Messages clés
-
On s’inquiète depuis longtemps des risques cardio-vasculaires associés à l’utilisation prolongée de médicaments contre le TDAH.
-
De nouvelles données observationnelles, principalement recueillies chez des adultes, montrent un lien entre la prise à long terme de médicaments contre le TDAH (principalement le méthylphénidate) et des évènements cardio-vasculaires.
-
Ces données soulignent l’importance de respecter les précautions et les contre-indications lors de la prescription de médicaments contre le TDAH et d’évaluer régulièrement la nécessité du traitement.
Inquiétudes concernant l’utilisation prolongée des médicaments contre le TDAH
Il y a depuis longtemps une inquiétude concernant les risques cardio-vasculaires (mort subite d’origine cardiaque, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, insuffisance cardiaque, troubles du rythme cardiaque, hypertension) en cas d‘utilisation chronique de stimulants du système nerveux central (méthylphénidate, lisdexamfétamine) et d’atomoxétine chez les enfants et les adultes avec TDAH. La plupart des données semblent rassurantes moyennant prise en compte des précautions et contre-indications [voir Folia novembre 2016 et Folia mai 2012]. Des données complémentaires sont cependant nécessaires pour mieux identifier les risques liés à un traitement au long cours du TDAH.
Nouvelles données issues d’études observationnelles
Nous discutons de deux nouvelles études parues en 2024 à ce sujet, l’une chez des enfants et des adultes, l’autre seulement chez des adultes.
-
Une étude cas-témoins sur un échantillon issu de la population générale suédoise1,2 a étudié, chez des patients avec TDAH, le lien entre une utilisation prolongée de médicaments du TDAH et le risque d’évènements cardio-vasculaires. Le méthylphénidate était le médicament le plus utilisé, suivi, dans une bien moindre mesure, par l’atomoxétine et la lisdexamfétamine. Cela concernait majoritairement des adultes de 25 ans ou plus (âge médian d’environ 42 ans) ; 16% étaient âgés de moins de 25 ans (âge médian d’environ 16 ans, environ un quart âgés de moins de 12 ans).
- Cette étude cas-témoins sur un échantillon issu de la population générale a rassemblé des données de santé suédoises concernant les diagnostics de TDAH, l’utilisation des médicaments du TDAH et les maladies cardio-vasculaires, sur une période de 14 ans (2007-2020).
- Les « cas » étaient des patients chez qui un TDAH a été diagnostiqué et qui ont eu un trouble cardio-vasculaire : cardiopathie ischémique (4,7%), maladie vasculaire cérébrale (6,8%), hypertension artérielle (40,5%), insuffisance cardiaque (3,6%), trouble du rythme cardiaque (12,6%), trouble thromboembolique (12,1%), trouble artériel (5,6%) ou autre trouble cardiaque (17,5%). Chaque cas a été apparié avec environ 5 patients atteints de TDAH sans troubles cardio-vasculaires (appariés sur base de l’âge, du sexe et du moment du premier diagnostic du TDAH ; les « témoins »).
- L’âge médian des cas (n= 10 388) et des témoins (n= 51 672) était de 35 ans (16% âgés de moins de 25 ans avec un âge médian de 15,8 ans ; IQR 12,3-19,6 ans), 59% étaient des hommes et 84% avaient reçu un médicament du TDAH prescrit pendant la période de l’étude. Le méthylphénidate était le médicament du TDAH le plus délivré (76% en avaient reçu pendant la période d’étude), suivi de l’atomoxétine (23%) et de la lisdexamfétamine (18%).
- L’étude a été ajustée pour le niveau d’étude, les comorbidités et les mésusages des médicaments.
L’étude a montré une augmentation statistiquement significative du risque d’évènements cardio-vasculaires à partir de plus d’un an d’exposition à un médicament du TDAH, par rapport à l’absence d’exposition. Le risque d’évènements cardio-vasculaires augmentait avec la durée d’exposition : par année supplémentaire d’exposition, il augmentait de 4%. Une dose plus élevée entraînait un risque accru.
Risque en fonction de la durée du traitement (adjusted odds’ ratio et IC à 95%) :- 0 à 1 an : 0,99 (0,93 à 1,06)
- 1 à 2ans : 1,09 (1,01 à 1,18)
- 2 à 3ans : 1,15 (1,05 à 1,25)
- 3 à 5 ans : 1,27 (1,17 à 1,39)
- >5 ans : 1,23 (1,12 à 1,36)
Risque en fonction de la dose (adjusted odds’ ratio et IC à 95%) :
- DDD ≤1 : 1,0 (0,97 à 1,03)
- 1 < DDD ≤1,5 : 1,01 (0,99 à 1,03)
- 1,5 < DDD ≤2 : 1,04 (1,02 à 1,05)
- DDD >2 : 1,05 (1,03 à 1,06)
L’augmentation du risque était statistiquement significative pour l’hypertension et pour les maladies artérielles (définies ainsi : athérosclérose, anévrisme, artériopathie périphérique), mais pas pour les autres évènements cardio-vasculaires.
Une augmentation comparable des risques a été trouvée pour les patients de moins de 25 ans (âge médian de 16 ans) et pour ceux de plus de 25 ans (âge médian de 42 ans), et aussi entre les hommes et les femmes.
Une analyse par médicament a montré pour l’atomoxétine une augmentation du risque limitée à la 1ère année de traitement. -
Une discussion dans Worst Pills Best Pills mentionne, outre l’étude cas-témoins mentionnée plus haut, une étude danoise rétrospective de cohorte, basée sur la population, chez des adultes (âge médian de 31 ans, 56% d’hommes) qui avaient reçu pour la première fois un médicament contre le TDAH.3,4 L’étude a montré que les personnes qui, un an après son instauration, utilisaient encore un médicament du TDAH (≥1 DDD; surtout le méthylphénidate, dans une bien moindre mesure l’atomoxétine et la lisdexamfétamine) présentaient au cours des dix années qui suivaient un risque accru d’évènements cardio-vasculaires, par rapport aux personnes qui avaient utilisé un médicament du TDAH pendant seulement les six premiers mois. Pour le critère d’évaluation combiné d’AVC, d’insuffisance cardiaque et de syndrome coronarien aigu, l’augmentation relative du risque était de 30% et le nombre nécessaire pour nuire (NNN) de 116. Au plus la dose était élevée, au plus le risque était élevé. Une analyse de chaque critère d’évaluation cardio-vasculaire n’a montré une augmentation statistiquement significative du risque que pour l’insuffisance cardiaque. Pour l’AVC, la différence était à la limite de la signification statistique et pour le syndrome coronarien aigu, il n’y avait pas de différence.
- Dans cette étude, on a sélectionné, sur base des données provenant des registres de santé nationaux danois, tous les adultes qui, entre 1998 et 2020, ont reçu une première prescription pour le TDAH. 72% ont reçu une prescription de méthylphénidate, 16% d’atomoxétine et 9% de lisdexamfétamine.
- Tous les nouveaux utilisateurs ont été répartis en trois groupes sur la base des dispensations d’un médicament du TDAH entre six et douze mois après leur première prescription: utilisation de moins d’1 DDD (n= 31 211), utilisation d’au moins 1 DDD (n= 15 696), et utilisation antérieure (pas de dispensation entre 6 et 12 mois, n= 26 357).
- L’analyse a été ajustée pour les différences au niveau des antécédents cardio-vasculaires (à savoir hypertension, fibrillation auriculaire, cardiopathie ischémique), diabète, niveau d’étude, sexe et âge.
- Comparé à un usage antérieur, le risque lors de l’utilisation d’au moins 1 DDD était le suivant :
- Critère d’évaluation combiné (AVC, insuffisance cardiaque et syndrome coronarien aigu): RR 1,3 (IC à 95% de 1,1 à 1,5); standardised absolute risk 3,9% vs 3% ; NNN de 116.
- AVC: RR 1,2 (IC à 95% de 1 à 1,5) ; standardised absolute risk 2,1% vs 1,7% ; NNN de 258.
- Insuffisance cardiaque : RR 1,7 (IC à 95% de 1,3 à 2,2) ; standardised absolute risk 1,2% vs 0,7% ; NNN de 204.
- Syndrome coronarien aigu: RR 1,0 (IC à 95% de 0,8 à 1,2), pas statistiquement significatif.
- L’utilisation d’une faible dose (<1 DDD) n’était pas associée à un risque accru d’effets indésirables cardio-vasculaires.
Quelques commentaires
-
Vu qu’il s’agit d’études observationnelles, les résultats ont pu être influencés par des variables confondantes telles que le mode de vie, la prise concomitante d’autres médicaments et la sévérité du TDAH, sachant que les patients ayant un TDAH plus sévère pourraient avoir davantage de comorbidités entraînant un mode de vie moins sain et donc une augmentation du risque cardio-vasculaire. Cependant, un avantage des études menées en population générale, comme les études discutées ici, est qu’elles entraînent moins de biais de sélection. Par ailleurs, les auteurs d’un commentaire en ligne au sujet de l’étude suédoise attirent l’attention sur plusieurs études ayant montré une association légère à modérée entre le TDAH et des maladies cardio-vasculaires et métaboliques, dont l’obésité et le diabète de type-2. L’hypothèse est qu’il y a des facteurs génétiques communs et peut-être des mécanismes sous-jacents communs entre le TDAH et les maladies cardio-vasculaires.
-
Il reste important de mettre en balance au cas par cas les avantages et les inconvénients d’un traitement médicamenteux et d’évaluer régulièrement si le traitement reste nécessaire.5,6 D’un côté, ces études confirment qu’il faut être attentif au risque cardio-vasculaire avec les médicaments du TDAH lors d’un usage prolongé. D’un autre côté, il ressort d’études observationnelles que les patients avec TDAH ont moins de risque d’avoir des problèmes dans la vie quotidienne (accidents de voiture, blessures accidentelles, toxicomanie, comportement criminel) et de meilleurs résultats scolaires lorsqu’ils prennent un médicament du TDAH. C’est surtout l’utilité d’un traitement à vie du TDAH chez l’adulte, avec des médicaments dont l’efficacité et la sécurité à long terme sont insuffisamment démontrées, qui peut être remise en question. D’autant plus que la plupart de ces médicaments exposent à un risque de dépendance.
-
Les études nous apportent surtout plus d’informations sur les risques liés au méthylphénidate. Il reste important de récolter des données sur les risques cardio-vasculaires de tous les médicament du TDAH, y compris les produits les moins utilisés.
-
Les précautions d’utilisation mentionnées dans le Répertoire (voir 10.4. Médicaments du TDAH et de la narcolepsie) restent d’application :
-
Avant d’instaurer un traitement, un diagnostic strict et une évaluation par des spécialistes du TDAH doivent être réalisés.
-
Avant d’instaurer un traitement, il convient de dépister une hypertension ou des (antécédents de) maladies cardio-vasculaires en effectuant une anamnèse et un examen clinique. Ce sont en effet des contre-indications à l’utilisation du méthylphénidate, de l’atomoxétine et de la lisdexamphétamine.
-
Un suivi régulier de la tension artérielle et de la fréquence cardiaque doivent être effectués conformément au RCP.
-
Noms des spécialités concernées :
-
Méthylphénidate : Concerta®, Equasym®, Medikinet®, Methylfenidaat Sandoz®, Methylphenidate Viatris®, Rilatine® (voir Répertoire)
-
Atomoxétine : Atomoxetine Arega® (voir Répertoire)
-
Lisdexamfétamine : Elvanse® (voir Répertoire)
Sources spécifiques
1 Zhang L, Li L, Andell P, et al. Attention-Deficit/Hyperactivity Disorder Medications and long-term risk of cardiovascular diseases. JAMA Psychiatry 2024;81:178-187 (doi:10.1001/jamapsychiatry.2023.4294)
2 Rédaction Prescrire. Méthylphénidate au long cours : troubles cardio-vasculaires. La Revue Prescrire 2024;44:668
3 Anonymous. New evidence that ADHD medications increase cardiovascular risk. Worst Pills Best Pills Newsletter article October 2024. https://www.worstpills.org/newsletters/view/1624
4 Holt A, Strange JE, Rasmussen PV, et al. Long-term cardiovascular risk associated with treatment of attention-deficit/hyperactivity disorder in adults. Journal of the American College of Cardiology 2024;83:1870-82 (doi:10.1016/j.jacc.2024.03.375)
5 Cortese S. Pharmacologic treatment of attention deficit-hyperactivity disorder. N Engl J Med 2020;383:1050-6 (doi: 10.1056/NEJMra1917069)
6 Cortse S en Fava C. Editorial. Long-term cardiovascular effects of medications for attention-deficit/hyperactivity disorder – Balancing benefits and risks of treatment. JAMA Psychiatry 2024;81:123-4