Les données relatives aux bénéfices et aux risques des suppléments en vitamines et minéraux en prévention primaire des maladies cardiovasculaires et des cancers ont été réexaminées1. Ces données concernent les personnes adultes en bonne santé, non enceintes et sans carence connue. Sur base de cette analyse, l’US Preventine Services Task Force (USPSTF) a modifié ses recommandations.
L’USPSTF déconseille l’utilisation des suppléments en bêta-carotène et en vitamine E pour la prévention des maladies cardiovasculaires et des cancers : ils n’ont aucun effet préventif et, pour le bêta-carotène, il existe des données qui suggèrent une augmentation du risque de cancer du poumon, en particulier chez les personnes à haut risque de cancer du poumon.
L’USPSTF confirme que les données disponibles restent insuffisantes pour déterminer le rapport bénéfice/risque des suppléments en multivitamines ou en vitamines seules ou en association (autres que la vitamine E et le bêta-carotène) pour la prévention des maladies cardiovasculaires ou des cancers.

Les maladies cardiovasculaires et les cancers sont les principales causes de décès aux Etats-Unis. Des vitamines et minéraux ont été proposés afin de prévenir ces conditions. En effet, des données théoriques très répandues dans les médias suggèrent un effet antioxydant ou protecteur vis-à-vis de certains cancers, et des données observationnelles ont suggéré un lien entre des concentrations plasmatiques élevées de certaines vitamines et une incidence plus faible de maladies cardiovasculaires et de cancers. Les suppléments coûtent cher. Quelles preuves a-t-on de l’effet préventif des suppléments de vitamines et de minéraux sur les maladies cardiovasculaires et les cancers ?2.

Vitamines et minéraux pour la prévention primaire des maladies cardiovasculaires et des cancers, et leurs effets indésirables graves: une analyse actualisée des données probantes

Plusieurs chercheurs ont réexaminé les données probantes concernant les bénéfices et les risques de la supplémentation en vitamines et minéraux chez les personnes adultes en bonne santé, non enceintes et sans carence connue, en tenant compte de 52 études supplémentaires publiées depuis 2014.1 Les principaux critères d’évaluation étaient les suivants :

  • effet sur la mortalité

  • prévention primaire des événements cardiovasculaires

  • prévention primaire des cancers

  • effets indésirables graves.

    • Les études incluses sont principalement des études randomisées contrôlées (RCT). Des études observationnelles ont également été prises en compte uniquement pour l’étude des effets indésirables graves.
    • Pour répondre à la question des bénéfices des compléments, les adultes avec des maladies chroniques ont été exclus à l’exception des personnes avec une pression artérielle élevée ou des taux de lipides anormaux ou des diabétiques de type 2. Concernant les risques potentiels, seuls les adultes sans maladie chronique ont été inclus. La majorité des participants sont des personnes blanches.

L’ USPSTF a mis à jour ses recommandations de 2014 en s’appuyant sur cette analyse :3

  • L’USPSTF déconseille l’utilisation des suppléments en bêta-carotène et en vitamine E pour la prévention des maladies cardiovasculaires et des cancers : ils n’ont aucun effet préventif et, pour le bêta-carotène, il existe des données qui suggèrent une augmentation du risque de cancer du poumon, en particulier chez les personnes à haut risque de cancer du poumon.

  • L’USPSTF confirme que les données disponibles restent insuffisantes pour déterminer le rapport bénéfice/risque des suppléments en multivitamines ou en vitamines seules ou en association (autres que la vitamine E et le bêta-carotène) pour la prévention des maladies cardiovasculaires ou des cancers.

Nous parlons ici uniquement du bêta-carotène (un précurseur de la vitamine A), de la vitamine A et de la vitamine E (tocophérol), qui sont suffisamment documentés pour en déterminer le rapport bénéfice/risque.

Données probantes concernant le bêta-carotène (seul ou associé à la vitamine A) et la vitamine A

Aucun effet protecteur, voire même un effet néfaste sur le cancer du poumon et la mortalité cardiovasculaire

Les résultats ne montrent aucune efficacité de la supplémentation en bêta-carotène (seul ou en association à la vitamine A) en prévention des maladies cardiovasculaires, des cancers et de la mortalité.

Un risque paradoxal potentiel est même détecté en lien avec l’utilisation d’une supplémentation en bêta-carotène :

  • On observe une augmentation du risque de cancer du poumon (RC 1,20 [IC à 95% de 1,01 à 1,42]). Les données les plus probantes concernant l’augmentation du risque proviennent d’études menées sur des patients présentant un risque accru de cancer du poumon, tels que les fumeurs et les personnes ayant été exposées à l’amiante dans le cadre de leur travail.

  • Le risque de mortalité cardiovasculaire est également augmenté (RC 1,10 [IC à 95% de 1,02 à 1,19]).

  • Le risque de mortalité toutes causes confondues est de 1,06 (IC à 95% de 1,00 à 1,12). Lorsque l’analyse tient compte d’une RCT ayant évalué la supplémentation en vitamine A (seule), le risque de mortalité toutes causes confondues devient statistiquement significatif (RC 1,06 [IC à 95% de 1.01 à 1,12]).

    Six RCT (n = 112 820) ont été incluses. Ces études concernaient l’utilisation de bêta-carotène (20 à 50mg/jour). Une étude concernait l’association de bêta-carotène et de vitamine A (25 000UI/jour). Une RCT portant sur la vitamine A seule a été intégrée.

Autres risques

La synthèse a mis en évidence un risque statistiquement significatif d’hypercaroténémie en relation avec l’utilisation de bêta-carotène. Une seule RCT montre un risque statistiquement significatif de troubles gastro-intestinaux.

Sept RCT (n = 112 820) et une étude de cohorte prospective (n = 121 700) ont été incluses afin d’étudier les risques liés à l’utilisation de bêta-carotène. Deux RCT (n = 20 611) et deux études de cohorte prospectives
(n = 156 403) ont été incluses afin d’étudier les risques liés à l’utilisation de suppléments en vitamine A seule.

Données probantes concernant la vitamine E

Aucun effet protecteur

L’analyse ne montre pas d’association entre la supplémentation en vitamine E et la mortalité toutes causes (RC 1,02 [IC à 95% de 0,97 à 1,07]). C’est également le cas pour les événements cardiovasculaires (RC 0,96 [IC à 95% de 0,90 à 1,04]) et les cancers (RC 1,02 [IC à 95% de 0,98 à 1,08]).

Neuf RCT (n = 116 468) concernant les suppléments en vitamine E ont été incluses. Les doses étaient de 50 à 300 mg/jour durant 3 à 10 ans pour un suivi allant de 3 à 24 ans.

Risques : peut-être une très faible augmentation des AVC hémorragiques

Sur les quatre études ayant fait état d’AVC hémorragique ou de décès par AVC hémorragique, deux études ont tout de même montré une augmentation statistiquement significative de ces événements rares (incidence de 0,5% dans le groupe vitamine E contre 0,3% dans le groupe placebo).1
Concernant les autres effets indésirables, les études réalisées n’ont pas mis en évidence d’augmentation du risque.

Sept RCT (n = 115 576) et 2 études de cohorte prospectives (n = 149 043) ont été incluses afin d’étudier les risques liés à l’utilisation de vitamine E.

Que dit le répertoire sur la place de la vitamine A et de la vitamine E ?

Vitamine A : risque d’hypervitaminose A et effet tératogène; suppléments uniquement en cas de malabsorption des graisses

L’utilisation d’une quantité excessive de vitamine A sur de longues périodes peut induire une hypervitaminose A (toxicité chronique). Les symptômes d’une hypervitaminose A sont notamment une hypertension intracrânienne bénigne, une rétinopathie et une hyperostose. (Voir Répertoire 14.2.1.1 Rétinol (vitamine A)) .
Des suppléments sont uniquement conseillés chez les patients présentant une cholestase ou d’autres causes de malabsorption des graisses telles que la mucoviscidose (Voir Répertoire 14.2.1.1 Rétinol (vitamine A)).
Pour rappel, un surdosage en vitamine A est tératogène. La prise de doses élevées de vitamine A (prise journalière totale de plus de 10.000 UI dans l’alimentation et sous forme de suppléments) est contre-indiquée pendant la grossesse. Les faibles doses n’ont pas été associées à un effet nocif (Voir Répertoire 14.2.1.1 Rétinol (vitamine A)).

Vitamine E : suppléments uniquement en cas de malabsorption des graisses

L’apport en vitamine E dépendant de nombreux facteurs (consommation d’acides gras, tabagisme, patrimoine génétique, pathologies…), il est donc difficile de produire des recommandations chiffrées.
Une alimentation saine et variée permet de fournir un apport adéquat en vitamine E. Tout comme pour la vitamine A, les suppléments de vitamine E sont conseillés uniquement chez les patients présentant une cholestase ou d’autres formes de malabsorption des graisses telles que la mucoviscidose (Voir Répertoire 14.2.1.3.).

Conclusion

L’USPSTF déconseille l’utilisation des suppléments en bêta-carotène et en vitamine E pour la prévention des maladies cardiovasculaires et des cancers : ils n’ont aucun effet préventif et, pour le bêta-carotène, il existe des données qui suggèrent une augmentation du risque de cancer du poumon, en particulier chez les personnes à haut risque de cancer du poumon.
L’USPSTF confirme que les données sont insuffisantes pour déterminer la balance bénéfice-risque de la supplémentation en multivitamines ou en vitamines (autres que la vitamine E et le bêta-carotène) pour la prévention des maladies cardiovasculaires ou du cancer.

Sources

O’Connor EA, Evans CV, Ivlev I, Rushkin MC, Thomas RG, Martin A, Lin JS. Vitamin and mineral supplements for the primary prevention of cardiovascular disease and cancer: updated evidence report and systematic review for the US Preventive Services Task Force. JAMA. 2022 Jun 21;327(23):2334-47. https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2793447
Jia J, Cameron NA, Linder JA. Multivitamins and Supplements—Benign Prevention or Potentially Harmful Distraction?. JAMA. 2022 Jun 21;327(23):2294-5.
3 Mangione CM, Barry MJ, Nicholson WK, Cabana M, Chelmow D, Coker TR, Davis EM, Donahue KE, Doubeni CA, Jaén CR, Kubik M. Vitamin, mineral, and multivitamin supplementation to prevent cardiovascular disease and cancer: US Preventive Services Task Force recommendation statement. JAMA. 2022 Jun 21;327(23):2326-33. https://jamanetwork.com/journals/jama/article-abstract/2793446