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Prescription off-label de médicaments

La règle veut qu’un médicament soit utilisé comme spécifié dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP). Si ce n’est pas le cas, on parle d’utilisation off-label (parfois aussi appelée « utilisation en dehors des indications » mais ce terme est trop limitatif). Si le patient ne peut pas être traité autrement de façon adéquate, l’utilisation off-label d’un médicament et donc la prescription off-label est justifiée et peut même parfois être indispensable pour bien soigner le patient, à condition que cette utilisation off-label soit suffisamment documentée. En cas de prescription off-label, la principale responsabilité incombe au prescripteur, mais d’autres acteurs sont aussi impliqués. Le présent article aborde les précautions à prendre, la nécessité d’un consentement éclairé (oral ou écrit) et la responsabilité du prescripteur, du pharmacien qui délivre et du producteur. Il est important de signaler les effets indésirables qui surviennent dans le contexte d’une prescription off-label. Un plan par étapes, pour une prescription off-label responsable, est proposé.

Qu’entend-on par utilisation “off-label” ?

Ce texte porte sur la prescription et l’utilisation off-label d’un médicament autorisé (syn. enregistré),
c.-à-d. une utilisation qui s’écarte de ce qui figure dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP). On parle aussi parfois d’ « utilisation hors indication » ou « hors AMM ». Ce texte ne porte pas sur l’ « usage non autorisé » (unlicensed use), l’usage compassionnel (compassionate use) ou les programmes médicaux d’urgence (medical need).

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L’agence européenne ou belge des médicaments accorde une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour un médicament s'il existe des preuves suffisantes de son efficacité et si les bénéfices du médicament l’emportent sur les risques. Le « résumé des caractéristiques du produit » (RCP) et la notice pour le public approuvés, mentionnent la ou les indications pour lesquelles le produit est autorisé, les contre-indications, la posologie approuvée et les voies d’administration, ainsi que le groupe d’âge ou le groupe de patients auquel le médicament est destiné. On parle d’utilisation off-label lorsque le médicament est utilisé d’une manière différente de ce qui figure dans le RCP, par exemple à une autre posologie, pour un autre groupe d’âge ou de patients, une autre indication et/ou voie d’administration que celles qui ont été autorisées, ou chez un patient pour lequel le médicament est contre-indiqué selon le RCP. Le terme « hors indication » est donc un terme trop limitatif : mieux vaut parler d’off-label.

Quand prescrire off-label ?

La règle générale est qu’un médicament est prescrit conformément à ce qui est mentionné dans le RCP. Cependant, la prescription off-label d'un médicament peut se justifier lorsque le patient ne peut pas être traité de manière adéquate autrement, et peut même être indispensable pour bien soigner le patient. Il peut s’agir d’une indication qui n’est pas reprise dans le RCP mais pour laquelle il existe des preuves d’efficacité, ou de l’utilisation chez des groupes de patients particuliers, tels que des enfants ou des femmes enceintes, alors que ce n’est pas mentionné dans le RCP. Dans son rapport « Pistes pour mieux encadrer l’usage off-label des médicaments » (KCE Reports 252A, 2015)1 , le KCE écrit qu’il est de notoriété publique que les médicaments sont souvent prescrits off-label chez les enfants ou les femmes enceintes, ou encore dans les domaines de l’oncologie, de l’obstétrique, des maladies infectieuses (VIH/sida) et des soins palliatifs. On estime qu’en pédiatrie, jusqu’à 80 % des médicaments sont utilisés off-label ; en oncologie, cette proportion atteindrait au moins 50 %.

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Dans de nombreux cas, le prescripteur n'est pas au courant des termes précis du RCP, ce qui conduit à une prescription off-label involontaire. Parfois, les indications énoncées dans le RCP des spécialités à base d'un même principe actif diffèrent, ce qui rend l'appréciation complexe.

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Quelles précautions prendre en cas de prescription off-label ?

  • Deux précautions importantes s'appliquent à une prescription off-label. Premièrement, le prescripteur doit être en mesure de démontrer que sa décision repose sur des fondements scientifiques valables (par exemple une recommandation ou un guideline fondé sur des données probantes). Deuxièmement, le patient doit être informé de manière adéquate. Lorsqu'il s'agit d'un traitement avec un risque d'effets indésirables graves, le consentement éclairé est de préférence donné par écrit. Informer le patient et documenter le processus décisionnel dans le dossier médical sont extrêmement importants, surtout si les fondements scientifiques de la prescription off-label sont plutôt limités2.

  • Le Conseil national de l'Ordre des médecins insiste sur ces deux précautions dans son avis du 26/06/20103.

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  • Les précautions reprises ci-dessus concernent tous les professionnels de la santé qui prescrivent : médecins, dentistes et sages-femmes.

Responsabilité

Responsabilité du prescripteur

  • En vertu du principe de la liberté thérapeutique, les médecins peuvent prescrire des médicaments off-label. Ceci n’exclut toutefois pas que leur responsabilité civile puisse être engagée si des dommages devaient en découler pour le patient.

  • Dans son avis du 26/06/20103 , le Conseil national de l’Ordre des médecins note « que le médecin est responsable de la prescription ».

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  • Voici ce qu’écrit le KCE concernant la responsabilité du médecin-prescripteur, dans son rapport « Pistes pour mieux encadrer l’usage off-label des médicaments » (KCE Reports 252A, 2015)1 : « La responsabilité du médecin dans les dommages découlant d’une utilisation off-label doit être évaluée au cas par cas. Les tribunaux examineront ce qu’aurait fait dans les mêmes circonstances un praticien normalement prudent et diligent.” Le document KCE met en avant quelques critères sur lesquels le tribunal par exemple fondera son évaluation.

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Responsabilité du pharmacien qui délivre

  • Dans le cas d'une prescription, il est généralement impossible pour le pharmacien de savoir s'il s'agit d'une utilisation off-label : le pharmacien ne connaît généralement pas l'indication, ni les particularités du patient (affections sous-jacentes, les autres médicaments avec lesquels le patient est traité). Le pharmacien peut cependant réagir dans certaines situations, p. ex. en cas de posologie très différente de l'habituelle ou en cas de voie d'administration non prévue dans le RCP. En cas de doute, le pharmacien doit contacter le prescripteur.

  • Le pharmacien est toujours responsable de la qualité des préparations magistrales qu'il délivre. Cela s'applique également aux préparations magistrales dans lesquelles est incorporée une spécialité, ce qu'on appelle « usage non autorisé » (unlicensed use).

  • Dans son rapport « Pistes pour mieux encadrer l’usage off-label des médicaments » (KCE Reports 252A, 2015)1 , voici ce qu’écrit le KCE au sujet de la responsabilité du pharmacien

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Responsabilité du Comité Médico-Pharmaceutique (CMP) dans l’hôpital

Le rapport du KCE (2015)1 parle aussi de la responsabilité du Comité Médico-Pharmaceutique (CMP, l’organe légal chargé, au sein de l’hôpital, de déterminer quels médicaments sont inscrits dans le formulaire de l’hôpital) et de la problématique liée à l’inscription dans le formulaire de l’hôpital de médicaments pour des indications qui ne sont pas mentionnées dans le RCP.

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Responsabilité du producteur

Le producteur peut bien entendu être tenu responsable des dommages causés au patient si le RCP n'alerte pas suffisamment sur un problème dans le cadre d’une utilisation autorisée du médicament. La mesure dans laquelle le producteur sera tenu responsable en cas de dommages causés par une utilisation off-label est moins claire et dépendra, entre autres, de la question de savoir si l'utilisation off-label est une pratique connue. Il va de soi que le producteur n’est pas autorisé à promouvoir une utilisation off-label. Le KCE (2015)1 écrit ce qui suit concernant la responsabilité du producteur :

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Quelques commentaires

  • Il est important de notifier les effets indésirables qui surviennent dans le cadre d'une prescription off-label. Cela peut se faire via www.notifieruneffetindesirable.be. Les notifications sont traitées de manière confidentielle.

  • Le Nederlands Tijdschrift voor Geneeskunde a récemment publié deux articles concernant la prescription off-label: “Off-label voorschrijven verplicht vastleggen in het patiëntendossier ?2 et “Een stappenplan voor verantwoord off-labelgebruik4. Ces articles soulignent l'importance d'un bon équilibre entre les effets bénéfiques recherchés de l'utilisation off-label d'un médicament d'une part, et les risques potentiels de celui-ci d'autre part. De plus, ils soulignent que le patient doit être impliqué dans cette réflexion et que la décision de prescrire off-label doit être motivée par par exemple une recommandation ou un guideline fondé sur des données probantes. La prise de décision doit être documentée dans le dossier du patient, surtout en l'absence de fondements scientifiques valables. Les 6 étapes suivantes sont décrites comme un plan par étapes pour une utilisation off-label responsable :
       1. Vérifiez si la prescription est conforme au RCP ou off-label.
       2. Assurez-vous que l'utilisation off-label est la meilleure option thérapeutique.
       3. Demandez-vous si les avantages de l'utilisation off-label l'emportent sur les risques.
       4. Veillez à obtenir le consentement éclairé explicite du patient ou de son représentant ;
           s'il existe des fondements scientifiques valables (par exemple une recommandation ou
           un guideline fondé sur des données probantes), le consentement oral implicite est 
           suffisant.
       5. Déterminez à l'avance les précautions à prendre pour garantir une utilisation sûre.
       6. S'il y a trop d'incertitudes, examinez si l'utilisation du médicament peut avoir lieu dans le
           cadre d'une étude clinique.

Sources spécifiques

KCE. Pistes pour mieux encadrer l’usage ‘off-label’ des médicaments. KCE Reports 252B (2015). Lire la synthèse en français (PDF). Lire le rapport complet en anglais (PDF).
van Gelder en Engelaer FM. Off-label voorschrijven verplicht vastleggen in het patiëntendossier ? Ned Tijdschr Geneeskd. 2021;165:D6150
3 Conseil national de l'Ordre des médecins. Avis du 26/06/2010.

4 van der Zanden TM, Schrier L en de Wildt. Een stappenplan voor verantwoord off-labelgebruik. Ned Tijdschr Geneeskd. 2021;165:D5203