Restriction de l’utilisation de codéine comme analgésique chez l'enfant
L’Agence européenne des médicaments (European Medicines Agency ou EMA) a récemment réévalué la balance bénéfice/risque de la codéine en tant qu’analgésique chez l’ enfant1. Ceci fait suite (1) à la description dans la littérature de six cas de jeunes enfants ayant présenté une intoxication à la codéine (entre autres dépression respiratoire, dont 3 d’évolution fatale) suite à la prise de codéine à dose thérapeutique pour traiter la douleur consécutive à une amygdalectomie et/ou une adénoïdectomie en raison d’apnées du sommeil, et (2) aux mesures prises en 2012 par la Food and Drug Administration américaine, pour limiter ce risque2. L’EMA donne les recommandations suivantes en ce qui concerne l’utilisation de codéine comme analgésique chez l’enfant.
- La codéine ne peut être utilisée comme analgésique chez l’enfant qu’ à partir de l’âge de 12 ans, en particulier pour la douleur aiguë modérée lorsque d’autres analgésiques (p.ex. le paracétamol, l’ibuprofène) ne sont pas suffisamment efficaces. L’EMA recommande la posologie suivante: 30 à 60 mg (0,5 à 1 mg/kg) de phosphate de codéine toutes les 6 heures (max. 240 mg p.j.) pendant maximum 3 jours. En Belgique, la codéine utilisée pour le traitement de la douleur n’existe que sous forme de préparation combinée (codéine + paracétamol; codéine + paracétamol + caféine); les RCP de ces préparations prévoient une utilisation à partir de l’âge de 15 ans. Le phosphate de codéine peut aussi être prescrit en préparation magistrale.
- La codéine est déconseillée chez les enfants présentant une affection pouvant compromettre la respiration (p.ex. affections neuromusculaires, affections cardiaques ou respiratoires graves, infections des voies respiratoires). La codéine est formellement contre-indiquée jusqu’à l’âge de 18 ans pour traiter la douleur consécutive à une amygdalectomie et/ou une adénoïdectomie en raison d’apnées du sommeil.
- De plus, la codéine est contre-indiquée chez tous les patients (y compris les adultes) dont on sait qu’ils sont des métaboliseurs ultrarapides pour le CYP2D6 et chez toutes les femmes qui allaitent. L’EMA ne se prononce pas davantage quant à l’utilisation de codéine chez l’ adulte. Les RCP des préparations analgésiques contenant de la codéine seront adaptés dans ce sens.
- La codéine est une prodrogue qui est métabolisée au niveau du CYP2D6 en morphine, responsable en grande partie de l’effet analgésique. Un polymorphisme génétique est décrit pour le CYP2D6, ce qui signifie qu’il existe au sein de la population plusieurs variantes du gène codant pour le CYP2D6: on distingue les métaboliseurs lents (gêne absent ou défectueux), les métaboliseurs rapides ou extensive metabolizers (la variante la plus fréquente du gène), les métaboliseurs ultrarapides (avec plusieurs copies du gène) et les métaboliseurs intermédiaires (entre les métaboliseurs lents et les métaboliseurs rapides) [voir aussi
Folia d' août 2003 ]. Chez les métaboliseurs ultra‑rapides, la codéine est métabolisée en plus grande quantité et plus rapidement en morphine, avec un risque accru d’effets indésirables tels qu’une dépression respiratoire. La plupart des enfants ayant présenté une intoxication à la codéine suite à la prise de codéine à dose thérapeutique et dont le génotype était connu, étaient des métaboliseurs rapides ou ultrarapides. Dans la plupart des cas, le génotype pour le CYP2D6 n’était cependant pas connu, et en pratique il est impossible de le déterminer systématiquement. On estime la prévalence des métaboliseurs ultrarapides dans les différentes populations à: Africains/Ethiopiens: 29%, Africains-Américains: 3,4 à 6,5%, Asiatiques: 1,2 à 2%, Blancs: 3,6 à 6,5%, Grecs: 6%, Hongrois: 1,9%, Européens du Nord: 1 à 2%.
- Le jeune âge ainsi que les affections compromettant la respiration, en particulier les apnées du sommeil, semblent un facteur de risque important de survenue de problèmes respiratoires graves en cas de prise de codéine.
- Plus de 40 cas de dépression respiratoire ont été décrits chez des bébés nourris au sein, dont la mère était traitée par la codéine. Le cas d’un enfant décédé a été décrit dans la littérature; la mère était un métaboliseur ultrarapide [ce cas a été décrit dans les
Folia de décembre 2006 ].
Ces mesures de sécurité prises au niveau européen viennent s’ajouter à la décision antérieure de l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (afmps) de mettre sur prescription toutes les spécialités contenant de la codéine, et ce dans le cadre de la réévaluation par l’afmps des médicaments contre la toux et le refroidissement [voir
Folia de mars 2013 ].
www.ema.europa.eu , cliquer sur " Document search ", terme de recherche " codeine " (documents du 28/06/2013 et du 02/08/2013)
N Engl J Med 2013; 368: 2155-7 (doi: 10/1056/NEJMp1302454)
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