Messages clés

  • Le lécanemab est un anticorps monoclonal dirigé contre la bêta-amyloïde (Aβ). Il ralentit le déclin cognitif et fonctionnel, par rapport au placebo, chez les patients Alzheimer au stade précoce, mais l’effet est limité.1 La pertinence clinique de cet effet est incertaine et a même été remise en question dans des analyses parues dans le Lancet2 et le BMJ3.

  • Les patients du groupe lécanemab ont été plus nombreux à présenter des effets indésirables (graves) que les patients du groupe placebo. Il s’agissait notamment de réactions liées à la perfusion, d’œdèmes cérébraux et de micro et macrohémorragies cérébrales.1

  • Le lécanemab n’a pas été évalué par des autorités sanitaires et n’est commercialisé dans aucun pays (situation au 15/12/22).

  • Le fait que la médecine n’a jusqu’à présent trouvé aucune réponse substantielle à la maladie d’Alzheimer ne doit pas être utilisé comme argument pour répandre de faux espoirs parmi les patients et les aidants-proches. Davantage d’études sont nécessaires, menées à plus long terme, pour savoir si le rapport bénéfice/risque du lécanemab est favorable.

 

En quoi cette étude est-elle importante?

  • Le besoin d’un traitement capable de ralentir significativement, voire de guérir, la maladie d’Alzheimer est grand. Un tel traitement n’est pas disponible actuellement.

  • Beaucoup d’espoir a été placé dans les traitements ciblant la protéine bêta-amyloïde (Aβ), sans qu’aucune percée n’ait été réalisée jusqu’à présent. Voir aussi les Folia de mai 2016, où nous avons expliqué pourquoi les défis en matière de développement de médicaments cliniquement efficaces restent majeurs.

    – Aucun bénéfice clinique n’a été trouvé dans des études antérieures ayant évalué des modulateurs de la bêta- et gamma-sécrétase (dont le sémagacestat, le tarenflurbil) et des anticorps monoclonaux anti-Aβ (dont le bapineuzumab, le solanézumab) chez des patients atteints d’une forme légère à modérée de la maladie d’Alzheimer [voir Folia mai 2016].
    – Deux études avec l’aducanumab (anticorps monoclonal anti-Aβ) chez des patients Alzheimer au stade précoce ont donné des résultats contradictoires et ont été arrêtées prématurément en raison de leur futilité. L’aducanumab a été autorisé – de manière très controversée (sur la base d’analyses a posteriori des deux études précitées) – par la FDA, l’agence américaine du médicament [voir Folia de juillet 2021], mais a été refusé par l’EMA, l’agence européenne du médicament.
    – Le ganténérumab (anticorps monoclonal anti-Aβ) a donné des résultats décevants dans deux études de phase 3 (communiqué Roche du 14/12/22).
  • Le lécanemab est un autre anticorps monoclonal anti-Aβ. Son effet sur le déclin cognitif et fonctionnel a été évalué dans l’étude CLARITY AD. Les résultats ont été récemment publiés dans le New England Journal of Medicine.

 

Conception de l’étude et critères d’évaluation

  • Étude de phase 3 en double aveugle, contrôlée par placebo, sponsorisée par l’industrie (n=1 795, âge moyen 71 ans) chez des patients Alzheimer au stade précoce (38% avec une démence légère due à la maladie d’Alzheimer ; 62% avec un déclin cognitif léger dû à la maladie d’Alzheimer). Le score moyen à l’échelle CDR-SB (Clinical Dementia Rating-Sum of Boxes) au début de l’étude était de 3,2 (concernant cette échelle, voir le point « critère d’évaluation primaire »).

  • Les patients avaient reçu du lécanemab (10 mg/kg par voie intraveineuse toutes les 2 semaines) ou un placebo pendant 18 mois.

  • Critère d’évaluation primaire: variation du score à l’échelle CDR-SB (Clinical Dementia Rating-Sum of Boxes) à 18 mois. Cette échelle (de 0 à 18) mesure la sévérité des symptômes dans plusieurs domaines cognitifs et fonctionnels. Plus le score est élevé, plus le trouble est important; un score de 0,5 à 6 indique un stade précoce de la maladie d’Alzheimer.

  • Critères d’évaluation secondaires: variation de la charge amyloïde évaluée par TEP, variation du score à d’autres échelles mesurant les capacités cognitives et/ou fonctionnelles (ADAS-cog, ADCOMS, ADCS-MCI-ADL).

 

Profil d’efficacité et d’innocuité

  • Critère d’évaluation primaire: à 18 mois, le score CDR-SB s’était moins détérioré dans le groupe lécanemab (+1,21 point) que dans le groupe placebo (+1,66 point). La différence dans la variation du score est de -0,45 sur une échelle de 0 à 18, une différence statistiquement significative (IC à 95% de -0,67 à -0,23).1

  • Il y avait également une différence statistiquement significative dans la variation des scores entre les groupes en ce qui concerne les critères d’évaluation secondaires, à chaque fois en faveur du lécanemab.1

    – Score ADAS-cog14 : différence de -1,44 (IC à 95% de -2,27 à -0,61) (échelle de 0-90)
    – Score ADCOMS : différence de -0,050 (IC à 95% de -0,074 à -0,027) (échelle de 0-1,97)
    – 
    Score ADCS-MCI-ADL : différence de 2,0 (IC à 95% de 1,2 à 2,8) (échelle de 0-53).
  • Effets indésirables (lécanemab versus placebo)1:

    • Réactions liées à la perfusion: 26,4% (sévères dans 1,2% des cas) contre 7,4% (sévères dans 0% des cas).

    • Anomalies d’imagerie liées à l’amyloïde impliquant un œdème (ARIA-E): 12,6% (symptomatiques dans 2,8% des cas, les principaux symptômes étant des céphalées, des troubles visuels et une confusion) contre 1,7% (symptomatiques dans 0% des cas).

    • Anomalies d’imagerie liées à l’amyloïde impliquant des microhémorragies et une hémosidérose (ARIA-H): 17,3% (symptomatiques dans 0,7% des cas, le principal symptôme étant des vertiges) contre 9,0 % (symptomatiques dans 0,2% des cas).

    • Microhémorragies cérébrales: 14% contre 7,6%.

    • Macrohémorragies cérébrales: 0,6% contre 0,1%.

    • Les patients du groupe lécanemab ont été plus nombreux à abandonner le traitement en raison d’effets indésirables: 7% contre 3%.

 

Quelques réflexions

  • Parmi les limites de l’étude CLARITY-AD, citons:

    • la durée limitée de l’étude: 18 mois (un suivi en protocole ouvert est en cours);

    • un taux d’abandon assez élevé (17,2%);

    • plusieurs obstacles ayant entravé la conduite de l’étude pendant la pandémie de COVID-19 (notamment des doses manquées, des évaluations retardées).

  • L’étude a utilisé le score CDR-SB comme critère d’évaluation primaire : à 18 mois, la différence était de -0,45 sur une échelle de 0 à 18 par rapport au placebo. Les résultats des autres échelles ont également montré des différences absolues minimes dans les scores. La différence minimale cliniquement pertinente sur le score CDR-SB n’a pas été définie à l’heure actuelle.1 L’éditorial du Lancet2 indique que la différence doit probablement être plus importante pour pouvoir être qualifiée de cliniquement pertinente.

    L’éditorial du Lancet2 fait référence à une étude de 2019 qui suggère que la différence minimale doit être de 0,98 (patients présentant un déclin cognitif léger dont on présumait qu’il était dû à la maladie d’Alzheimer) ou 1,63 (patients présentant une forme légère de la maladie d’Alzheimer) pour être cliniquement pertinente.
  • La pertinence clinique de l’effet du lécanemab dans l’étude CLARITY-AD est incertaine et elle est même remise en question dans un éditorial du Lancet2 et un communiqué du BMJ3. Davantage d’études sont nécessaires, menées à plus long terme, pour pouvoir répondre à la question de savoir si le lécanemab est vraiment un game-changer comme le suggèrent de nombreux communiqués dans les médias, et pour savoir si son rapport bénéfice/risque est favorable.1,2 Des études sont en cours qui cherchent notamment à déterminer si le lécanemab permet de prévenir la démence chez les patients ayant des dépôts amyloïdes, en l’absence de symptômes.

  • La conclusion des Folia de juillet 2021 s’applique également ici: le fait que la médecine n’a trouvé jusqu’à présent aucune réponse substantielle à la maladie d’Alzheimer n’est pas un argument pour exposer les patients à des traitements qui ont une efficacité douteuse et des effets indésirables potentiellement graves.
     

Sources

van Dyck CH, Swanson CJ et al. Lecanemab in Early Alzheimer’s Disease. NEJM, 29 november 2022. DOI: 10.1056/NEJMoa2212948
Editorial. Lecanemab for Alzheimer’s disease: tempering hype and hope. The Lancet 2022;400:1899 (3/12/22). DOI: https://doi.org/10.1016/S0140-6736(22)02480-1
3 Mahase E. Lecanemab trial finds slight slowing of cognitive decline, but clinical benefits are uncertain. News. BMJ 2022;379:o2912 (https://dx.doi.org/10.1136/bmj.o2912) Published: 01 December 2022