Prise en charge oncologique de la personne âgée

Plus de la moitié des nouveaux diagnostics de cancer sont posés chez des personnes de plus de 65 ans1. Les syndromes gériatriques (symptôme ou ensemble de symptômes qui s’observent chez le patient gériatrique et dont les causes sous-jacentes peuvent être multiples, par exemple la dénutrition, la démence ou les chutes) sont plus fréquents chez les personnes âgées atteintes d’un cancer que chez les personnes âgées sans cancer 1, 2.

En raison de modifications pharmacodynamiques et pharmacocinétiques, les patients âgés sont plus sensibles aux effets indésirables de leur traitement oncologique. Ils sont notamment plus sensibles aux effets cognitifs du traitement oncologique, par rapport aux patients jeunes. La polymédication, plus fréquente chez la personne âgée, augmente la probabilité d’interactions cliniquement pertinentes entre le traitement choisi et les médicaments consommés 1.
En outre, les personnes âgées ont souvent des objectifs de traitement différents que les patients oncologiques plus jeunes. Ainsi, pour la personne âgée, les effets indésirables et la qualité de vie comptent souvent plus qu’une survie prolongée 2.

Une évaluation gériatrique (geriatric assessment) pourrait donc aider à faire un choix plus éclairé dans la prise en charge oncologique de ce groupe de patients fragiles. Cela permettrait d’éviter à la fois le surtraitement et le sous-traitement 1, 2.

  • Un élément important de l’évaluation gériatrique consiste à identifier la polymédication, en prenant en compte les compléments alimentaires, les médicaments en vente libre et les médicaments pris à la demande 1.
  • Avant et pendant le traitement, il est important de surveiller l’observance, les effets indésirables du traitement et les interactions éventuelles. Lors de l’évaluation gériatrique, il est important de discuter des objectifs thérapeutiques et des effets indésirables potentiels avec le patient et ses aidants-proches (prise de décision partagée) 2,3.
  • L’évaluation gériatrique se fait de préférence dans une approche pluridisciplinaire. Une bonne communication est essentielle et nécessite des concertations régulières entre le médecin généraliste, le gériatre et l’oncologue, tant avant le traitement que pendant celui-ci 2, 3.

L’évaluation gériatrique : bénéfice clinique dans la prise en charge oncologique

L’étude randomisée en grappes de Mohile et al2 , publiée dans The Lancet, a examiné l’effet de l’évaluation gériatrique sur la survenue d’effets indésirables graves dus au traitement oncologique chez les personnes âgées atteintes d’un cancer avancé.

Avant le traitement, tous les patients ont bénéficié d’une évaluation gériatrique. Dans le groupe intervention, les oncologues pouvaient consulter les résultats de l’évaluation gériatrique qui étaient assortis de suggestions permettant d’ajuster la prise en charge du patient. Dans le groupe témoin, les oncologues étaient seulement informés des scores anormaux aux tests de dépistage des troubles cognitifs ou de la dépression.

Le critère d’évaluation primaire de cette étude était le nombre de patients présentant des effets indésirables graves sur une période de 3 mois.

  • Les huit domaines suivants ont été explorés dans le cadre de l’évaluation gériatrique : comorbidités, cognition, nutrition, soutien social, polymédication, conditions psychosociales, état fonctionnel et condition physique. L’évaluation était basée sur des mesures objectives et des données auto-rapportées par le patient.
  • Les critères d’inclusion de l’étude étaient un diagnostic de tumeur solide ou de lymphome incurable, un âge supérieur à 70 ans et une déficience dans au moins un domaine de l’évaluation gériatrique.
  • Seuls les patients ayant choisi un traitement à risque élevé de toxicité ont été inclus.
  • La randomisation vers le groupe intervention ou le groupe témoin a été effectuée au niveau de la pratique (= randomisation en grappes). Lorsqu’un oncologue, un infirmier de recherche clinique ou un coordinateur travaillait dans plusieurs pratiques, ces pratiques ont été regroupées en une unité de randomisation.

L’évaluation gériatrique a entraîné un traitement moins intensif, moins d’effets indésirables graves, une réduction de la polymédication et moins de chutes chez les personnes âgées atteintes d’un cancer avancé. Ceci sans différence en termes de survie 2.

  • Dans le groupe intervention, on a opté plus fréquemment pour une thérapie combinée moins intensive. On a opté plus fréquemment pour une monochimiothérapie, un traitement sans chimiothérapie ou une chimiothérapie associée à un autre produit. Les patients du groupe intervention ont plus souvent reçu une dose initiale plus faible.
  • Dans les groupes intervention, le nombre de patients ayant présenté une toxicité de grade 3 à 5
    (p < 0,01 = 0,0001) était moins élevé, et la toxicité non hématologique était plus faible (p = 0,05). La toxicité a été évaluée en utilisant la quatrième version du National Cancer Institute Common Terminology Criteria for Adverse Events (NCI CTCAE).
  • Les effets indésirables les plus fréquents étaient : fatigue, faiblesse générale, troubles électrolytiques, troubles gastro-intestinaux, infection et déshydratation. Il n’y a pas eu de réduction significative de la toxicité hématologique (p = 0,11). Les troubles hématologiques les plus fréquents étaient la neutropénie, la lymphopénie et l’anémie. L’incidence des chutes était plus faible dans le groupe intervention (p < 0,01). Les traitements médicamenteux ont également été arrêtés plus fréquemment dans le groupe intervention (p = 0,02).
  • La survie à 6 mois (250 (72%) des 349 patients contre 275 (75%) des 369 patients) n’était pas différente dans les deux groupes.

Analyse critique et conclusion

L’étude de Mohile et al2 est un vaste essai randomisé en grappes, bien mené, qui examine l’utilité d’une évaluation gériatrique en termes d’effets indésirables graves. L’étude montre qu’une évaluation gériatrique peut orienter le choix thérapeutique, réduire indirectement la toxicité du traitement oncologique et améliorer ainsi la qualité de vie des personnes âgées atteintes d’un cancer, sans affecter l’espérance de vie.

Cette étude vient confirmer les résultats d’études précédentes ayant démontré l’impact positif d’une évaluation gériatrique avant l’établissement du plan de traitement.

  • Les synthèses méthodiques de Hamaker et al3 et de Chuang et al4  confirment que la réalisation d’une évaluation gériatrique avant d’établir le plan de traitement permet de prévenir des effets indésirables de grade 3 dans différents types de cancer, à différentes étapes du traitement.
  • La synthèse de Chuang et al4 a évalué six RCT ayant étudié l’effet d’une évaluation gériatrique sur la toxicité de grade 3 chez les patients âgés recevant un traitement non chirurgical. Les études incluses ont examiné des patients atteints de différents types de tumeurs à différents stades de la maladie, mais la majorité des études incluaient surtout des patients atteints d’un cancer avancé. Ces études ont constaté que l’évaluation gériatrique entraînait moins de toxicité liée au traitement et une réduction moins fréquente des doses en cours de traitement.
  • La synthèse méthodique de Hamaker et al3 a montré l’effet positif de l’évaluation gériatrique à la fois sur les décisions cliniques et sur des critères d’évaluation cliniquement pertinents, ainsi qu’une amélioration de la communication médecin-patient. Les études incluses ont examiné des patients présentant différents types de cancer et différents types de traitement.

Bien qu’il existe des différences dans l’organisation des soins autour de l’oncologie gériatrique entre les États-Unis et la Belgique, ces résultats fournissent une justification supplémentaire pour la mise en œuvre de l’évaluation gériatrique en oncologie. Celle-ci est un outil d’aide à la décision qui permet à l’oncologue d’évaluer l’utilité d’un traitement, de déterminer le traitement optimal présentant le moins de toxicité, et de favoriser ainsi la qualité de vie des personnes âgées atteintes d’un cancer.

Il est souhaitable d’intégrer une évaluation gériatrique au processus de prise de décision thérapeutique 2, 3.

Sources

Magnuson A, Sattar S, Nightingale G, Saracino R, Skonecki E, Trevino KM. A Practical Guide to Geriatric Syndromes in Older Adults With Cancer: A Focus on Falls, Cognition, Polypharmacy, and Depression. Am Soc Clin Oncol Educ Book. 2019 Jan;39:e96-e109.
Mohile SG, Mohamed MR, Xu H, Culakova E, Loh KP, Magnuson A, et al. Evaluation of geriatric assessment and management on the toxic effects of cancer treatment (GAP70+): a cluster-randomised study. Lancet. 2021 Nov 20;398(10314):1894-1904.
3 Hamaker M, Lund C, Te Molder M, Soubeyran P, Wildiers H et al. Geriatric assessment in the management of older patients with cancer – A systematic review (update). J Geriatr Oncol. 2022 Jul;13(6):761-777.
4 Chuang MH, Chen JY, Tsai WW, Lee CW, Lee MC, Tseng WH, Hung KC. Impact of comprehensive geriatric assessment on the risk of adverse events in the older patients receiving anti-cancer therapy: a systematic review and meta-analysis. Age Ageing. 2022 Jul 1;51(7):afac145