ou modérée ne semble pas influencer l’effet des antagonistes de la vitamine K.
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L’effet de l’alcool sur les effets des anticoagulants oraux directs (AOD) n’a pas été étudié. Nous n’avons pas trouvé de données inquiétantes en cas de consommation normale d’alcool. La prudence est requise en cas d’alcoolisme chronique ou de consommation excessive d’alcool.
2.3. Augmentation du risque de convulsions (voir aussi 1.5.)
L’arrêt brutal de la consommation d’alcool chez les patients ayant une consommation abusive ou étant dépendants à l’alcool, peut entraîner des convulsions. Les médicaments abaissant le seuil convulsif (p.ex. la bupropione; voir aussi Intro. 6.2.8. dans le Répertoire) peuvent davantage renforcer ce risque.
2.4. Induction enzymatique suite à la consommation chronique excessive d’alcool
D’une part, la consommation chronique d’alcool peut entraîner une induction enzymatique; une diminution des concentrations plasmatiques a été observée avec entre autres la doxycycline, la phénytoïne et les antagonistes de la vitamine K [voir aussi 2.2.], et ceci n’est pas à exclure avec entre autres la carbamazépine. D’autre part, lors de l’apparition d’une atteinte hépatique induite par l’alcool, le métabolisme des médicaments peut être ralenti, mais le degré de ce ralentissement est difficilement prévisible.
2.5. Interactions diverses
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Antihypertenseurs: la consommation chronique modérée à excessive d’alcool augmente la pression artérielle, ce qui peut influencer l’efficacité des antihypertenseurs.
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Metformine: la consommation excessive d’alcool est considérée comme l’un des facteurs de risque de la survenue d’acidose lactique lors d’un traitement par la metformine.
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Cyprotérone: la consommation excessive d’alcool diminue les effets anti-androgènes attendus dans le traitement de l’hypersexualité.
Quelques commentaires
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Dans l’ensemble, tant le patient que le médecin et le pharmacien ne sont pas suffisamment vigilants en ce qui concerne les interactions avec l’alcool: on n’insiste pas assez sur les mises en garde concernant les interactions avec l’alcool, et le degré de consommation d’alcool est rarement abordé lors de l’entretien entre le médecin et le patient, ou entre le pharmacien et le patient.
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En ce qui concerne les médicaments mentionnés dans le présent article, il importe de mettre en garde le patient contre les interactions potentiellement dangereuses avec l’alcool. Ceci est particulièrement important lors de l’instauration du traitement, lorsque la sensibilité individuelle à l’effet sédatif par exemple ne peut pas encore être évaluée.
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Il convient de viser à une abstinence totale à l’alcool en cas d’usage de médicaments sédatifs, en particulier lorsque l’on prévoit de réaliser une tâche qui exige d’être vigilant (telle que la conduite d’une voiture).
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Il faut être conscient que, chez les grands consommateurs d’alcool, l’arrêt brutal de la consommation peut provoquer des symptômes de sevrage qui peuvent être graves et nécessiter un traitement [voir « Médicaments dans l’abus d’alcool et la dépendance à l’alcool. Partie 1: le sevrage alcoolique » dans les Folia de mars 2016].
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Il reste difficile de prédire l’impact clinique d’une interaction potentielle chez un patient individuel. Outre des facteurs de risque tels qu’un âge avancé, une insuffisance hépatique ou rénale, il va de soi que le degré de consommation d’alcool joue également un rôle.
Sources importantes
- Stockley’s Drug Interactions (version électronique): dernière consultation le 01/04/16.
- Commentaren Medicatiebewaking (édition 2014-2015, 29e édition): le tableau concernant les interactions avec l’alcool.