Traitement prolongé de la thromboembolie veineuse profonde idiopathique par l’acide acétylsalicylique


Abstract

Chez les patients ayant présenté une thromboembolie veineuse profonde idiopathique, c.-à-d. sans facteurs de risque connus, le risque de récidive à l’arrêt du traitement anticoagulant est élevé. Les résultats de deux études récentes, menées chez des patients ayant présenté un premier épisode thromboembolique veineux idiopathique, montrent qu'une faible dose d’acide acétylsalicylique (100 mg par jour) à l’arrêt du traitement anticoagulant classique (héparine, antagoniste de la vitamine K) diminue le risque de récidive de thromboembolie veineuse profonde ainsi que le risque d’accidents cardio-vasculaires majeurs, et ce sans augmenter le risque d’hémorragie.

Le traitement de la thromboembolie veineuse profonde (TEVP) idiopathique, c.-à-d. sans facteurs de risque connus, consiste généralement en l’administration d’une héparine de faible poids moléculaire pendant 10 jours, suivie d’une anticoagulation orale (généralement par un antagoniste de la vitamine K, en visant un INR entre 2 et 3). Etant donné d’une part le risque élevé de récidive à l’arrêt du traitement anticoagulant et d’autre part le risque d’hémorragie en cas de poursuite du traitement anticoagulant, il est difficile de déterminer la durée optimale du traitement après un épisode de TEVP idiopathique. L’American College of Chest Physicians (ACCP) recommande un traitement anticoagulant pendant au moins 3 mois. Le fait de prolonger le traitement anticoagulant de 3 à 6 mois ne diminue pas le risque de récidive à l’arrêt des 6 mois de traitement mais augmente le risque d’hémorragie pendant les 3 mois supplémentaires de traitement anticoagulant.

Chez les patients qui ont un risque de récidive particulièrement élevé, il peut toutefois être indiqué de prolonger le traitement anticoagulant à vie. Il n’est cependant pas toujours facile de déterminer quels sont les patients chez qui une anticoagulation à vie est indiquée. [ Brit Med J 2011; 342: d3036 (doi:10.1136/bmj.d3036) avec un éditorial Brit Brit Med J 2011; 342: d2758 (doi:10.1136/bmj.d2758)]

Jusqu’à présent, il était admis que l’acide acétylsalicylique n’avait pas de place dans le traitement des affections thromboemboliques veineuses.

Deux études randomisées contrôlées par placebo parues récemment ont évalué l’effet d’un traitement par l’acide acétylsalicylique (100 mg par jour) instauré après un traitement anticoagulant par héparine et warfarine chez des patients ayant présenté un premier épisode de TEVP idiopathique.

  • Dans l’étude WARFASA (402 patients; suivi de 2 ans après un traitement anticoagulant initial de 6 à 18 mois), une diminution statistiquement significative d’environ 50% du taux de récidives de TEVP a été observée dans le groupe traité par l’acide acétylsalicylique par rapport au placebo (6,6% versus 11,2%), ce qui correspond à une TEVP évitée pour environ 22 patients traités par l’acide acétylsalicylique pendant 2 ans. Il n’y avait pas de différence entre les deux groupes en ce qui concerne les hémorragies majeures. [ N Engl J Med 2012; 366: 1959-67 (doi:10.1056/NEJMoa1114238)]
  • Dans l’étude ASPIRE (822 patients; suivi de 3 ans après un traitement anticoagulant initial de 6 semaines à 24 mois), l’acide acétylsalicylique a entraîné une diminution du taux de récidives de TEVP (critère d’évaluation primaire): 4,8% dans le groupe traité et 6,5% dans le groupe placebo, mais la signification statistique n’a pu être atteinte, probablement en raison du nombre insuffisant de patients inclus suite à l’interruption prématurée de l’étude après la publication de l’étude WARFASA. Par contre, les résultats indiquent une diminution statistiquement significative d’environ 33% (5,2% versus 8%) du taux d’évènements cardiovasculaires majeurs (critère d’évaluation secondaire combinant le taux global de TEVP, d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral et la mortalité cardio-vasculaire). Il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes en ce qui concerne les hémorragies majeures. [ N Engl J Med 2012; 367: 1979-87 (doi:10.1056/ NEJMoa1210384)]

Les auteurs d’un éditorial se rapportant à ces deux études estiment que l’administration d’une faible dose d’acide acétylsalicylique peut être bénéfique pour la prévention à long terme des récidives de TEVP et des accidents cardio-vasculaires artériels chez des patients ayant présenté un premier épisode de TEVP idiopathique et chez qui la poursuite du traitement anticoagulant (avec le risque d’hémorragie que cela comporte) ne paraît pas justifiée. Le traitement par l’acide acétylsalicylique ne remplace toutefois pas le traitement anticoagulant classique initial, et ne peut donc être envisagé qu’après un traitement par l’héparine puis par des antagonistes de la vitamine K pendant au moins 3 mois. [ N Engl J Med 2012; 367: 2039-41 (doi:10.1056/NEJMe1211480)]