Il est bien connu que le risque de saignements chez un patient traité par un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS) augmente en cas d’association à un autre médicament favorisant les saignements, comme un antithrombotique, un AINS (voir aussi Folia avril 2005 et avril 2024) ou l’acide acétylsalicylique (voir Répertoire, 10.3.1.1.).

Un article récent de La Revue Prescrire1 rappelle ce risque en faisant référence à une étude cas-témoins publiée récemment2 et confirmant l’augmentation du risque de saignements en cas d’association d’un ISRS et d’un anticoagulant oral direct (AOD) ou d’un antagoniste de la vitamine K. Cette étude a été réalisée à partir d’une large base de données de médecine générale britannique (plus de 2 000 pratiques britanniques de médecine générale). Les patients traités par un anticoagulant oral (apixaban, dabigatran, édoxaban, rivaroxaban ou warfarine) pour une fibrillation auriculaire ont été sélectionnés. L’exposition à un ISRS chez les patients ayant eu une hémorragie majeure (définie comme hémorragie avec hospitalisation ou décès) (n =42 190, « les cas », âge moyen 74,2 ans) a été comparée à l’exposition à un ISRS chez les patients n’ayant pas eu d’hémorragie majeure (n=1 156 641, « les témoins », âge moyen 74,2 ans).

Les principaux résultats :

  • Par rapport aux patients sous anticoagulant oral seul, on a constaté une augmentation du risque d’hémorragie majeure chez les patients sous anticoagulant oral + ISRS d’environ 30% (incidence rate ratio de 1,3 ; IC 95% : 1,2 à 1,4).

  • L’analyse a été effectuée séparément pour les AOD et la warfarine.

    • Risque d’hémorragie majeure avec AOD + ISRS par rapport au AOD seul : incidence rate ratio de 1,25 (IC 95% : 1,12 à 1,40). Il n’y a pas eu d’analyse pour chaque AOD séparément.

    • Risque d’hémorragie majeure sous warfarine + ISRS par rapport à la warfarine seule : incidence rate ratio de 1,36 (IC 95 % : 1,25 à 1,47).

  • L’analyse des types de saignements a montré une augmentation du risque d’hémorragie intracrânienne, d’hémorragie gastro-intestinale et d’ » autres » hémorragies majeures.

  • Le risque était le plus élevé dans les 30 premiers jours de traitement concomitant (incidence rate ratio de 1,7 ; IC 95 % : 1,4 à 2,2). L’augmentation du risque a diminué par la suite, mais est restée statistiquement significative pendant 6 mois.

L’augmentation du risque est probablement essentiellement due à un effet cumulatif du risque de saignement de l’anticoagulant et du ISRS. En outre, la fluoxétine et la fluvoxamine peuvent inhiber le métabolisme de la warfarine par inhibition du CYP1A2 (fluoxétine et fluvoxamine) et du CYP2C9 (fluoxétine), et peuvent donc augmenter les taux plasmatiques de warfarine (voir tableau Ic dans Intro.6.3.). La fluoxétine et la fluvoxamine peuvent inhiber le métabolisme de l’apixaban et du rivaroxaban par inhibition du CYP3A4, et peuvent donc augmenter les taux plasmatiques d’apixaban et de rivaroxaban (voir tableau Ic dans Intro.6.3.).

En pratique, la prise concomitante d’un ISRS et d’un autre médicament favorisant les saignements, tel qu’un anticoagulant, un AINS ou l’acide acétylsalicylique est à éviter si possible. Si la prise concomitante est indispensable, la prudence est recommandée, surtout dans les premiers mois et chez les patients à risque (e.a. personnes âgées ou ayant des antécédents de saignements). Le risque de saignement existe aussi avec les antidépresseurs appartenant à la classe des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) : duloxétine et venlafaxine.

Sources spécifiques

Antidépresseurs IRS et anticoagulants oraux : hémorragies. La Revue Prescrire 2024;489:511
Rahman AA et coll. Concomitant use of selective serotonin reuptake inhibitors with oral anticoagulants and risk of major bleeding. Jama Network Open 2024;7(3):e243208 (doi:10.1001/jamanetworkopen.2024.3208), discuté dans Drug and Therapeutics Bulletin (2024;62:164 (doi:10.1136/dtb.2024.000061))

Noms de spécialités :