Bon à savoir
La place du méthylphénidate chez l’enfant et l’adolescent atteint d’ADHD doit-elle être réévaluée ?

[Déjà paru dans la rubrique " bon à savoir " sur notre site Web le 14/12/15]

 

Abstract

Il ressort des résultats d’une Cochrane Reviewrécente que le méthylphénidate est associé à un effet d’importance modérée à grande sur la symptomatologie des enfants et adolescents atteints d’ADHD, selon le jugement des enseignants. Cet effet est toutefois surestimé selon les auteurs, parce que la quasi-totalité des études présentait un risque élevé de biais. En l’absence de suffisamment de données d’études de bonne qualité dans un domaine qui se prête difficilement aux études cliniques randomisées, le médecin doit en grande partie faire appel à l’expérience des experts pour choisir le traitement. Le méthylphénidate reste, même après cette Cochrane Review, le médicament le mieux documenté et un bon choix chez les enfants et les adolescents ayant un diagnostic formel d’ADHD. Il n’est pas clair cependant dans quels sous-groupes le bénéfice est le plus important, et l’ampleur de l’effet est incertain. On ne dispose que de peu de données concernant les effets à long terme et il n’y a pas suffisamment d’études comparatives avec d’autres options de traitement. La fréquence des effets indésirables, tels qu’insomnie et perte d’appétit, est élevée. Pour toutes ces raisons, il n’est pas recommandé d’instaurer un traitement par le méthylphénidate en dehors d’un diagnostic formel d’ADHD, et la nécessité d’un traitement doit être réévaluée régulièrement.

Les médias s’intéressent au rapport bénéfice/risque du méthylphénidate (Rilatine®, Concerta®, Equasym® et génériques) chez les enfants et les adolescents présentant un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (Attention Deficit Hyperactivity Disorder ou ADHD). Cet intérêt a été suscité entre autres par la publication d’une Cochrane Review (publication dans The BMJ1 avec un éditorial s’y rapportant2).

 

La Cochrane Review

  • La Cochrane Review incluait 185 études cliniques randomisées concernant le méthylphénidate. Les études portaient essentiellement sur des enfants âgés de moins de 18 ans atteints d’ADHD et dont le développement était normal (sans retard mental). La durée médiane des études ne dépassait pas 2 mois.
  • Il ressort des résultats de la méta-analyse que le méthylphénidate est associé à un effet statistiquement significatif sur la symptomatologie des patients atteints d’ADHD. La différence moyenne standardisée (standardized mean difference) était de-0,77 (IC à 95 %-0,90 à-0,64) sur les symptômes d’ADHD selon le jugement des enseignants (19 études, n = 1698). L’importance de cet effet est considérée comme modérée à grande et correspond à une diminution de 9,6 points sur l’échelle d’évaluation de l’ADHD (ADHD rating scale, score maximum de 72 points; à partir d'une diminution de 6,6 points, on parle d’un effet cliniquement significatif). Cet effet positif du méthylphénidate est surestimé selon les auteurs, la quasi-totalité des études présentant un risque élevé de biais. Ce risque s’expliquait généralement par des conflits d’intérêts, une mise en aveugle insuffisante des patients ou des personnes complétant les échelles d’évaluation, par le fait de rapporter de manière sélective les résultats, ou par un biais de sélection (inclusion sélective des sujets). Ceci diminue selon les auteurs la qualité des études et la fiabilité des résultats.
  • L’utilisation du méthylphénidate engendrait chez une grande partie des patients (environ 25 %) des effets indésirables tels qu’insomnie et perte d’appétit; le risque d’effets indésirables rares mais graves tels qu’une mort subite d’origine cardiaque n’était pas accru. Ceci doit toutefois être interprété avec prudence: l’étude n’avait pas suffisamment de puissance statistique en ce qui concerne ces effets indésirables et la durée médiane des études ne dépassait pas 2 mois.

BMJ 2015; 351: h5203 doi:101136/bmj.h5203

BMJ 2015; 351: h5875 doi:10.1136/bmj.h5875

 

Quelques commentaires

  • Le méthylphénidate reste, même après cette Cochrane Review, le médicament le mieux documenté et un bon choix chez les enfants et les adolescents ayant un diagnostic formel d’ADHD. Il n’est pas clair cependant dans quels sous-groupes le bénéfice est le plus important, et l’ampleur de l’effet est incertain vu les limites méthodologiques des études. Il est difficile de mener des études sur des médicaments pour le traitement de maladies psychiatriques, en particulier chez les enfants3. Les changements à évaluer sont souvent difficiles à déterminer par des critères objectifs et sont donc souvent interprétés différemment par les parents, les enseignants ou les médecins traitants. S’y ajoute aussi le problème de la mise en aveugle, parce que les enfants sous méthylphénidate présentent des effets (indésirables) assez caractéristiques tels que l’insomnie. Parmi les méthodes d’étude alternatives, on pourrait penser à une étude observationnelle reposant sur des données cliniques rigoureusement enregistrées par des spécialistes, complétées par des données sur la consommation de médicaments chez les patients atteints d’ADHD.
  • La durée médiane des études ne dépassait pas 2 mois. Etant donné qu’il s’agit souvent de jeunes patients qui seront traités de manière prolongée, il est essentiel d’améliorer les connaissances au sujet des effets à long terme du méthylphénidate, entre autres sur le développement psychosocial des enfants atteints d’ADHD. Davantage de données sont en outre nécessaires concernant les sous-groupes dans lesquels le traitement s’avère le plus bénéfique, et davantage d’études comparatives entre les différents traitements s’imposent.3
  • Le débat difficile concernant la place du méthylphénidate chez l’enfant n’est pas rendu plus aisé par cette méta-analyse. Par ailleurs, les patients et les médecins souhaitent de plus en plus souvent traiter l’ADHD chez l’adulte, un domaine ayant encore moins fait l’objet d’études rigoureuses.
  • En l’absence de suffisamment de données d’études de bonne qualité, le médecin doit en grande partie faire appel à l’expérience des experts pour choisir le traitement de l’ADHD. La fréquence des effets indésirables mineurs est élevée; les effets indésirables graves sont probablement très rares mais les données actuelles ne permettent pas d’en déterminer la fréquence de manière précise [voir aussi Folia de mai 2012 ]. On ne dispose que de peu de données concernant les effets à long terme et de peu d’études comparatives avec d’autres options de traitement. Pour toutes ces raisons, il n’est pas recommandé d’instaurer un traitement au méthylphénidate en dehors d’un diagnostic formel d’ADHD, et la nécessité d’un traitement doit être évaluée régulièrement.

BMJ 2015; 350: h2168 doi:10.1136/bmj.h2168