Prise en charge médicamenteuse des troubles bipolaires
Abstract |
Les troubles bipolaires (appelés auparavant troubles maniaco-dépressifs) sont caractérisés par des épisodes récidivants de manie/hypomanie et de dépression. Une prise en charge psychosociale globale est essentielle. Un traitement médicamenteux permet en outre chez beaucoup de patients de contrôler les épisodes maniaques et dépressifs, et d’éviter de nouveaux épisodes, mais la maladie reste pesante pour beaucoup de patients. Le lithium est un bon premier choix pour beaucoup de patients, aussi bien dans les épisodes maniaques aigus que dans la prévention de nouveaux épisodes, et ce malgré la nécessité d’un monitoring régulier. L’arsenal thérapeutique comprend en outre des antipsychotiques, des antidépresseurs, l’acide valproïque, la carbamazépine et la lamotrigine. Le présent article discute de la place de ces médicaments dans la prise en charge des épisodes maniaques et dépressifs et dans le traitement d’entretien des troubles bipolaires.
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Les troubles bipolaires (appelés auparavant troubles maniaco-dépressifs) sont caractérisés par des épisodes récidivants de manie/hypomanie et de dépression, en alternance avec des périodes peu ou asymptomatiques. On parle d’un épisode maniaque en présence pendant au moins une semaine d’une désinhibition associée entre autres à de l’agitation ou une irritabilité, une logorrhée (parole abondante), une activité accrue et une réduction du besoin de sommeil, et dans les cas sévères, à des symptômes psychotiques (p. ex. mégalomanie) nécessitant souvent une hospitalisation. Lors d’un épisode d’hypomanie, les symptômes sont moins prononcés et de plus courte durée, et il n’y a pas de perte de contact avec la réalité ni de symptômes psychotiques. Les épisodes dépressifs sont généralement plus longs que les épisodes maniaques. Bien que la (l’hypo)manie soit associée à une créativité accrue, les troubles bipolaires ont un impact négatif sur la vie du patient, et comportent un risque important de suicide.
Les troubles bipolaires sont subdivisés de la façon suivante.
- Trouble bipolaire de type 1, caractérisé par l’apparition d’au moins 1 épisode maniaque ou mixte (c.-à-d. présence simultanée de symptômes maniaques et dépressifs); la prévalence durant la vie entière, c.-à-d. la probabilité d’être atteint par la maladie au cours de sa vie, est estimée à 0,6 %;
- Trouble bipolaire de type 2, caractérisé par l’apparition d’au moins 1 épisode d’hypomanie mais sans survenue d’épisode maniaque, et d’un ou de plusieurs épisodes dépressifs; la prévalence durant la vie entière est estimée à 0,4 %.
La plupart des patients se rétablissent après le premier épisode, mais 80 % des patients récidivent dans les 5 à 7 ans; la plupart des patients présentent trois épisodes ou plus sur une période de 20 ans.
On parle de " troubles bipolaires à cycles rapides " lorsqu’au moins quatre épisodes maniaques, hypomaniaques et/ou dépressifs surviennent en une seule année; c’est le cas chez environ 15 à 20 % des patients atteints de troubles bipolaires.
Le diagnostic d’un trouble bipolaire est souvent posé tardivement, d’une part en raison du caractère unipolaire de l’affection au départ chez de nombreux patients, ne se manifestant que par des dépressions récidivantes, et d’autre part par le fait que les épisodes (hypo) maniaques ne sont pas toujours reconnus au départ.
Une prise en charge psychosociale est essentielle. Certaines formes (thérapie comportementale cognitive, thérapie interpersonnelle et des rythmes sociaux, et thérapie familiale) se sont avérées utiles en complément à un traitement médicamenteux dans le traitement d’entretien et dans la prise en charge des épisodes dépressifs. L’objectif de la psychothérapie est entre autres de faire comprendre et accepter la maladie par le patient et ses proches, d’améliorer les relations familiales, de reconnaître précocément de nouveaux épisodes, de mieux gérer le stress, et de maintenir un mode de vie régulier (p. ex. un rythme jour/nuit régulier). Une bonne psychothérapie permet aussi d’influencer favorablement l’observance du traitement. Il convient aussi d’être attentif aux facteurs déclenchants (p.ex. des évènements stressants) et aux comorbidités (p.ex. anxiété, troubles de l’alimentation ou abus d’alcool ou de drogues).
Les études sur la prise en charge médicamenteuse des troubles bipolaires ont surtout été menées dans les troubles bipolaires de type 1, et se focalisent principalement sur les épisodes maniaques. La durée de la plupart des études concernant la manie était tout au plus de 3 à 6 semaines, alors que chez de nombreux patients, un traitement plus long est nécessaire. Il n’est pas simple d’extrapoler les résultats obtenus chez les patients atteints d’un trouble bipolaire de type 1 à des patients présentant uniquement une hypomanie ou de légères fluctuations de l’humeur, ni d’évaluer l’efficacité du traitement dans la pratique quotidienne.
Bon nombre des médicaments proposés ici peuvent provoquer des effets indésirables graves, et ce risque est encore majoré en cas de thérapie combinée. Une thérapie combinée sera cependant nécessaire chez bon nombre de patients. Le lithium, l’acide valproïque et la carbamazépine ont une marge thérapeutique-toxique étroite et exigent un monitoring régulier des concentrations plasmatiques et de paramètres tels que les fonctions rénale, hépatique et/ou thyroïdienne et la formule sanguine. En ce qui concerne les effets indésirables, les interactions et les précautions d’usage, nous renvoyons au Répertoire Commenté des Médicaments.
Le tableau ci-dessous donne un aperçu des médicaments utilisés dans les épisodes maniaques ou hypomaniaques aigus, dans la dépression bipolaire et comme traitement d’entretien en prévention de nouveaux épisodes. Quelques commentaires sont donnés dans le texte qui suit.
- Il convient d’optimaliser un éventuel traitement d’entretien déjà instauré, et d’être attentif à l’observance du traitement. En cas d’épisode maniaque léger, il n’est pas toujours nécessaire d’instaurer un traitement médicamenteux ou d’ajouter d’autres médicaments au traitement d’entretien. Les épisodes mixtes sont traités comme des épisodes maniaques.
- Lors de l’apparition d’un épisode maniaque aigu, les antidépresseurs doivent être arrêtés vu le risque d’aggravation de la situation. La situation est moins claire en cas d’hypomanie.
- Le lithium, les antipsychotiques et l’acide valproïque sont des médicaments de premier choix en cas d’épisodes maniaques; la carbamazépine n’est pas un premier choix vu les preuves d’efficacité limitées et le risque d’interactions (effet inducteur enzymatique): voir tableau.
- Le lithium reste le premier choix pour de nombreux patients présentant des épisodes maniaques, notamment vu les preuves rigoureuses d’un risque moindre de nouveaux épisodes en cas de poursuite du traitement (voir plus loin). Avec le lithium, un effet ne sera obtenu que 6 à 10 jours après l’instauration du traitement. En phase maniaque, le lithium doit être titré jusqu’à une concentration de 0,8 à 1,0 mmol/l (d’après certaines sources jusqu’à 1,2 mmol/l, mais avec un risque accru d’effets indésirables).
- Les antipsychotiques agissent plus rapidement que le lithium, et peuvent dès lors aussi être associés au lithium pendant une courte période pour surmonter la phase aiguë. L’association d’antipsychotiques au lithium augmente le risque de syndrome malin des antipsychotiques.
- Pendant les premiers jours, une benzodiazépine peut être associée pendant une courte période en cas d’agitation ou d’insomnie, mais les benzodiazépines n’exercent aucun effet sur les principaux symptômes de manie. Traitement d’un épisode dépressif aigu- Lors d’un épisode dépressif aigu en cas de trouble bipolaire (dépression bipolaire), il convient aussi d’optimaliser un éventuel traitement d’entretien déjà instauré.- Le traitement de la dépression bipolaire est un défi, vu le peu de traitements ayant une efficacité prouvée et le pourcentage important de patients résistant au traitement. Le lithium, les antipsychotiques et les antidépresseurs sont proposés; la place de l’acide valproïque et de la lamotrigine n’est pas claire: voir tableau.
- Lors d’un épisode dépressif aigu en cas de trouble bipolaire (dépression bipolaire), il convient aussi d’optimaliser un éventuel traitement d’entretien déjà instauré.
- Le traitement de la dépression bipolaire est un défi, vu le peu de traitements ayant une efficacité prouvée et le pourcentage important de patients résistant au traitement. Le lithium, les antipsychotiques et les antidépresseurs sont proposés; la place de l’acide valproïque et de la lamotrigine n’est pas claire: voir tableau.
- L’effet du lithium en cas d’épisode dépressif aigu est moins marqué que dans l’épisode maniaque aigu. Le lithium a cependant ici aussi une place, vu les effets bénéfiques prouvés à long terme (voir plus loin). Un délai de 6 à 8 semaines est nécessaire avant d’obtenir un effet. Il existe moins de données sur les concentrations plasmatiques thérapeutiques dans l'épisode dépressif aigu, mais les recommandations sont probablement les mêmes que dans l’épisode maniaque aigu.
- Plusieurs antipsychotiques ont été étudiés dans la dépression bipolaire, avec des résultats divergents. Il existe des données en faveur d’un effet symptomatique favorable, surtout avec la quétiapine. La rapidité de l’effet peut avoir un intérêt.
- L’utilisation des antidépresseurs dans la dépression bipolaire est controversée. Il n’y a pas de preuves convaincantes d’une efficacité dans la dépression bipolaire (des données indiquent que la paroxétine n’est pas efficace dans ce contexte). De plus, il est suggéré que les antidépresseurs (probablement surtout les antidépresseurs tricycliques et la venlafaxine) peuvent provoquer un épisode maniaque ou des cycles rapides; les antidépresseurs doivent dès lors toujours être associés à un médicament antimaniaque (lithium, acide valproïque ou un antipsychotique), certainement chez les patients présentant un trouble bipolaire de type 1.
- La décision d’instaurer un traitement d’entretien dépend entre autres du nombre et de la gravité des épisodes maniaques ou dépressifs déjà survenus.
- Le lithium reste la base du traitement préventif à long terme des troubles bipolaires étant donné qu’un effet préventif a été démontré tant sur les épisodes maniaques que sur les épisodes dépressifs; d’autres médicaments proposés sont: des antipsychotiques, la carbamazépine, la lamotrigine, l’acide valproïque et des antidépresseurs (ces derniers uniquement dans le trouble bipolaire de type 2): voir tableau.
- Le lithium est le seul médicament pour lequel il existe des indices d’une diminution du risque de suicide, et des preuves viennent encore d’être apportées récemment dans une méta-analyse. La nécessité d’un monitoring régulier et le risque d’effets indésirables parfois graves et d’interactions peuvent compliquer le traitement à long terme. On vise des concentrations plasmatiques entre 0,4 et 1,0 mmol/l (au moins 0,6 mmol/l en cas d’épisodes maniaques prédominants ou lorsque le patient reçoit pour la première fois du lithium comme traitement d’entretien).
- La place des antipsychotiques dans le traitement à long terme n’est pas claire. Dans quelques études (surtout avec la quétiapine et l’olanzapine), un effet préventif sur de nouveaux épisodes a été observé en cas de poursuite du traitement chez des patients ayant réagi favorablement au traitement en phase aiguë. Ces études qui utilisent une " méthodologie d’enrichissement " doivent être évaluées de manière critique: dans ces études, l’effet à long terme n’est examiné que chez des patients ayant répondu favorablement au médicament en phase aiguë; cette sélection peut mener à une surestimation de l’importance de l’effet et de l’extrapolation des résultats. Les antipsychotiques entraînent à long terme un risque de dyskinésie tardive et de perturbations métaboliques (tels que prise de poids, hypertension artérielle, hyperlipidémie et hyperglycémie); un contrôle régulier des paramètres métaboliques est recommandé [voir
Folia de mars 2013 ]. Les préparations dépôt à base d’antipsychotiques ne sont pas recommandées en routine; elles peuvent être utilisées chez des patients ayant répondu favorablement à un traitement oral, mais qui récidivent en raison d’une mauvaise observance du traitement.
- La durée optimale du traitement n’est pas clairement établie. Pour beaucoup de patients il s’agit d’un traitement à vie. Si l’on décide d’arrêter le traitement, il convient de le faire de manière progressive. Ceci est surtout important pour le lithium qui est associé à un risque élevé de récidives en cas d’arrêt brutal.
Épisode maniaque ou hypomaniaque aigu, et épisode mixte |
- Premier choix :
- Lithium: en particulier en l’absence de symptômes psychotiques et lorsqu’on prévoit un traitement d'entretien
- Antipsychotiques: en particulier en cas d’épisode maniaque sévère associé à des symptômes psychotiques
- Acide valproïque: probablement surtout en cas d’épisodes mixtes
- Second choix: carbamazépine
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Épisode dépressif aigu en cas de trouble bipolaire (dépression bipolaire) |
- Lithium
- Antipsychotiques (la quétiapine étant la plus étudiée)
- Antidépresseurs: leur place est controversée.
- trouble bipolaire de type 1: antidépresseur toujours en association avec un médicament antimaniaque; arrêter l’antidépresseur dès que les symptômes sont sous contrôle
- trouble bipolaire de type 2: antidépresseur éventuellement en monothérapie moyennant une surveillance quant à l’apparition d’un épisode maniaque
- Acide valproïque, lamotrigine: place imprécise
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Prévention de nouveaux épisodes |
- Premier choix: lithium: prévention des épisodes maniaques et dépressifs
- Alternatives possibles:
- Antipsychotiques (la quétiapine et l’olanzapine étant surtout étudiées): prévention de nouveaux épisodes chez les patients qui ont bien répondu au médicament lors d’un épisode aigu (quétiapine: prévention des épisodes maniaques et dépressifs; olanzapine: prévention des épisodes maniaques)
- Acide valproïque (surtout en association au lithium): prévention des épisodes maniaques
- Carbamazépine: prévention des épisodes maniaques
- Lamotrigine: prévention des épisodes dépressifs
- Antidépresseurs: uniquement en cas de trouble bipolaire de type 2 comme traitement d’entretien éventuel, moyennant une surveillance quant à l’apparition d’un épisode maniaque
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La grossesse et la période du postpartum sont associées à un risque accru de récidive. Les épisodes maniaques et dépressifs eux-mêmes exposent le foetus à des risques importants, mais les médicaments utilisés pour contrôler ou prévenir de nouveaux épisodes comportent aussi des risques potentiels (tératogénicité, complications chez le nouveauné, conséquences néfastes pour l’enfant à long terme). C’est pourquoi il convient de discuter, en concertation avec la femme ainsi qu’avec une équipe spécialisée, la manière la plus optimale de traiter, et ceci bien à temps, de préférence déjà avant la conception.
Avec l’acide valproïque surtout, mais également avec la carbamazépine, la lamotrigine, le lithium et la paroxétine, il existe des preuves plus ou moins nombreuses d’une tératogénicité. Avec l’acide valproïque, certaines données indiquent également des conséquences néfastes à long terme sur le développement neurologique de l’enfant. Avec les autres antidépresseurs et les antipsychotiques, on ne dispose pas suffisamment de données pour se prononcer quant à un risque de malformations congénitales majeures, mais un tel risque ne peut être exclu; des complications néonatales peuvent survenir avec tous les antipsychotiques et antidépresseurs. Dans toutes les sources consultées, il est recommandé dans la mesure du possible d’éviter l’acide valproïque pendant toute la durée de la grossesse, et une contraception est recommandée en cas de traitement par l’acide valproïque chez les femmes en âge de procréer. Quel que soit le médicament utilisé, un contrôle encore plus régulier qu’en dehors d’une grossesse est nécessaire chez les femmes enceintes.
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