Traitement de l’insuffisance cardiaque chronique à fraction d’éjection réduite
L’insuffisance cardiaque est caractérisée par des symptômes tels que dyspnée, fatigue, oedème malléolaire; des signes cliniques tels que crépitations pulmonaires, oedèmes périphériques; et par des anomalies à l’imagerie médicale. L’insuffisance cardiaque est assez fréquente; chez les personnes âgées de 70 à 80 ans, la prévalence est de 10 à 20 %. L’insuffisance cardiaque peut être subdivisée en fonction de la gravité des symptômes suivant la classification de la New York Heart Association Classification (NYHA) ou celle plus récente de l’American College of Cardiology (voir appendice sur notre site Web). Sur base de la fraction d’éjection du ventricule gauche (FE), on distingue l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite (FE < 50 %, auparavant " insuffisance cardiaque systolique ") et l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (FE > 50 %, auparavant " insuffisance cardiaque diastolique"). La plupart des études ont été menées chez des personnes avec une fraction d’éjection réduite; l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée est abordée dans un paragraphe distinct. L’objectif du traitement à court terme consiste principalement à diminuer la gêne fonctionnelle; à plus long terme, on vise à éviter l’aggravation de l’insuffisance cardiaque, à limiter le nombre d’épisodes d’insuffisance cardiaque aiguë et les hospitalisations, et à prolonger l’espérance de vie. L’insuffisance cardiaque survient surtout chez les personnes (très) âgées; or celles-ci sont très souvent exclues des études cliniques. La plupart des études ont été menées chez des adultes plus jeunes, souvent de sexe masculin et avec une comorbidité minimale. On ne dispose dès lors que de peu de données sur l’efficacité et l’innocuité du traitement de l’insuffisance cardiaque dans une population plus âgée, vulnérable, avec une comorbidité élevée et souvent polymédiquée. Traitement non médicamenteux – mesures généralesPar rapport aux soins classiques, les programmes de revalidation multidisciplinaires diminuent le nombre de réhospitalisations et la mortalité chez les personnes insuffisantes cardiaques. La gymnastique médicale à elle seule permet de réduire le nombre d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque et augmente la tolérance à l’effort, mais sans effet démontré sur la mortalité. D’autres mesures, moins étayées, consistent à réduire l’apport en sel et l’apport hydrique, à arrêter de fumer, à éviter la consommation excessive d’alcool et à perdre du poids. La prise de médicaments susceptibles de provoquer une rétention sodée, tels que les AINS est à éviter. La vaccination contre la grippe est recommandée; la vaccination antipneumococcique peut être envisagée. La thérapie de resynchronisation, une prise en charge invasive, sort du cadre de cet article. Diurétiques augmentant la perte depotassiumEn présence de signes de rétention hydrique (dyspnée, oedème périphérique, oedème pulmonaire), l’administration de diurétiques augmentant la perte de potassium (thiazides et diurétiques de l’anse) est essentielle. Les diurétiques soulagent les symptômes, diminuent le nombre d’épisodes de décompensation et augmentent la tolérance à l’effort. Il existe quelques preuves très limitées que les diurétiques diminuent la mortalité, mais ceci n’a pas fait l’objet d’études à long terme. Lorsque des diurétiques sont nécessaires pour soulager les symptômes, il convient toujours d’y associer un traitement de base ayant un effet avéré à long terme. Dans la plupart des directives, on opte pour les diurétiques de l’anse, en raison de leur plus grand pouvoir diurétique et natriurétique. Chez les personnes âgées vulnérables, la prudence s’impose avec les diurétiques de l’anse, et un thiazide est parfois à privilégier. Chez les patients insuffisants rénaux (débit de filtration glomérulaire < 30 ml/min), la réponse aux thiazides, mais pas aux diurétiques de l'anse, est réduite. Le diurétique est instauré à faible dose qui sera titrée jusqu’à obtenir une amélioration clinique de la rétention hydrique; peser régulièrement le patient peut être ici un bon indicateur. Chez les patients stabilisés (idéalement avec des doses maximales d’IECA et de β-bloquants), on peut envisager de diminuer la dose ou d’arrêter le diurétique. Certains experts ayant une large expérience clinique de l’insuffisance cardiaque, ajoutent rapidement un antagoniste de l’aldostérone (spironolactone ou éplérénone) au diurétique thiazidique, mais cette pratique n’est pas étayée par des études cliniques. Il importe toutefois dans ces cas-là de surveiller de très près la fonction rénale et la kaliémie en raison du risque d’hyperkaliémie. Les principaux effets indésirables des diurétiques augmentant la perte de potassium sont: miction fréquente, perte de potassium et de sodium, déshydratation, crampes musculaires, hypotension et insuffisance rénale. IECALes IECA représentent la base du traitement de l’insuffisance cardiaque, et doivent, sauf contre-indications, être administrés à tous les patients. Dans cette indication, ils sont prescrits avec des β-bloquants, et parfois aussi avec un antagoniste de l’aldostérone. En Belgique, le captopril, le cilazapril, l’énalapril, le fosinopril, le lisinopril, le périndopril, le quinapril et le ramipril sont enregistrés pour le traitement de l’insuffisance cardiaque (situation en janvier 2014). Dans plusieurs études randomisées (telles que CONSENSUS, SOLVD, SAVE, TRACE), un effet positif sur la mortalité et le nombre d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque a été démontré avec les IECA à des doses assez élevées, et ce à tous les stades d’insuffisance cardiaque chronique. Le bénéfice absolu est d’autant plus grand que l’insuffisance cardiaque est sévère. Dans l’étude CONSENSUS chez des patients insuffisants cardiaques sévères, 7 personnes devaient être traitées pendant 6 mois pour éviter 1 décès supplémentaire (NNT = 7). Dans l’étude SOLVD-Treatment chez des personnes atteintes d’une insuffisance cardiaque légère ou modérée, le NNT était de 22 sur 41 mois. C’est avec le captopril, l’énalapril, le lisinopril et le ramipril que l’effet positif sur la morbidité et la mortalité est le mieux documenté; des différences cliniquement pertinentes entre les différents IECA n’ont pas été démontrées. Dans la plupart des directives, l’instauration simultanée d’un diurétique et d’un IECA est déconseillée en raison du risque d’hypotension. La dose de l’IECA doit être augmentée progressivement (p. ex. toutes les 2 semaines), jusqu’à la dose avec laquelle un effet positif a été observé dans les études. Les principaux effets indésirables des IECA sont : toux, hypotension, détérioration de la fonction rénale, hyperkaliémie et oedème angioneurotique. Il est conseillé de contrôler la fonction rénale lors de l’instauration du traitement et deux semaines après. Les IECA ne peuvent pas être utilisés en cas de sténose bilatérale des artères rénales ou de sténose sur rein unique, ni en cas d’hyperkaliémie ou de grossesse. SartansEn cas d’intolérance aux IECA, p. ex. en cas de toux gênante, un sartan peut être une alternative. En Belgique, le candésartan, le losartan et le valsartan sont enregistrés pour le traitement de l’insuffisance cardiaque (situation en janvier 2014). C’est avec le candésartan et le valsartan que l’efficacité dans l’insuffisance cardiaque est la mieux documentée.
A l’instar des IECA, la dose de sartan doit être augmentée progressivement jusqu’à la dose avec laquelle un effet positif a été observé dans les études. Les effets indésirables des sartans ne diffèrent pas beaucoup de ceux des IECA, sauf la toux qui est plus rare. Double inhibition du système rénine-angiotensine (SRA)Dans plusieurs études randomisées, l’association d’un sartan et d’un IECA (double inhibition du SRA) a été comparée à une monothérapie par IECA. Aucune différence significative n’a été constatée en termes de mortalité totale et cardio-vasculaire, et du nombre total d’hospitalisations. La double inhibition du SRA diminuait toutefois les hospitalisations pour insuffisance cardiaque (32,6 contre 41,6 %), sans différence significative du nombre total d’hospitalisations. La double inhibition du SRA entraînait aussi plus souvent une hyperkaliémie, une hypotension et une insuffisance rénale. La double inhibition du SRA n’est dès lors pas recommandée [voir Folia de septembre 2013 ]. Bêta-bloquantsEn cas d’insuffisance cardiaque stable déjà traitée par IECA et diurétiques, il est recommandé d’ajouter un β-bloquant, sauf en cas de contre-indications telles que asthme sévère, bradycardie ou bloc auriculo-ventriculaire préexistants. En Belgique, certaines spécialités à base de bisoprolol, carvédilol, métoprolol ou nébivolol sont enregistrées pour le traitement de l’insuffisance cardiaque (situation en janvier 2014). Dans plusieurs études randomisées, dont CIBIS II, COPERNICUS et MERIT-HF, des β-bloquants ont été comparés à un placebo. Un β-bloquant était ajouté à un traitement standard entre autres par IECA, chez des patients atteints d’une insuffisance cardiaque modérée à sévère. Dans toutes ces études, une diminution significative de la mortalité et du nombre d’hospitalisations a été constatée, de même qu’une amélioration de la tolérance à l’effort dans la plupart d’entre elles. La réduction absolue de la mortalité chez les personnes atteintes d’une insuffisance cardiaque légère à modérée était de 4,3 % (NNT = 23 sur 1 an); en cas d’insuffisance cardiaque sévère, la réduction de la mortalité était de 7,1 % (NNT = 14 sur 1 an). L’efficacité du carvédilol, du bisoprolol, et du métoprolol à action prolongée est la mieux documentée; il n’y a pas d’arguments pour privilégier l’un de ces produits en particulier. Vu la possibilité d’une détérioration clinique lors de l’instauration du β-bloquant, il convient de toujours commencer par une faible dose de β-bloquant, à augmenter progressivement, sur plusieurs semaines, jusqu’à la dose recommandée. D’autres effets indésirables des β-bloquants sont la bradycardie et la fatigue. Diurétiques d’épargne potassique (antagonistes de l’aldostérone)En cas de symptômes persistants malgré un traitement maximal par un IECA ou un sartan, un diurétique augmentant la perte de potassium et un β-bloquant, un antagoniste de l’aldostérone peut être ajouté, sauf en cas de contre-indications telles qu’une hyperkaliémie ou une diminution de la fonction rénale.
Il n’y a pas d’études comparatives entre la spironolactone et l’éplérénone, ni d’études comparatives directes avec d’autres médicaments de l’insuffisance cardiaque. Selon quelques directives récentes, l’usage d’antagonistes de l’aldostérone est recommandé chez tous les patients avec des symptômes persistants (NYHA II-IV) malgré un traitement par IECA et β-bloquant, sauf en cas de contre-indications. Il convient toutefois de souligner que tout traitement par un antagoniste de l’aldostérone doit faire l’objet d’une évaluation du rapport bénéfice/risque, et d’un suivi rigoureux des électrolytes et de la fonction rénale en cours de traitement. L’antagoniste de l’aldostérone doit être débuté à une faible dose, qui pourra être augmentée après 4 à 8 semaines; ceci doit se faire sous stricte surveillance de la kaliémie et de la fonction rénale. Les principaux effets indésirables des antagonistes de l’aldostérone sont: hyperkaliémie, détérioration de la fonction rénale, gynécomastie et impuissance. IvabradineDans l’étude BEAUTIFUL chez des personnes présentant un angor stable et une insuffisance cardiaque, et dans l’étude SHIFT chez des personnes insuffisantes cardiaques, une légère diminution du risque d’hospitalisation a été constatée en cas d’ajout d’ivabradine au traitement standard, mais sans influence sur la mortalité. Une analyse post-hoc des résultats obtenus suggère un bénéfice potentiel en termes de mortalité dans un sous-groupe de patients avec une fréquence cardiaque ≥ 75 battements/minute. Il n’y a pas d’études comparatives avec des traitements ayant un effet démontré sur la mortalité. L’ivabradine ne remplace donc pas les traitements standards bien éprouvés dans l’insuffisance cardiaque, mais elle peut être utile chez les patients ayant une fréquence cardiaque ≥ 75 battements/minute malgré un traitement standard optimal, ou chez les patients qui ne supportent pas les β-bloquants [voir Folia de janvier 2013 ]. Les principaux effets indésirables de l’ivabradine consistent en de la bradycardie et des phosphènes (phénomènes lumineux). DigoxineLa digoxine n’a qu’une place limitée dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque avec ou sans fibrillation auriculaire. Chez les patients en rythme sinusal dans l’étude DIG, aucun effet sur la mortalité n’a été constaté avec la digoxine; elle pourrait toutefois diminuer le nombre total d’hospitalisations chez les personnes recevant déjà un traitement par des IECA et des diurétiques. Le bénéfice limité de la digoxine doit être mis en balance avec les effets indésirables potentiellement graves tels que des troubles du rythme et de la conduction; une surveillance de la fonction rénale et des électrolytes est essentielle, et la détermination des taux plasmatiques de digoxine peut être utile, en particulier chez les patients insuffisants rénaux. Autres
Insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (FE > 50 %)Environ la moitié des patients insuffisants cardiaques ont une fraction d’éjection préservée. La prise en charge de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée n’a été que très peu étudiée; dans la majorité des études sur l’insuffisance cardiaque, les patients avec une fraction d’éjection préservée étaient exclus. Il est généralement admis que les mesures non médicamenteuses sont les mêmes que chez les patients à fraction d’éjection réduite. En ce qui concerne la prise en charge médicamenteuse, quelques études sont disponibles.
Appendice: Classification en fonction du degré de sévérité de l’insuffisance cardiaque
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