Messages clés
Au cours de l’année écoulée, plusieurs guidelines de première ligne relatifs à l’insuffisance cardiaque ont été révisés: le guideline belge (WOREL, été 2024), néerlandais (NHG, automne 2024) et anglais (NICE, été 2025).
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Dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite, les guidelines de première ligne recommandent désormais aussi, à l’instar des guidelines destinés aux spécialistes, l’introduction et l’augmentation des doses rapides d’une quadrithérapie (inhibiteur du SRA, bêtabloquant, antagoniste de l’aldostérone et gliflozine), en parallèle à un traitement par diurétiques. Cette stratégie ne s’appuie pas sur des études randomisées menées à long terme sur des critères d’évaluation forts, mais sur des preuves indirectes et sur l’avis d’experts.
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Dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, les guides ne recommandent désormais plus que les gliflozines comme seul traitement médicamenteux spécifique de l’insuffisance cardiaque, en parallèle aux diurétiques. Cette recommandation se base sur de récentes études positives ayant utilisé un critère d’évaluation composite reprenant notamment les hospitalisations pour insuffisance cardiaque.
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En ce qui concerne l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection modérément réduite, les recommandations divergent faute d’études spécifiques dans ce groupe de patients.
La prise en charge de l’insuffisance cardiaque a beaucoup évolué ces dernières années. Une nouvelle classification sur base de la fraction d’éjection, avec l’ajout d’une catégorie « fraction d’éjection modérément réduite » (voir « + plus d’infos »), s’est de plus en plus imposée et l’arsenal thérapeutique s’est élargi. Les guidelines destinés aux spécialistes, comme les guidelines européens de l’ESC publiés en 2021, ont rapidement assimilé ces nouvelles perspectives dans leurs recommandations. Suivis, dernièrement, par une mise à jour des guidelines de première ligne belge (WOREL, été 2024), néerlandais (NHG, automne 2024) et anglais (NICE, été 2025).
Classification de l’insuffisance cardiaque :
- Insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite (« reduced EF« : HFrEF): fraction d’éjection ≤ 40%
- Insuffisance cardiaque à fraction d’éjection modérément réduite (« mildly reduced EF« : HFmrEF): fraction d’éjection comprise entre 41 et 49%
- Insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (« preserved EF« : HFpEF): fraction d’éjection ≥ 50%
La prévalence de l’insuffisance cardiaque chez l’adulte est d’environ 1-2%. 60% de ces patients ont une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite; 24%, une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection modérément réduite; et 16%, une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée.
Dans le présent article, nous nous limitons à résumer le traitement de fond médicamenteux de l’insuffisance cardiaque, en proposant quelques remarques à ce sujet. Nous renvoyons le lecteur intéressé aux textes des guidelines respectifs pour plus d’informations, notamment sur la prise en charge non médicamenteuse ou encore sur les fondements scientifiques à l’origine de ces recommandations.
Les trois guidelines précisent qu’il revient en principe au spécialiste de poser le diagnostic à proprement parler et d’instaurer le traitement médicamenteux. Le médecin généraliste assure ensuite, en concertation avec le spécialiste, le suivi et l’augmentation des doses du traitement instauré. Les guidelines du WOREL et du NHG précisent toutefois que chez les patients qui ne peuvent ou ne veulent pas consulter un cardiologue, le traitement médicamenteux peut aussi être instauré par le médecin généraliste. Cette situation peut toutefois générer quelques problèmes dans le contexte belge, étant donné qu’un certain nombre de médicaments (sacubitril/valsartan, gliflozines) sont soumis à des conditions de remboursement spécifiques qui requièrent l’intervention d’un cardiologue.
Insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite (HFrEF)
Les anciennes versions des guidelines de première ligne mettaient encore l’accent sur l’introduction progressive et séquentielle d’un IECA, d’un bêtabloquant et, éventuellement, d’un antagoniste de l’aldostérone en cas de symptômes persistants, en parallèle à un traitement diurétique en fonction des signes de surcharge volémique. Les nouveaux textes du WOREL, du NHG et du NICE adhèrent désormais aux guidelines destinés aux spécialistes, qui proposent une quadrithérapie composée d’un inhibiteur du SRA (IECA ou, éventuellement, sartan ou complexe sacubitril/valsartan), d’un bêtabloquant, d’un antagoniste de l’aldostérone et d’une gliflozine, avec une introduction et une augmentation des doses rapides des différents médicaments, toujours en association avec un traitement diurétique en fonction des signes de surcharge volémique. Là où, par le passé, le médicament suivant n’était introduit qu’après avoir atteint une dose stable acceptable des agents instaurés précédemment, il est désormais conseillé d’introduire tous les médicaments rapidement les uns après les autres, voire simultanément, et de les titrer rapidement.
Quelques remarques
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L’efficacité de chacun des médicaments repris dans cette quadrithérapie (baptisée « foundational therapy » dans le guideline du WOREL) est suffisamment étayée par des preuves issues d’études randomisées (voir Répertoire 1.3. Insuffisance cardiaque). En revanche, pour certaines classes de médicaments (le complexe sacubitril/valsartan (voir Folia d’août 2022), les antagonistes de l’aldostérone et les gliflozines (voir Folia de février 2021)) de telles preuves n’existent que pour les patients dont les symptômes persistent malgré un traitement avec des doses stables et optimales d’un IECA, d’un bêtabloquant et d’un diurétique. La stratégie de l’introduction et de l’augmentation des doses rapides de ces 4 médicaments (baptisée « rapid sequencing » dans le guideline du WOREL) ne repose cependant pas sur des données issues d’études randomisées menées sur des critères d’évaluation forts. Le WOREL indique aussi que la recommandation spécifique en matière de « foundational therapy » et de « rapid sequencing » repose sur des preuves indirectes et sur l’avis d’experts ayant fait l’objet d’un consensus.
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La plupart des études sur l’insuffisance cardiaque ont été menées dans une population de deuxième ligne. Or, cette dernière présente quelques différences (patients plus jeunes, moins de sujets de sexe féminin, fraction d’éjection plus faible) par rapport aux patients insuffisants cardiaques suivis en première ligne. Pour certains patients (en particulier les personnes âgées), une prise en charge moins agressive (moins de médicaments, augmentation plus progressive des doses et/ou doses réduites) est peut-être tout aussi adéquate, mais les données issues d’études dans ces populations sont limitées. Le guideline du WOREL recommande de toujours tenir compte des préférences du patient et de la survenue d’effets indésirables.
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Les guidelines internationaux spécialisés ne proposent pas de schéma pour l’introduction de cette quadrithérapie dans la pratique. Des schémas d’introduction et d’augmentation des doses de ces médicaments sont également absents du guideline du WOREL et du NICE. L’ordre d’introduction des médicaments et les médicaments à prioriser lors de l’augmentation des doses ne sont donc pas clairement établis. Le guideline du NICE indique que ceci peut varier d’un patient à l’autre, en fonction des antécédents, des comorbidités, des paramètres cliniques, de l’état de fragilité et des préférences du patient, sans donner plus de détails ni d’exemples. Quant au NHG, il propose certes un schéma, mais dont on ignore le fondement:
– Étape 1: diurétique de l’anse, inhibiteur du SRA et gliflozine
– Étape 2: ajout d’un bêtabloquant
– Étape 3: augmentation de la posologie de l’inhibiteur du SRA et du bêtabloquant
– Étape 4: ajout éventuel d’un antagoniste de l’aldostérone
Il s’agit en réalité du schéma de la version précédente de ce guideline, auquel une gliflozine a été ajoutée à l’étape 1. Le NHG dit se fonder sur le guideline pour l’insuffisance cardiaque publié en 2016 par l’ESC. Mais ni cette version ni la version mise à jour en 2021 ne propose un tel schéma. -
Dans le contexte d’une introduction et augmentation des doses rapides des différents médicaments, il est difficile de déterminer quel médicament est responsable des effets indésirables éventuellement observés. En introduisant et en titrant les médicaments de façon plus progressive, il est plus simple de déterminer le profil de tolérance des différents médicaments, ce qui est particulièrement important chez les personnes âgées et les patients polymédiqués.
Insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (HFpEF)
Pendant de longues années, nous ne disposions pas de médicaments ayant une efficacité prouvée dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. De nombreuses études portant sur des médicaments efficaces dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite ne parvenaient pas à démontrer de bénéfice significatif sur leur critère d’évaluation primaire chez des patients avec une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. En dehors d’un traitement diurétique en fonction des signes de surcharge volémique, les guidelines ne recommandaient donc pas de médicaments spécifiques et le traitement visait surtout le contrôle de la tension artérielle ainsi que la détection et la prise en charge adéquate des comorbidités (voir Folia de décembre 2020).
Avec les gliflozines, nous disposons pour la première fois d’une classe de médicaments qui s’est avérée efficace pour la prise en charge de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée sur un critère d’évaluation composite combinant morbidité cardio-vasculaire (y compris hospitalisations pour insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée) et mortalité cardio-vasculaire, avec un NNT de respectivement 31 (empagliflozine) et 32 (dapagliflozine) sur une durée d’étude médiane d’un peu plus de 2 ans (voir Folia de mai 2022 et Folia d’avril 2024).
Fin 2024, l’étude FINEARTS-HF a également montré des résultats positifs avec la finérénone, un antagoniste de l’aldostérone, sur un critère d’évaluation composite similaire chez des patients atteints d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée ou modérément réduite. La finérénone n’a pas encore été approuvée par l’Agence européenne des médicaments dans cette indication. Nous reviendrons sur cette étude dans nos publications après approbation par l’EMA de cette indication.
Le guideline du NHG conseille, en plus des diurétiques, une gliflozine comme seul médicament spécifique de l’insuffisance cardiaque pour tous les patients ayant reçu le diagnostic d’une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. Le guideline du NICE recommande lui aussi l’utilisation d’une gliflozine dans cette population, mais recommande en plus un antagoniste de l’aldostérone, s’appuyant pour cela en partie sur les résultats de l’étude FINEARTS-HF, qui n’étaient pas encore disponibles au moment de la rédaction des guidelines du WOREL et du NHG. Le guideline du WOREL considère quant à lui que les gliflozines sont à envisager dans cette indication. D’autres médicaments (inhibiteurs du SRA, bêtabloquants, antagonistes de l’aldostérone) peuvent être utilisés pour le traitement des comorbidités (hypertension, insuffisance rénale chronique).
Quelques remarques
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Les résultats favorables des gliflozines et de la finérénone sur leur critère d’évaluation primaire composite a principalement été influencé par une diminution du nombre d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Aucune différence n’a été observée en termes de mortalité cardio-vasculaire et globale (critères d’évaluation secondaires). Les études menées avec d’autres médicaments (plus anciens) chez des patients avec une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée n’utilisaient pas systématiquement un critère d’évaluation composite comparable qui incluait aussi les hospitalisations pour insuffisance cardiaque.
Insuffisance cardiaque à fraction d’éjection modérément réduite (HFmrEF)
L’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection modérément réduite est un ajout récent à la classification de l’insuffisance cardiaque sur base de la fraction d’éjection. Les études menées spécifiquement dans cette population sont peu nombreuses. Par ailleurs, toutes les études n’ont pas appliqué les mêmes valeurs limites de fraction d’éjection pour l’inclusion des patients. De ce fait, les patients atteints d’HFmrEF étaient repris dans des études portant tantôt sur des patients présentant une fraction d’éjection réduite, tantôt sur des patients à la fraction d’éjection préservée.
Ceci explique les différences entre les guidelines du WOREL, du NHG et du NICE pour la prise en charge de l’insuffisance cardiaque dans cette population. Le WOREL associe l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection modérément réduite à l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée et recommande donc uniquement d’envisager une gliflozine dans cette indication. Selon le NHG et le NICE, la prise en charge d’une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection modérément réduite est identique à celle d’une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite. C’est pourquoi le NHG et le NICE recommandent aussi une quadrithérapie composée d’un inhibiteur du SRA, d’un bêtabloquant, d’un antagoniste de l’aldostérone et d’une gliflozine, comme dans le guideline 2021 de l’ESC (où les recommandations sont cependant moins fortes pour l’HFmrEF (« may be considered »; classe II, niveau de preuve C) que pour l’HFrEF (« is recommended »; classe I, niveau de preuve A-B)).
Conclusion du CBIP
Les recherches récentes et la mise à disposition de nouveaux médicaments constituent une avancée importante pour les patients atteints d’insuffisance cardiaque, une pathologie difficile à traiter. Il convient cependant de rester prudent avant d’extrapoler et de rassembler les données issues de ces études, leurs populations ne correspondant pas toujours à celles des patients insuffisants cardiaques rencontrés en première ligne. L’élaboration d’un plan de traitement doit tenir compte des caractéristiques et des préférences du patient. La prise en charge d’une femme octogénaire dont l’insuffisance cardiaque résulte d’une hypertension de longue date ne sera pas forcément la même que la prise en charge d’un quinquagénaire ayant développé une insuffisance cardiaque suite à un infarctus du myocarde.
Sources
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WOREL. Insuffisance cardiaque chronique. Mise à jour (2024) https://www.worel.be/worel/document?parameters=%7B%22PublicationId%22%3A%229FB7EBC3-91BD-4CAF-B14D-B18800D07524%22%7D
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NHG. NHG-standaard Hartfalen. Dernière mise à jour septembre 2024. https://richtlijnen.nhg.org/standaarden/hartfalen
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National Institute for Health and Care Excellence. Chronic heart failure in adults: diagnosis and management. Last updated: 3 September 2025. https://www.nice.org.uk/guidance/ng106
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McDonagh TA, Metra M, Adamo M, Gardner RS, Baumbach A et al. 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. Eur Heart J, 2021;42:3599-726. doi: 10.1093/eurheartj/ehab368
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Solomon SD, McMurray JJV, Vaduganathan M, Claggett B, Jhund PS et al. Finerenone in heart failure with mildly reduced or preserved ejection fraction. N Engl J Med, 2024;391:1475-1485. doi: 10.1056/NEJMoa2407107