Médicaments dans l'abus d'alcool et la dépendance à l'alcool - Partie 2: la prévention des rechutes

Lorsque la décision est prise d’instaurer, chez un patient motivé, un traitement médicamenteux de soutien en prévention de rechutes, l’acamprosate, la naltrexone, ainsi que le nalméfène - qui a été moins étudié - sont des options possibles. Leur effet est cependant modeste, et ils doivent toujours être combinés à l’une ou l’autre forme d’intervention psychosociale. L’acamprosate et la naltrexone ont surtout été étudiés dans le cadre du maintien de l’abstinence; le nalméfène a été étudié pour diminuer la consommation d’alcool chez les personnes non abstinentes. Le choix peut être influencé par la facilité d’emploi, les effets indésirables, les interactions, les contre-indications et le coût.

Le disulfirame n’a plus qu’une place très limitée, p.ex. chez des patients très motivés et bien suivis ayant pour objectif l’abstinence totale. Dans l’attente des résultats des études en cours, le baclofène est à déconseiller.

Cet article porte sur la prévention des rechutes. La partie 1, qui est parue dans les Folia de mars 2016, traite du sevrage alcoolique.

 

Introduction

Une prise en charge psychosociale constitue la pierre angulaire dans la prévention des rechutes, mais sort du cadre de cet article. Un traitement médicamenteux n’est utile qu'en association à une prise en charge psychosociale; la participation active à des groupes d’entraide semble également avoir un impact positif durable.

Chez les patients ayant une dépendance à l’alcool, on tente après la phase de sevrage d’arrêter la consommation d’alcool (abstinence) ou, si cela semble impossible, de contrôler dans la mesure du possible la consommation d’alcool. Ces 20 dernières années, on a en effet pris conscience du fait qu’un traitement après la phase de sevrage peut avoir un effet bénéfique, même si une abstinence complète ne peut être obtenue ou maintenue. C'est pourquoi d’autres critères d’évaluation que le maintien de l’abstinence ont été évalués dans les études cliniques ces dernières années, p. ex. le nombre de jours sans alcool et le nombre de jours de consommation excessive d’alcool.

En Belgique, l’aide à la prévention des rechutes chez des patients présentant une dépendance à l’alcool est mentionnée comme indication dans le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) des médicaments suivants: acamprosate (Campral®), disulfirame (Antabuse®), nalméfène (Selincro®) et naltrexone (Naltrexone Accord®; la spécialité Nalorex® n’a pas cette indication). Par ailleurs, plusieurs médicaments sont utilisés off-label, par exemple certains antidépresseurs, antiépileptiques, ainsi que le baclofène qui, ces dernières années, a fait l'objet d'une attention particulière dans les médias surtout en France.

Les données mentionnées ci-dessous concernant l’efficacité de ces médicaments reposent sur une revue systématique et une méta-analyse parue dans le JAMA en 2014 qui a fait l’objet d’une publication du Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE). Ces données proviennent d'études menées en pratique ambulatoire (dont seulement deux études en pratique générale). Dans la plupart des études, les patients ont été inclus après une phase de sevrage alcoolique, ou après une période imposée de 3 jours sans consommation d'alcool.

 

Acamprosate

L’acamprosate (un antagoniste entre autres de l’acide glutamique excitateur) a surtout été étudié dans le cadre du maintien de l’abstinence. Dans des études contrôlées par placebo, l’acamprosate (dans la plupart des études 2 g p.j. en 3 doses) a diminué le risque de “recommencer à boire”. Le Number Needed to Treat (NNT) était de 12 (intervalle de confiance (IC) à 95% 8 à 26; sur base de 16 études de 12 à 52 semaines, n=4.847): ceci signifie que 12 patients devaient être traités pendant 12 à 52 semaines pour prévenir une rechute chez une personne supplémentaire par rapport au placebo. Aucun avantage statistiquement significatif n’a été constaté pour le critère d’évaluation «recommencer à boire de manière excessive » (c.-à-d. ≥ 4 boissons alcoolisées par jour pour les femmes; ≥ 5 pour les hommes).

Les principaux effets indésirables de l’acamprosate sont un rash, des démangeaisons et des troubles gastro-intestinaux. L’acamprosate est contre-indiqué chez les patients atteints d’insuffisance hépatique ou d’insuffisance rénale sévère.

 

Naltrexone

La naltrexone, un antagoniste des opiacés, a surtout été étudié dans le cadre du maintien de l’abstinence. Dans des études contrôlées par placebo, la naltrexone (50 mg p.j. en 1 prise) a diminué le risque de «recommencer à boire»: le NNT était de 20 (IC à 95 % 11 à 500; sur base de 16 études de 12 à 24 semaines, n=2.347). La naltrexone a aussi diminué le risque de «recommencer à boire de manière excessive», avec un NNT de 12 (IC à 95 % 8 à 26; sur base de 19 études de 12 à 24 semaines, n=2.875).

Une méta-analyse des études comparatives directes entre l’acamprosate et la naltrexone (N=4, études de 12 à 16 semaines) n’a pas montré de différence d’efficacité.

Les principaux effets indésirables de la naltrexone consistent en des troubles gastro-intestinaux, des troubles du sommeil, de l’agitation, des douleurs articulaires, des céphalées et rarement des hallucinations. La naltrexone est contre-indiquée chez les patients sous opiacés en raison du risque de symptômes de sevrage sévères et de la perte de l’effet analgésique de l’opiacé, ainsi que chez les patients atteints d’insuffisance hépatique ou d’insuffisance rénale sévère.

 

Disulfirame

En ce qui concerne le disulfirame (qui influence la métabolisation de l’alcool par inhibition de l’aldéhyde-déhydrogénase), des études contrôlées (N=4, durée de 12 à 52 semaines, dose de 250 mg p.j.) n’ont pas montré d’effet sur le critère d’évaluation «recommencer à boire» ou sur d’autres critères d’évaluation concernant la consommation d’alcool. Les résultats de la plus grande étude (605 patients, durée de 52 semaines) montrent toutefois un avantage sur la consommation d’alcool chez les patients qui suivent rigoureusement le traitement et qui sont surveillés de très près.

Les principaux effets indésirables du disulfirame consistent en un rash, des céphalées et une somnolence; des effets indésirables sévères telles une hépatotoxicité, des réactions psychotiques, et une neuropathie périphérique et optique peuvent survenir. En cas de prise d’alcool (même en très petites quantités) pendant le traitement par disulfirame, un flushing apparaît parfois endéans les 10 minutes au niveau du visage avec entre autres des céphalées pulsatiles, des palpitations, des nausées et vomissements; en cas de prise de grandes quantités d’alcool, un collapse cardiovasculaire pouvant être fatal, peut survenir. De telles réactions dues à l’alcool peuvent survenir jusqu’à 2 semaines après la dernière prise de disulfirame. Un traitement par le disulfirame ne peut être débuté qu'au plus tôt 24 heures après la dernière prise d’alcool.

Le disulfirame peut renforcer l’effet des antagonistes de la vitamine K. Il est contre-indiqué chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque, de coronaropathies, d’hypertension ou d’antécédents d’accident vasculaire cérébral, et chez les patients souffrant de psychoses, de troubles sévères de la personnalité ou qui présentent un risque suicidaire.

 

Nalméfène

Le nalméfène est, comme la naltrexone, un antagoniste des opiacés. Il n'a pas été beaucoup étudié dans le cadre du maintien de l’abstinence mais plutôt dans le cadre d’une diminution de la prise d’alcool. Le nombre d’études avec le nalméfène est plus faible par rapport à l’acamprosate ou à la naltrexone. Dans plusieurs des étudesincluses dans la méta-analyse, le nalméfène n'était pas administré suivant un schéma posologique fixe, mais plutôt ‘à la demande’, c.-à-d. quelques heures avant que le patient ne pense à boire (maximum une prise par jour de nalméfène). L'emploi ‘à la demande’ est également recommandé dans le RCP. Dans la méta-analyse, le nalméfène n’a pas montré de diminution du « nombre de jours par mois de consommation d’alcool » par rapport au placebo mais bien du « nombre de jours par mois de consommation excessive d’alcool » (- 2 jours, IC à 95 %, -3,0 à -1,0; sur base de 2 études de 24 semaines, n=1.322), et du nombre de boissons alcoolisées par jour (- 1 verre, IC à 95% -1,8 à -0,3; sur base de 3 études de 12 à 52 semaines, n=778).

Les principaux effets indésirables du nalméfène consistent en une insomnie, des céphalées, des vertiges, des nausées et rarement des hallucinations et de la confusion. Le nalméfène, tout comme la naltrexone, est contre-indiqué chez les patients sous opiacés et les patients atteints d’insuffisance hépatique ou rénale sévère.

 

Baclofène

- Pour le baclofène, dont le RCP ne mentionne pas l’indication « prévention des rechutes », la méta-analyse du JAMA n'a pas apporté suffisamment de preuves pour pouvoir se prononcer quant à un effet sur le maintien de l’abstinence ou sur la consommation d’alcool. Le rapport bénéfice/risque du baclofène dans le cadre du maintien de l’abstinence ou de la diminution de la consommation problématique d’alcool n’est donc pas encore clairement établi.

En France, une autorisation temporaire a été accordée en 2014 pour l'utilisation du baclofène dans la prévention des rechutes après échec d’autres médicaments1. Cette mesure a été prise dans l’attente des résultats de deux études randomisées, contrôlées par placebo qui sont actuellement en cours en France. Les doses de baclofène dans ces études pourraient être augmentées jusqu’à 180 mg p.j. dans une étude, et jusqu'à 300 mg p.j. dans l’autre; ces doses sont supérieures aux doses journalières utilisées dans les indications classiques du baclofène. Entretemps, les effets indésirables sont suivis de près en France. Lors de l’emploi du baclofène dans la prévention des rechutes, les principaux effets indésirables consistent en des effets neuropsychiques (p.ex. paresthésies, vertiges, sédation, abaissement du seuil convulsif, confusion, dépression, états maniaques) ainsi que des symptômes de sevrage en cas d’arrêt brusque du baclofène (avec surtout des hallucinations et de la confusion).

 

Divers

Pour le topiramate et, dans une moindre mesure, l’acide valproïque, il existe des preuves limitées d’un certain effet favorable sur la consommation d’alcool. Pour d’autres médicaments tels la quétiapine et certains ISRS, il n'est pas possible de se prononcer en raison du manque de preuves.

 

Quelques commentaires

- Toutes les études sur les médicaments utilisés dans le cadre de la prévention des rechutes ont été menées chez des patients motivés qui bénéficiaient aussi d'une forme ou l’autre d’intervention psychosociale. L’efficacité d’un traitement médicamenteux seul n'est pas prouvée. Le type d'intervention psychosociale diffère toutefois dans les études, et il n'est pas possible de préconiser un type d’intervention en particulier comme premier choix.

- La plupart des études menées avec les différents médicaments présentent un risque de biais “modéré” (p.ex. en raison de notifications incomplètes de la procédure de randomisation ou de mise en insu, ou de l’observance thérapeutique). Les études incluaient surtout des personnes d’une quarantaine d’années présentant une consommation problématique d’alcool sévère (‘dépendance à l’alcool’ sur base de DSM-IV; alcohol use disorders “modérément sévères” à “sévères » selon DSM-52); on ne sait pas dans quelle mesure les effets peuvent être extrapolés à des patients plus jeunes ou plus âgés ou à des patients avec une consommation d’alcool moins problématique.

- Un traitement médicamenteux dans le cadre d’une prévention des rechutes doit toujours être instauré par des médecins ayant une expérience dans le domaine de la problématique alcoolique, et un suivi régulier s’avère important. Les médicaments utilisés dans la prévention des rechutes n’ont fait l’objet que de très peu d’études dans la pratique générale. La détection et la prise en charge de la consommation problématique d’alcool en première ligne est cependant très importante, mais pas facile (voir aussi les sites Web de Domus Medica et de la SSMG).

- Les médicaments utilisés dans la prévention des rechutes chez des patients ayant une dépendance à l’alcool n’ont été étudiés qu'en ce qui concerne leur effet sur la consommation d’alcool (un critère d’évaluation intermédiaire). Il n’est pas possible de se prononcer quant à un effet sur des critères d’évaluation forts tels que ‘morbidité (p.ex. atteinte hépatique) et ‘mortalité’, ou sur la qualité de vie.

 

Quelques références

- Brit Med J 2015;350:h715 (doi: 10.1136/bmj.h715)

- JAMA 2014;311:1889-900 (doi: 10.1001/jama.2014.3628) [voir aussi Agency of Healthcare Research and Quality (US, via www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK208590/); Minerva 2015;14:22-23; www.kce.fgov.be > Publications > Autres séries > KCE has read for you > Traitement médicamenteux ambulatoire de la dépendance à l’alcool chez les adultes (25/11/14)]

- The Lancet 2016;387:988-98 (doi: 10.1016/S0140-6736(15)00122-1)

- La Revue Prescrire 2014 ;34 :427 et 886-8

- PloS Med 2015;12:e1001924 (doi: 10.1371/journal.pmed.1001924)

- NICE-guidelines (CG115), février 2011, via www.nice.org.uk/guidance/cg115

- Site Web de Domus Medica (www.domusmedica.be/documentatie/dossiers/alcohol.html) et de la Société Scientifique de Médecine Générale (SSMG: www.ssmg.be/cellules-specifiques/alcool.