Allongement de l’intervalle QT en pratique - Messages clés

L’allongement de l’intervalle QT peut entrainer des torsades de pointes dont l’issue peut être fatale. C’est la raison pour laquelle on accorde beaucoup d’attention à l’allongement de l’intervalle QT provoqué par des médicaments. On parle d’un intervalle QT long lorsque la valeur du QTc est > 450 ms (homme) ou > 460 ms (femme).
Ces torsades de pointes ne surviennent pas systématiquement après la prise d’un médicament allongeant l’intervalle QT. Le risque varie en fonction de la combinaison des médicaments qui allongent l’intervalle QT et de la présence de facteurs de risque tels que des troubles électrolytiques et des cardiopathies. L’administration d’un médicament pouvant allonger l’intervalle QT chez des patients présentant plusieurs facteurs de risque est donc à éviter.

Introduction

Cet article est une mise à jour de notre article Folia de novembre 2012. Le but de cet article est de faire un rappel concernant l’allongement de l’intervalle QT signalé dans la pratique mais dont la pertinence clinique et la prise en charge sont peu connues. L’accent est mis sur la gestion de ce risque dans la pratique.

Pour rappel, la fréquence cardiaque doit être prise en compte lors de l’interprétation de l’intervalle QT. On utilise donc la valeur QTc qui est la valeur corrigée à 60 battements par minutes. Ces valeurs sont généralement calculées automatiquement.

Il existe encore beaucoup d’incertitudes concernant l’impact de l’allongement de l’intervalle QT : les données disponibles sont issues de rapports de cas et de petites études observationnelles. L’incidence des torsades de pointes induites par des médicaments est méconnue dans la population générale.1

Facteurs de risque d’allongement de l’intervalle QT et de torsades de pointes

Les facteurs de risque d’allongement de l’intervalle QT et de torsades de pointes sont les
suivants: 1, 2, 3

  • Age> 65 ans ;

  • Sexe féminin ;

  • Cardiopathies: insuffisance cardiaque, ischémie, hypertrophie du myocarde, bradycardie, bloc auriculo-ventriculaire du deuxième et troisième degré ;

  • Troubles électrolytiques : hypokaliémie, hypomagnésémie et moins souvent hypocalcémies.
    Il est important de rappeler que ces troubles électrolytiques peuvent être liées à la prise de médicaments (diurétiques, laxatifs…) ou à des diarrhées, des vomissements ou une affection hépatique ou rénale.

  • Maladie thyroïdienne ;

  • Utilisation de médicaments qui allongent l’intervalle QT ;

  • Syndrome du QT long congénital ou antécédents familiaux évocateurs d’allongement de l’intervalle QT.

Médicaments pour lesquels un risque d’allongement de l’intervalle QT est bien connu

Dans le tableau ci-dessous figurent les médicaments qui sont associés à un risque démontré d'allongement de l'intervalle QT, et donc de torsades de pointes (Tdp). La liste se base principalement sur la liste “Known risk of Tdp” sur le site Web de CredibleMeds® ainsi que sur la liste “High risk” dans Stockley’s Drug Interactions. Pour les médicaments portant le symbole ▼ainsi que pour les médicaments présents uniquement sur le marché belge, le RCP est utilisé.
Les médicaments pour lesquels est mentionné un “risque potentiel” dans le tableau sont des médicaments qui ont été associés à un allongement de l’intervalle QT, mais dont l’impact clinique est moins clair. Pour nombre de médicaments, il manque les données nécessaires pour évaluer le risque d’allongement de l’intervalle QT, ces médicaments n'ont pas été inclus dans ce tableau. Ce n’est pas parce qu’un médicament ne figure pas dans ce tableau que tout risque d’allongement de l’intervalle QT peut nécessairement être exclu.

Système cardiovasculaire
Amiodarone (rarement)
Cibenzoline
Disopyramide
Flécaïnide
Ranolazine
Sotalol
Vernakalant
Système digestif
Dompéridone (surtout à doses > 30 mg par jour)
Ondansétron (surtout à doses élevées par voie i.v.); risque potentiel aussi pour les autres antagonistes 5HT3
Système hormonal
Terlipressine
Douleur et fièvre
Méthadone
Pathologies ostéo-articulaires
Hydroxychloroquine
Système nerveux
Antipsychotiques :
  • Dropéridol
  • Halopéridol
  • Lévomépromazine
  • Pimozide
  • Sertindol
  • Sulpiride
Antidépresseurs :
  • Escitalopram
  • Citalopram
Médicaments du TDAH et de la narcolepsie :
  • Guanfacine
  • Pitolisant
Maladie d’Alzheimer :
  • Donépézil
  • Galantamine (risque potentiel)
Macrolides :
  • Azithromycine
  • Clarithromycine
  • Erythromycine
  • Roxithromycine
Quinolones :
  • Ciprofloxacine
  • Lévofloxacine
  • Moxifloxacine
  • Norfloxacine (risque potentiel)
  • Ofloxacine (risque potentiel)
Bédaquiline
Dérives azoliques :
  • Fluconazole
  • Itraconazole (risque potentiel)
  • Posaconazole (risque potentiel)
  • Voriconazole (risque potentiel)
Antipaludéens :
  • Artéméther + luméfantrin
  •  Arténimol + pipéraquine
  • Quinine
Pentamidine
Antirétroviraux contre le VIH :
  • Atazanavir (risque potentiel)
  • Fostemsavir (risque potentiel)
  • Lopinavir (risque potentiel)
  • Rilpivirine (risque potentiel)
  • Associations de ces substances (risque potentiel)
​Voir aussi : https://www.hiv-druginteractions.org/
Immunité
Hydroxyzine

Pour les médicaments biologiques les plus récents, le risque n’a pas encore été évalué par nos sources (voir RCP).
Médicaments antitumoraux
Dérivés du platine :
  • Oxaliplatine
Anticorps monoclonaux :
  • inotuzumab ozogamicine
Antitumoraux divers :
  • Anagrélide
  • Arsenic trioxyde
  • Panobinostat
Inhibiteurs de protéines kinases : bosutinib, céritinib, crizotinib, entrectinib, lenvatinib, nilotinib, osimertinib, pralsétinib, ribociclib, selpercatinib, tépotinib, vandétanib, vémurafénib; risque potentiel pour l’asciminib, le cabozantinib, le dabrafénib, le dasatinib, l’encorafénib, le giltéritinib, le lapatinib, le lorlatinib, la midostaurine, le pazopanib, le sorafénib, le sunitinib.

Pour les médicaments antitumoraux les plus récents, le risque n’a pas encore été évalué par nos sources (voir RCP).
Anesthésie
Propofol
Autres
Cocaïne

Situations à risque et exemples

  • Le risque de survenue de torsades de pointes augmente avec la dose, une augmentation trop rapide des doses, ou des concentrations plasmatiques élevées (p.ex. perfusions trop rapides). Ce risque régresse souvent lors de la diminution de la dose, et est généralement réversible à l’arrêt du traitement.1

  • Association de plusieurs médicaments allongeant l’intervalle QT ; 1,4

    Exemples :
    • Un patient sous traitement chronique par flécaïnide, s’est vu prescrire de l’azithromycine pour une pneumonie atypique.
    • Un patient souffre d’un stress post-traumatique, qui est pris en charge par des séances de psychothérapies, et un traitement à l’escitalopram 10 mg. Lors d’une consultation, son médecin généraliste a diagnostiqué une pyélonéphrite. Un traitement par ciprofloxacine 500mg 2x par jour pendant 14 jours est instauré.
    Il s’agit ici de deux situations à risque car on associe deux médicaments qui prolongent l'intervalle QT et sont clairement associés à un risque connu de torsades de pointes.
  • Association d’un médicament allongeant l’intervalle QT avec un médicament, un aliment ou un complément alimentaire ralentissant son métabolisme (inhibiteur) ; 1,4

    Exemple :
    • Consommation de clarithromycine en combinaison avec du jus de pamplemousse.
  • Association d’un médicament allongeant l’intervalle QT avec un médicament qui entraine des troubles électrolytiques (p.ex. un diurétique).

    Exemple :
    • Un patient souffrant de vomissements a reçu une prescription pour de la dompéridone. Ce patient prend habituellement de la chlorthalidone pour son hypertension.
  • Association d’un médicament allongeant l’intervalle QT avec un médicament bradycardisant (p.ex. l’ivabradine, les inhibiteurs de la cholinestérase utilisés dans la maladie d’Alzheimer). Les β-bloquants (à l’exception du sotalol), le diltiazem et le vérapamil ne posent probablement pas de problème dans ce cadre, malgré leur effet bradycardisant.1

Mesures de précaution et exemples

  • Eviter la prescription de médicaments qui allongement l’intervalle QT : si plusieurs alternatives sont possibles, choisir le médicament qui n’allonge pas l’intervalle QT.

  • Si possible, corriger les facteurs de risque avant de commencer le traitement et les surveiller par la suite.1

  • La réalisation systématique d’un ECG lors de l’instauration d’un médicament allongeant l’intervalle QT n’est pas réaliste. Cependant, il est préférable de prévoir un ECG avant et pendant le traitement chez les patients qui présentent plusieurs facteurs de risque.1,2,4

    Il n’existe pas de définition unanime de l’allongement de l’intervalle QT. Cependant, de nombreuses études ont montré que les patients présentant un QTc  ≥ 500 ms, ou se trouve augmenté de plus de
    60 ms par rapport à un précédant ECG, sont considérés comme à haut risque de torsades de pointes et de mort subite.1,2,4
  • Bien que l’allongement de l’intervalle QT soit généralement asymptomatique, il existe un risque de développer des torsades de pointes. Il est donc important de rappeler aux patients les signaux d’alarmes de torsades de pointes en cas de prescription à risque : palpitations, étourdissements, vertiges, syncopes, convulsions généralisées confondues avec des crises épileptiques, essoufflement passager, etc…1,4 Lorsque de tels symptômes se manifestent, il convient d’arrêter le médicament incriminé, de contrôler l’ECG et de corriger les facteurs de risque sous-jacents éventuels (hypokaliémie, bradycardie…).

  • Lorsqu’on constate que l’intervalle QTc est allongé, mais inférieur à 500ms, prévoir une alternative ou réduire la dose du médicament suspecté.1

  • Quand l’intervalle dépasse 500 millisecondes, le médicament incriminé sera de préférence arrêté.

    La définition d’un intervalle QTc allongé varie mais il est généralement admis qu’un intervalle dépassant 500 ms entraine un risque élevé de torsades de pointes.

Résumé

Cliquez ici pour télécharger la fiche récapitulative.

Facteurs de risque d’allongement de l’intervalle QT et de torsades de pointes
  • Age> 65 ans ;
  • Sexe féminin ;
  • Cardiopathies: insuffisance cardiaque, ischémie, hypertrophie du myocarde, bradycardie, bloc auriculo-ventriculaire du deuxième et troisième degré ;
  • Troubles électrolytiques : hypokaliémie, hypomagnésémie et moins souvent hypocalcémies.
  • Maladie thyroïdienne ;
  • Utilisation de médicaments qui allongent l’intervalle QT ;
  • Syndrome du QT long congénital ou antécédents familiaux évocateurs d’allongement de l’intervalle QT.
Situations à risque
  • Risque augmenté avec la dose, des concentrations plasmatiques élevées ou une augmentation trop rapide des doses du médicament allongeant l’intervalle QT ;
  • Associations de plusieurs médicaments allongeant l’intervalle QT ;
  • Association d’un médicament allongent l’intervalle QT avec un médicament/produit ralentissant son métabolisme ;
  • Association d’un médicament allongeant l’intervalle QT avec un médicament qui entraine des troubles électrolytiques ou un médicament bradycardisant.
Mesures de précautions
  • Corriger les facteurs de risque avant de commencer le traitement et par la suite ;
  • Prévoir un ECG avant et pendant le traitement chez les patients qui présentent plusieurs facteurs de risque ;
  • Rappeler aux patients les signaux d’alarmes : palpitations, étourdissements, vertiges, syncopes, convulsions généralisées confondues avec des crises épileptiques, essoufflement passager…
  • Si le patient présente des signaux d’alarmes, arrêter le médicament incriminé, contrôler l’ECG et corriger les facteurs de risque éventuels (hypokaliémie, bradycardie).
  • Si l’intervalle QTc a été allongé (mais < 500 msec), prévoir une alternative, ou réduire la dose du médicament suspecté.
  • Si l’intervalle dépasse 500 millisecondes, le médicament incriminé sera de préférence arrêté.


Sources

Prescrire. Allongement de l’intervalle QT, torsades de pointes et morts subites d’origine médicamenteuse. La Revue Prescrire 2021 ; 41 (452) : 428-436.
Stockley’s Drug Interactions, Drugs that prolong the QT interval + Other drugs that prolong the QT interval, consulté le 09/04/2024.
Crediblemeds, Clinical Factors Associated with Prolonged QTc and/or TdP, consulté le 09/04/2024.
4 Crediblemeds, Overview of Long QT Syndrome and Torsades de Pointes, consulté le 09/04/2024.