Folia 'Soins aux Personnes Âgées'
Les antipsychotiques dans la démence, un choix risqué ?
Message clé
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Les patients atteints de démence se voient souvent prescrire des antipsychotiques pour traiter des troubles du comportement, malgré leur efficacité limitée et les mises en garde contre un risque accru d'accidents vasculaires cérébraux (AVC) et de décès.
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Une étude de cohorte publiée dans le British Medical Journal (BMJ)1 confirme que les antipsychotiques utilisés dans la démence augmentent le risque d'accidents vasculaires cérébraux. L'étude révèle en outre un risque majoré de thromboembolie veineuse, d'infarctus du myocarde et d'insuffisance cardiaque, de fractures, de pneumonie et d’atteinte rénale aiguë.
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C’est en début de traitement que ce risque d’effets indésirables graves est le plus élevé.
Protocole de l’étude
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Il s'agit d'une étude de cohorte rétrospective, menée en population générale au Royaume-Uni. L’étude a comparé, sur une période de deux ans, un groupe de patients âgés atteints de démence et sous antipsychotiques, avec un groupe témoin apparié de patients âgés atteints de démence ne prenant pas d’antipsychotiques.
- Les participants (n=173 910, âge moyen 82 ans) ne pouvaient pas avoir pris d'antipsychotiques au cours de l'année précédant leur diagnostic de démence.
- Chaque patient atteint de démence qui s’est vu prescrire des antipsychotiques a été apparié à un maximum de 15 patients atteints de démence sans prescription d'antipsychotiques.
- Les données provenaient de plusieurs bases de données, ce qui a permis de regrouper les informations de plus de 2 000 cabinets de médecine générale (environ 20% de la population britannique) avec des informations sur les hospitalisations et la mortalité.
- Les critères d'évaluation étaient l'AVC, la thromboembolie veineuse, l'infarctus du myocarde, l'insuffisance cardiaque, l'arythmie ventriculaire, les fractures, la pneumonie et les atteintes rénales aiguës.
- Tous les critères d'évaluation qui se sont produits dans les deux ans suivant la prescription d'un antipsychotique, ont été enregistrés.
- Les patients ayant présenté l’un des critères d'évaluation (AVC, par exemple) avant la prescription de l'antipsychotique ont été exclus de l'analyse de risques pour le critère concerné, pour éviter de biaiser les résultats.
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L’étude a utilisé la méthode par score de propension, pour ajuster les différences entre les utilisateurs d'antipsychotiques et les non-utilisateurs, en termes de caractéristiques personnelles, de mode de vie, de comorbidités et de médicaments prescrits.
Résultats en bref
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Au total, 35 339 personnes se sont vu prescrire un antipsychotique au cours de la période étudiée. Les antipsychotiques les plus prescrits étaient la rispéridone (29,8% de toutes les prescriptions), la quétiapine (28,7%), l'halopéridol (10,5%) et l'olanzapine (8,8%), qui représentaient ensemble près de 80% de toutes les prescriptions. [ndlr : seuls la rispéridone et l'halopéridol ont pour indication le traitement des symptômes comportementaux et psychiques de la démence dans le RCP]
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Par rapport aux non-utilisateurs, l'utilisation d'antipsychotiques a été associée à un risque statistiquement significativement accru de pneumonie (rapport de hasards ou RH de 2,03), d’atteinte rénale aiguë (RH 1,57), de thromboembolie veineuse (RH 1,52), d'AVC (RH 1,54), de fractures (RH 1,36), d'infarctus du myocarde (RH 1,22) et d'insuffisance cardiaque (RH 1,16), mais pas d'arythmie. Ce résultat a été observé aussi bien avec les antipsychotiques classiques qu'avec les antipsychotiques atypiques.
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Pour presque tous les critères d'évaluation, le risque était le plus élevé dans les sept premiers jours suivant la prescription de l'antipsychotique. Le nombre d'arythmies ventriculaires était insuffisant pour les prendre en compte dans l’analyse. Le résultat le plus frappant était un risque 10 fois plus élevé pour la pneumonie.
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Le risque de pneumonie, d’atteinte rénale aiguë, de thromboembolie veineuse, d'AVC et de fracture restait accru jusqu'à deux ans après la prescription de l'antipsychotique. Le risque d'insuffisance cardiaque restait accru jusqu'à 180 jours après le début du traitement et le risque d'infarctus du myocarde, jusqu'à un an après.
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Dans les 180 jours suivant la prescription de l’antipsychotique, le nombre nécessaire pour nuire (NNN) était de 9 pour la pneumonie, 35 pour l’atteinte rénale aiguë, 107 pour la thromboembolie veineuse, 29 pour l'AVC, 40 pour les fractures, 167 pour l'infarctus du myocarde et 63 pour l'insuffisance cardiaque.
Limites de l’étude
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Comme dans toute étude observationnelle, les associations observées n'impliquent pas nécessairement une relation causale et on ne peut exclure la présence de facteurs de confusion résiduels. Les personnes âgées étant souvent polymédiquées, des interactions médicamenteuses peuvent avoir influencé les résultats.
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Les investigateurs ne disposaient d'aucune information sur les indications ayant motivé la prescription de l'antipsychotique, ni sur les différentes posologies et durées d'utilisation. Or ces facteurs déterminent en partie le risque d'effets indésirables.
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Il s'agit d'une étude rétrospective, reposant sur des données qui n'ont pas été enregistrées en fonction de la question de l'étude. De plus, les données de prescription ne coïncident pas toujours avec l'utilisation réelle.
Commentaire du CBIP
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Ces résultats viennent renforcer le message du Répertoire (10.2 Antipsychotiques), à savoir que les antipsychotiques ont un rapport bénéfice/risque défavorable dans les troubles du comportement chez les patients atteints de démence, car leur efficacité est très limitée et ils s'accompagnent d'un risque accru d’AVC et de mort subite. Cette étude observe en outre un risque accru de nombreux autres effets indésirables graves : thromboembolie veineuse, infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque, fractures, pneumonie et atteintes rénales aiguës.
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Le guideline belge sur les soins aux personnes âgées démentes résidant à domicile recommande en première intention un accompagnement comportemental et psychologique des personnes atteintes de démence qui présentent des troubles du comportement.2 Les antipsychotiques ne devraient être utilisés que si les approches non médicamenteuses se sont révélées insuffisantes ou si les troubles du comportement représentent un risque pour le patient, ses proches ou ses soignants. La nécessité de poursuivre le traitement doit être évaluée régulièrement.3
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Sources
1 Mok PLH, Guthrie B, Morales DR, et al. Multiple adverse outcomes associated with antipsychotic use in people with dementia: population based matched cohort study. BMJ 2024;385:e076268. doi: https://doi.org/10.1136/bmj-2023-076268 (Published 17 April 2024)
2 Groupe de travail Développement de recommandations de première ligne. Guide de pratique clinique pluridisciplinaire relatif à la collaboration dans la dispense de soins aux personnes âgées démentes résidant à domicile et leurs aidants proches. https://ebpnet.be/fr/ebsources/1242
3 BMJ Best Practice. Alzheimer’s disease. Management (consulté le 15-10-2024). https://bestpractice.bmj.com/topics/en-gb/317/management-approach