Inhibiteurs des interleukines : risque de cancer ?
Il existe un lien entre les maladies chroniques inflammatoires et le développement d'un cancer. En outre, on s'inquiète depuis longtemps du fait que les médicaments biologiques, de plus en plus utilisés dans les maladies inflammatoires, puissent encore augmenter ce risque. Une méta-analyse d’étude randomisées contrôlées (randomized controlled trials : RCT) a été récemment publiée sur les inhibiteurs des interleukines (IL) dans les maladies rhumatismales1 ainsi qu'une méta-analyse d'études observationnelles en cas de psoriasis2.
Maladies rhumatismales
Plusieurs maladies rhumatismales sont associées à un risque accru de cancer par rapport à la population générale. Pour la polyarthrite rhumatoïde, on estime que le risque de lymphome est doublé3. Des études comparant des patients avec la même maladie et traités avec ou sans médicaments biologiques peuvent contribuer à déterminer si le risque accru de cancer est associé au traitement ou à la maladie sous-jacente.
Une synthèse méthodique avec méta-analyse de RCT publiée en 2019 a trouvé un risque accru de cancer par les inhibiteurs des IL par rapport au placebo chez des patients avec des maladies rhumatismales1. Le suivi médian n'était que de 28 semaines, ce qui est très court pour une maladie chronique. Le number needed to harm (NNH) était de 250 pour 1 cas supplémentaire de cancer sur une période de suivi médiane de 28 semaines. Après calcul, ceci correspond à 2 (IC à 95 % de 0 à 6) diagnostics de cancer supplémentaires par 1 000 patients liés à l'emploi d'inhibiteurs des IL par rapport au placebo.
- Au total, 74 RCT contrôlées par placebo ont été incluses. Les indications les plus fréquentes étaient respectivement : la polyarthrite rhumatoïde (N = 35 RCT), l'arthrite psoriasique (N = 12) et la spondylarthrite ankylosante (N = 9).
- Les inhibiteurs des IL les plus utilisés étaient : le tocilizumab (N = 18 RCT), le sécukinumab (N = 15), l'anakinra (N = 8), l'ixékizumab (N = 6), le rilonacept (N = 6), le sarilumab (N = 4), le sirukumab (N = 4), l'ustékinumab (N = 4) et le brodalumab (N = 3).
- Les cas de cancer ont été rapportés dans 45 RCT (n = 21 065) avec un suivi médian de 28 semaines (entre 12 et 264 semaines). Le risque de cancer pour les inhibiteurs des IL versus placebo était :
- 141/15 244 (0,9 %) versus 28/5 821 (0,5 %) ; NNH = 250
- Odds ratio (OR) = 1,49 (IC à 95 % de 1,04 à 2,16)
Les auteurs soulignent qu'il faut tenir compte d'une augmentation possible du risque de cancer avec la durée du traitement. Ils ont trouvé une telle association dans une analyse supplémentaire, mais des études de plus longue durée sont nécessaires pour le confirmer.
Psoriasis
Les patients avec un psoriasis ont un risque légèrement accru de différents types de cancers, surtout des cancers de la peau non mélanomes et des lymphomes2. Certains traitements (cyclosporine et PUVA-thérapie, voir les Folia de mars 2018) appliqués dans le psoriasis s'accompagnent également d'un risque accru de cancer.
Les données de RCT versus placebo ne montrent pas de risque accru de cancer lors de l'emploi d'inhibiteurs des IL chez les patients avec un psoriasis. De même, une synthèse méthodique avec méta-analyse d'études observationnelles n'a pas observé de risque accru de « tous cancers confondus » avec des médicaments biologiques (inhibiteurs du TNF et des IL) comparés aux traitements classiques du psoriasis2. Il n'y avait pas non plus de différence pour le risque de cancers de la peau non mélanomes ou de lymphomes. Si les cancers de la peau non mélanomes sont exclus de l'analyse, le risque de cancer était même réduit. Selon le critère d'évaluation appliqué, l'analyse était basée sur 3 à 6 études et la durée du suivi variait d'environ 20 000 à 71 000 années-patients.
Commentaires
En plus des limitations inhérentes aux RCT pour la détection des effets indésirables rares et tardifs (comme une durée du suivi courte ou un nombre limité de patients) et les limitations inhérentes aux études observationnelles (comme les facteurs de confusion), certaines remarques s'imposent.
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La méta-analyse de RCT versus placebo dans les maladies rhumatismales n'a pas rapporté les résultats par type de tumeur, probablement en raison du faible nombre de cancers diagnostiqués et du manque de données sur le type de tumeurs dans certaines études. De même, aucune analyse n'a été effectuée excluant de l'analyse les cancers de la peau non mélanomes. Ces types de cancers de la peau, qui se manifestaient le plus souvent dans l'étude, peuvent souvent être traités de façon curative. Selon nos calculs, le risque semble toujours accru après exclusion de l'analyse des cancers de la peau non mélanomes, mais le risque absolu est plus faible.
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Il est à noter que dans la méta-analyse d’études observationnelles sur le psoriasis, la comparaison des médicaments biologiques avec les traitements classiques est peu détaillée. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que la méta-analyse comportait plusieurs questions de recherche et de multiples analyses. Elle donne par exemple peu d'informations sur les traitements susceptibles être associés à un risque accru de cancer dans le groupe témoin. On notera également que les inhibiteurs des IL n’ont pas fait l’objet d’une analyse spécifique et que les études reprises dans la méta-analyse étaient hétérogènes. Les données sont encore insuffisantes pour se prononcer sur le risque de cancer lors de l'emploi d'inhibiteurs des interleukines chez les patients avec un psoriasis.
Sources
1 Bilal J, Berlinberg A, Riaz IB, et al. Risk of Infections and Cancer in Patients With Rheumatologic Diseases Receiving Interleukin Inhibitors: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA Netw Open 2019;2(10):e1913102. Published 2019 Oct 2.
2 Vaengebjerg S, Skov L, Egeberg A, Loft ND. Prevalence, Incidence, and Risk of Cancer in Patients With Psoriasis and Psoriatic Arthritis: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA Dermatol 2020;156(4):421-429.
3 Simon TA, Thompson A., Gandhi KK, Hochberg MC, Suissa S. Incidence of malignancy in adult patients with rheumatoid arthritis: a meta-analysis. Arthritis research & therapy 2015;17(1), 212.