L’EMA dit non au lécanémab contre l’Alzheimer : pourquoi ?
Le 25 juillet 2024, l'Agence européenne des médicaments (EMA) a émis un avis négatif concernant la demande d'autorisation du lécanémab (Leqembi®), un médicament contre la maladie d’Alzheimer.1 Cette nouvelle a été largement relayée par les médias, certains affirmant que cet avis négatif était regrettable et qu'il s'agissait d'une occasion manquée pour les patients atteints de la maladie d'Alzheimer.
Pourquoi l’EMA a-t-elle émis un avis négatif ? Quelques explications ci-dessous.
L'EMA a émis un avis négatif parce que le bénéfice très limité en termes de ralentissement du déclin cognitif ne l'emporte pas sur le risque d'effets indésirables graves, en particulier d’hémorragies cérébrales (ARIA, voir plus loin).
L'EMA s'inquiète aussi du fait que le risque d'ARIA (voir plus loin) est plus prononcé chez les patients porteurs d'un gène particulier codant pour l'ApoE4. Le risque est le plus élevé chez les personnes ayant deux copies de ce gène, or ces personnes sont aussi connues pour être plus à risque de développer la maladie d'Alzheimer.
Pour analyser le profil d’efficacité et de sécurité, l'EMA s’est appuyée sur les résultats de l'étude CLARITY-AD, une RCT de phase III publiée dans le New England Journal of Medicine et discutée en détail dans notre article Folia de décembre 2022 : Le buzz autour du lécanémab chez les patients Alzheimer au stade précoce : des attentes qu’il faut tempérer. Voici les points clés de cette étude sur l'efficacité et la sécurité du lécanémab.
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Efficacité
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Critère d'évaluation primaire : à 18 mois, le score CDR-SB (Clinical Dementia Rating-Sum of Boxes) s'était moins détérioré dans le groupe lécanémab (+1,21 point) que dans le groupe placebo (+1,66 point). La différence dans la variation du score était de -0,45 sur une échelle de 0 à 18, une différence statistiquement significative (IC à 95% de -0,67 à -0,23).
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La pertinence clinique de cet effet est incertaine et même remise en question (éditorial du Lancet 2022, communiqué du BMJ 2022, et voir plus loin).
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Effets indésirables (lécanémab versus placebo):
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Réactions liées à la perfusion: 26,4% (sévères dans 1,2% des cas) contre 7,4% (sévères dans 0% des cas).
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Anomalies d'imagerie liées à l'amyloïde impliquant un œdème (ARIA-E): 12,6% (symptomatiques dans 2,8% des cas, les principaux symptômes étant des céphalées, des troubles visuels et une confusion) contre 1,7% (symptomatiques dans 0% des cas).
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Anomalies d'imagerie liées à l'amyloïde impliquant des microhémorragies et une hémosidérose (ARIA-H): 17,3% (symptomatiques dans 0,7% des cas, le principal symptôme étant des vertiges) contre 9,0 % (symptomatiques dans 0,2% des cas).
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Microhémorragies cérébrales: 14% contre 7,6%.
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Macrohémorragies cérébrales: 0,6% contre 0,1%.
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Les patients du groupe lécanémab ont été plus nombreux à abandonner le traitement en raison d'effets indésirables: 7% contre 3%.
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Le Geneesmiddelenbulletin2 signale que dans l'étude de suivi ouverte, trois patients sont décédés, possiblement des suites d’une ARIA, mais ceci est encore en cours d'investigation.
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Commentaires du CBIP
- L'efficacité clinique du lécanémab est très limitée et les risques sont réels. Les auteurs d'un article paru dans le Geneesmiddelenbulletin2, une autre revue d’information indépendante, soutiennent que le lécanémab et deux autres anticorps monoclonaux (aducanumab et donanémab) n'ont pas de place dans le traitement de la maladie d'Alzheimer compte tenu de leur rapport bénéfice/risque défavorable (et, pour l'aducanumab, de son coût élevé aux États-Unis). L'aducanumab a d'ailleurs été retiré du marché américain début 2024 à l'initiative de la firme, après avoir été approuvé de manière controversée par la FDA en 2021 [voir aussi Folia de juillet 2021 à ce sujet], sans jamais avoir été remboursé par la suite, et à peine prescrit3,4.
- Il est bien évident que la mise au point d’un traitement efficace contre la maladie d'Alzheimer est un espoir que partagent toute la communauté scientifique, les patients et leurs aidants proches. Mais le fait que la médecine n'a jusqu'à présent trouvé aucune réponse substantielle à la maladie d'Alzheimer ne doit pas être utilisé comme argument pour répandre de faux espoirs parmi les patients et les aidants-proches. C'est également ce que concluent et soutiennent plusieurs experts cités dans le communiqué du British Medical Journal du 29 juillet 2024.5
Sources
1 EMA. Refusal of the marketing authorisation for Leqembi (lecanemab). 26 July 2024, EMA/337466/2024 - EMEA/H/C/005966
2 Schwarz E.P. Nieuwe geneesmiddelen bij Alzheimer. Werkzaamheid niet klinisch relevant. Gebu. 2024;58(6):e2024.6.8
3 Updates on New Alzheimer’s Disease Drugs. Worst Pills, Best Pills. Newsletter article may, 2024
4 Dyer O. Aduhelm: Biogen abandons Alzheimer’s drug after controversial approval left it unfunded by Medicare. BMJ 2024;384:q281 (doi: https://doi.org/10.1136/bmj.q281)
5 Mahase E. News. Lecanemab: European drug agency rejects Alzheimer’s drug amid debate over efficacy and safety. BMJ 2024;386:q1692 (doi: https://doi.org/10.1136/bmj.q1692, Published 29 July 2024)