Risque avec l’acide valproïque et d’autres antiépileptiques pendant la grossesse

 
Abstract

De nombreux antiépileptiques sont associés à un risque tératogène lorsqu’ils sont administrés en période de grossesse; il est pourtant souvent impossible d’interrompre le traitement antiépileptique en période de grossesse chez les femmes épileptiques. Seuls l’acide valproïque, la carbamazépine, la lamotrigine, la phénytoïne et le phénobarbital sont suffisamment documentés pour avoir une vision claire de leur risque tératogène. La plupart des données signalent de manière systématique que l’acide valproïque, plus que d’autres antiépileptiques, augmente le risque de malformations congénitales, et qu’il peut, chez l’enfant exposé in utero, avoir un impact négatif sur le fonctionnement cognitif et augmenter le risque de troubles du comportement. En ce qui concerne les anti-épileptiques plus récents, davantage de données s’avèrent nécessaires pour avoir une vision claire de leur risque tératogène.

Chez les femmes en âge de procréer sans désir de grossesse, une contraception efficace est recommandée, en tenant compte des interactions potentielles. Chez les femmes en âge de procréer ayant un désir de grossesse, il importe d’évaluer le traitement, en concertation avec la patiente et de préférence suffisamment longtemps avant la conception. Lorsque le traitement antiépileptique est poursuivi chez une femme enceinte, il convient d’opter si possible pour un seul antiépileptique, à la plus faible dose possible; l’acide valproïque ne peut être utilisé que lorsque d’autres traitements sont inefficaces ou mal tolérés.

Chez les femmes épileptiques, traitées ou non, l’issue de la grossesse est moins favorable que dans la population générale. On observe une plus grande incidence d’enfants mort-nés, de fausses couches, de naissances prématurées, de faible poids à la naissance et de malformations congénitales. Les facteurs à l’origine de cette issue moins favorable sont complexes, et pourraient être liés à la maladie elle-même, à la fréquence des crises épileptiques pendant la grossesse, au contexte socio-économique et aux antiépileptiques, probablement le facteur le plus important. En effet, de nombreux antiépileptiques sont associés à un risque tératogène. Pourtant, il est souvent nécessaire de poursuivre le traitement antiépileptique chez les femmes épileptiques, et le risque tératogène doit être mis en balance avec le risque que représente pour le foetus l’apparition de crises épileptiques chez la mère1. Le présent article propose une mise à jour, en complément des Folia d' avril 2002 et de décembre 2006 , concernant la tératogénicité des antiépileptiques, avec une attention particulière pour l’acide valproïque. En ce qui concerne la réévaluation européenne récente du risque de l’acide valproïque pendant la grossesse, voir Folia de décembre 2014 .

 

Limites des données disponibles

Les données concernant l’usage de médicaments en période de grossesse proviennent principalement d’études réalisées chez l’animal et d’études cliniques observationnelles (étude de cas, études de cohorte, études cas-témoins, registres de grossesse2), avec les limites méthodologiques qui leur sont inhérentes. Les études chez l’animal permettent de comprendre entre autres le mécanisme de toxicité, mais les résultats ne peuvent être extrapolés à l’homme que de manière très limitée. Dans les études observationnelles, des biais et des variables confondantes (telles que des antécédents familiaux de malformations congénitales, le type d’épilepsie, le comportement tabagique ou la consommation d’alcool, une comorbidité) sont possibles, et il est de ce fait difficile de déterminer s'il existe un lien causal entre un médicament et un effet tératogène. Les registres de grossesse constituent une source d’information importante, mais ils ont l’inconvénient qu’il n’existe souvent pas de groupe contrôle et qu’ils sont difficilement comparables entre eux en raison de différences méthodologiques, p.ex. en ce qui concerne le recrutement des femmes, la définition de " malformation congénitale majeure " ou l’âge de l’enfant auquel la malformation a été diagnostiquée.

 

Malformations congénitales majeures

  • Il est admis que le risque de base d’avoir un enfant atteint d’une malformation congénitale majeure, c’est-à-dire en dehors de la prise de médicaments pendant la grossesse, est de 2 à 4 % des enfants nés vivants lorsque les mesures sont faites juste après la naissance; ce pourcentage est plus élevé lorsqu’il est mesuré plus tradivement, étant donné que certaines malformations ne sont pas détectables au moment de la naissance.
  • Il n’est pas clair si l’épilepsie en soi augmente le risque de malformations congénitales majeures; si ce risque existe, on estime qu’il est très faible.
  • Le risque de malformations congénitales majeures chez les femmes prenant des antiépileptiques est estimé entre 6 à 12%. Les malformations associées à différents antiépileptiques sont des malformations cardiaques, des anomalies au niveau du tube neural, des malformations urogénitales, des malformations craniofaciales et une fente labio-palatine.
  • A l’heure actuelle, seuls l’acide valproïque, la carbamazépine, la lamotrigine, la phénytoïne et le phénobarbital sont suffisamment documentés pour avoir une vision de leur risque tératogène. Les données révèlent de manière cohérente que lors de l’exposition in utero durant le 1er trimestre de la grossesse, l’acide valproïque induit probablement plus qu’avec les autres antiépileptiques, des malformations congénitales majeures. Dans six études basées sur différents registres de grossesse, les fréquences de malformations congénitales majeures suivantes sont rapportées:
    • acide valproïque: 5 à 11 %
    • phénobarbital: 6 à 7 %
    • phénytoïne: 3 à 7 %
    • carbamazépine: 2 à 6 %
    • lamotrigine: 2 à 3 %
  • Le risque de malformations congénitales majeures est probablement dose-dépendant. Voici ce qui ressort des données provenant du registre de grossesse de l’EURAP (voir note 2 en bas de page) concernant le risque de malformations congénitales majeures associé à la carbamazépine, la lamotrigine, le phénobarbital et l’acide valproïque
    • La fréquence des malformations était la plus élevée avec:
      • l’acide valproïque ≥ 700 mg p.j.
      • le phénobarbital ≥ 150 mg p.j.
      • la carbamazépine ≥ 1 g p.j.
    • La fréquence des malformations était la plus faible avec:
      • la lamotrigine < 300 mg p.j.
      • la carbamazépine < 400 mg p.j.
    .
  • En ce qui concerne les antiépileptiques plus récents, il est admis que, de manière générale, les données sont trop limitées pour pouvoir tirer des conclusions fondées sur leur risque tératogène. Pour le topiramate, une faible augmentation du risque de fente labio-palatine et d’hypospadie a été suggérée sur base de données chez l’homme. Le lévétiracétam est proposé dans quelques sources comme étant sûr; les données chez l’homme ne révèlent en effet pas d’augmentation du risque de malformations congénitales majeures, mais les données sont trop limitées pour permettre une évaluation adéquate du risque et certaines données indiquent un retard de croissance in utero.
  • Un traitement associant plusieurs antiépileptiques (en particulier en cas d’association avec l’acide valproïque) augmente probablement davantage le risque de malformations congénitales qu’une monothérapie.
 

Anomalies fonctionnelles et troubles du comportement et du développement

  • Alors que la période cruciale pour les malformations congénitales structurelles d’origine médicamenteuse se limite au premier trimestre de grossesse, la période de risque concernant les anomalies fonctionnelles et les troubles du comportement et du développement est moins claire, et pourrait concerner toute la durée de la grossesse.
  • Certaines données indiquent que l’exposition in utero à certains antiépileptiques a un impact négatif sur le fonctionnement cognitif à long terme et sur le développement de troubles du comportement. Ceci a été rapporté surtout avec l’acide valproïque, le phénobarbital et la phénytoïne; le risque semble être le plus important avec l’acide valproïque.
  • Dans une étude prospective récente3, le QI à l’âge de 6 ans était plus faible chez les enfants dont la mère avait pris pendant la grossesse de l’acide valproïque à raison de ≥ 1 g par jour que chez les enfants dont la mère avait pris pendant la grossesse de l’acide valproïque < 1 g par jour, de la lamotrigine, de la carbamazépine ou de la phénytoïne: QI moyen: 94 versus 104 à 107, selon l’antiépileptique.
  • Dans une autre étude récente, on a constaté une incidence accrue de troubles de type autistique chez les enfants dont la mère avait pris pendant la grossesse de l’acide valproïque par rapport aux enfants dont la mère n’avait pas pris d’acide valproïque4: 4,42 % contre 1,53 % (Risque Relatif ou RR: 2,9; IC à 95 % 1,7 à 4,9). Pour l’autisme, ces chiffres s’élevaient à 2,5 % versus 0,48 % (RR: 5,2; IC à 95 % 2,7 à 10). L’étude ne révélait pas d’augmentation statistiquement significative du risque avec les autres antiépileptiques étudiés: carbamazépine, oxcarbazépine, lamotrigine, clonazépam.

Il convient de souligner que les données concernant l’effet des antiépileptiques sur le fonctionnement cognitif et le développement de troubles du comportement sont limitées, voire absentes pour bon nombre d’antiépileptiques. Bien que ces études, en raison de leurs caractéristiques méthodologiques, ne permettent pas de tirer des conclusions définitives, les résultats concernant l’acide valproïque doivent certainement inciter à la prudence.

 

Quelques commentaires

 

Femmes en âge de procréer sans désir de grossesse

Chez les femmes prenant des antiépileptiques et n’ayant pas de désir de grossesse, il est conseillé d’instaurer une contraception efficace, en tenant compte d’un certain nombre d’interactions importantes.

  • La carbamazépine, la phénytoïne, le phénobarbital et la primidone sont des inducteurs puissants du CYP3A4, ce qui peut diminuer l’efficacité des contraceptifs estroprogestatifs. Chez les femmes traitées par ces antiépileptiques, il est recommandé de passer à une méthode contraceptive qui ne soit pas influencée par des inducteurs enzymatiques (dispositif intra-utérin au cuivre, DIU au lévonorgestrel ou piqûre contraceptive); si l’on opte néanmoins pour un contraceptif estroprogestatif, il est recommandé d’utiliser une préparation contenant au moins 50 μg d’éthinylestradiol (max. 70 μg en prenant deux comprimés de 35 μg) et de prendre la préparation en continu pendant trois cycles environ, puis d’instaurer une période sans contraceptif pendant 4 jours.5
  • Les concentrations plasmatiques de lamotrigine peuvent être diminuées par les contraceptifs oraux et par les inducteurs enzymatiques tels la carbamazépine, la phénytoïne, le phénobarbital, la primidone et la rifampicine.
 

Femmes en âge de procréer ayant un désir de grossesse

  • Chez les femmes ayant un désir de grossesse, il convient d’évaluer le traitement antiépileptique déjà avant la conception. Il est important de discuter des risques avec la patiente. Chez beaucoup de femmes, un traitement antiépileptique restera nécessaire en période de grossesse.
  • Dans la mesure du possible, le traitement se fera avec un seul antiépileptique, et ce à la plus faible dose possible.
  • Les données actuelles indiquent que, par rapport à l’acide valproïque, le risque tératogène est plus faible avec la lamotrigine à faible dose (< 300 mg p.j.) et la carbamazépine à faible dose (< 400 mg p.j.). L’acide valproïque ne doit être utilisé que lorsque d’autres traitements s’avèrent inefficaces ou sont mal tolérés, et des doses ≥ 1 g par jour sont certainement à éviter. Lorsque le traitement par l’acide valproïque ne peut pas être interrompu, il est conseillé dans plusieurs sources d’éviter les pics de concentration en répartissant la dose quotidienne sur plusieurs prises, ou en utilisant une préparation à libération prolongée, mais cet avis est peu étayé et n’est pas toujours unanime.
  • En période de grossesse, la clairance de certains antiépileptiques augmente, ce qui entraîne une diminution des concentrations plasmatiques; ceci a été décrit en particulier avec la lamotrigine, la phénytoïne et la carbamazépine, mais également avec le lévétiracétam et l’oxcarbazépine. On ne dispose pas de données concernant l’acide valproïque, le phénobarbital, la primidone et l’éthosuximide. Un monitoring des concentrations plasmatiques, avec adaptation éventuelle de la dose, peut s’avérer utile. Si la dose de l’antiépileptique a été augmentée, il convient de la diminuer dans les deux semaines suivant l’accouchement, afin d’éviter une intoxication.
  • De même chez les femmes prenant des antiépileptiques dans le cadre d’autres indications telles que le trouble bipolaire, la migraine ou les douleurs neuropathiques6, il convient en cas de désir de grossesse, de réévaluer le rapport bénéfice/risque. Dans le cadre de la prévention de la migraine, le topiramate est contre-indiqué chez la femme enceinte et chez la femme en âge de procréer ne prenant pas de contraceptifs. L’acide valproïque, qui est parfois utilisé off-labeldans la prévention de la migraine, est contre-indiqué chez ces femmes [voir Folia de décembre 2014 ].
  • Il est généralement admis que l’administration d’acide folique aux alentours de la conception (8 semaines avant la conception et jusqu’à 8 semaines au moins après la conception) diminue le risque de malformations au niveau du tube neural. Bien qu’il existe peu de données chez les femmes sous antiépileptiques documentant l’effet de l’acide folique sur le risque de malformations au niveau du tube neural induit par l’antiépileptique, et la dose optimale d’acide folique, on recommande en général des suppléments de 4 à 5 mg par jour chez ces femmes. En cas de traitement par des antiépileptiques, un diagnostic prénatal (échographie, détermination de l’alphafoetoprotéine aux environs de la 16e semaine, amniocentèse éventuelle) est recommandé.

1Bien qu’une crise généralisée unique, n’a généralement en soi pas de conséquences cliniques pour l’enfant, des traumatismes liés à la crise sont possibles (chutes, accident...). Par ailleurs, un état de mal convulsif peut avoir de graves conséquences pour la mère et l’enfant, le taux de mortalité foetale étant de 50 %.

2L’initiative des registres de grossesse a été lancée il y a 10 à 20 ans, dans le but d’assurer un suivi prospectif de grands nombres de femmes enceintes épileptiques ou de femmes enceintes sous antiépileptiques (en raison d’épilepsie ou d’autres indications), sur le critère d’évaluation de la grossesse. Quelques exemples : le UK Epilepsy and Pregnancy Register, le North American AED Pregnancy Register (NAAPR), le European and International Registry of Antiepileptic drugs in Pregnancy (EURAP).

3Etude non contrôlée menée chez 224 enfants, dont les mères ont été recrutées parmi 25 centres spécialisés dans l’épilepsie au Royaume-uni et aux Etats-Unis.

4 La cohorte concernait des enfants nés au Danemark entre 1996 et 2006: ± 655.000 enfants non exposés et 508 enfants exposés à l’acide valproïque. Âge moyen des enfants à la fin de la période de suivi: 8,8 ans (entre 4 et 14 ans).

5Stockley’s Drug Interactions (version électronique)

6Autres indications mentionnées dans le RCP:

  • douleurs neuropathiques: carbamazépine, gabapentine, prégabaline;
  • trouble bipolaire: carbamazépine, lamotrigine, acide valproïque;
  • prévention de la migraine: topiramate;
  • anxiété généralisée: prégabaline.
 

Quelques références