Usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires en première ligne

Comme chaque année dans ce numéro d’octobre des Folia, l’attention est attirée sur l’usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires en se basant sur quelques publications récentes. Le "Guide belge des traitements anti-infectieux en pratique ambulatoire" (mise à jour 2012, bientôt disponible via www.health.belgium.be/antibiotics ) publié par la Commission belge de coordination de la politique antibiotique (BAPCOC) a également été consulté. Cette mise à jour du guide de BAPCOC ainsi que les publications récentes ne modifient pas les recommandations de base publiées jusqu’ici dans les Folia et dans le Répertoire Commenté des Médicaments. Il nous paraît néanmoins utile d’insister une fois encore sur l’importance, afin de contrecarrer le développement de résistances, de restreindre autant que possible l’usage des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires. L’attention se porte surtout sur le pneumocoque, la bactérie la plus fréquente dans les infections respiratoires extrahospitalières pour laquelle une antibiothérapie est indiquée. En effet, malgré le succès initial des campagnes de sensibilisation, le pourcentage de pneumocoques avec une diminution de la sensibilité à la pénicilline qui avait d’abord diminué de 15,1% en 2002 à 7,4% en 2009, a de nouveau augmenté. Selon le laboratoire de référence national pour les infections invasives à pneumocoques, un taux de résistance du pneumocoque à la pénicilline de 11,7% a été rapporté en Belgique pour l’année 2011. Il s’agissait de 9,8% avec une résistance intermédiaire et de seulement 1,9% avec une résistance complète, ce qui signifie que des doses élevées d’amoxicilline restent presque toujours efficaces. Par ailleurs, il existe de plus en plus de données indiquant des effets indésirables parfois graves avec les antibiotiques; avec les quinolones, il s’agit entre autres d’hépatotoxicité, d’éruptions cutanées, de tendinites et ruptures tendineuses, d’allongement de l’intervalle QT avec risque de torsades de pointes, d’insuffisance cardiaque, et de troubles du système nerveux central surtout chez les personnes âgées. Pour ces raisons et pour limiter l’apparition de résistances, les quinolones n’ont qu’une place très limitée dans la prise en charge des infections aiguës des voies respiratoires, en particulier dans la rhinosinusite aiguë et la pneumonie acquise en communauté. Cet article discute aussi des données récentes concernant la place de l’Echinacea et du zinc dans le refroidissement banal.


Rhinosinusite aiguë

Une étude randomisée récente (réalisée aux Etats-Unis, avec l’amoxicilline 1,5 g p.j. pendant 10 jours) confirme une fois encore que les antibiotiques ne sont pas utiles dans la prise en charge de la rhinosinusite aiguë non compliquée [ JAMA 2012; 307: 685-92 ]. Dans cette étude ayant inclus 166 patients adultes atteints d’une rhinosinusite aiguë sans complications (diagnostiquée sur base de critères cliniques), il n’y a pas eu de différence statistiquement significative entre le groupe traité par antibiotique et le groupe placebo en ce qui concerne l’amélioration des symptômes au jour 3 et au jour 10. Bien qu’une amélioration plus rapide des symptômes ait été observée chez un plus grand nombre de patients au jour 7 (74% sous antibiotique versus 56% sous placebo), ce bénéfice paraît toutefois trop faible pour avoir un impact clinique significatif. Il n’y a pas eu non plus de différence statistiquement significative en ce qui concerne les critères d’évaluation secondaires, en particulier le risque de récidives à court terme.

Lorsqu’une antibiothérapie s’avère nécessaire, par ex. en cas de rhinosinusite sévère (douleur importante, fièvre, état général fort altéré, rougeur et gonflement du visage, symptômes visuels, orbitaux, méningés ou cérébraux), l’antibiotique de premier choix reste, selon les recommandations 2012 de BAPCOC:

  • Amoxicilline: adulte: 3 g p.j. en 3 prises pendant 5-7 jours; enfant: 75-100 mg/kg par jour en 3 à 4 prises pendant 5-7 jours.
  • Céfuroxime axétil: en cas d’allergie à la pénicilline non IgE médiée: adulte: 1,5 g p.j. en 3 prises pendant 5-7 jours; enfant: 30-50 mg/kg par jour en 3 prises pendant 5-7 jours.
  • Moxifloxacine: pour éviter l’apparition ultérieure de résistances, utiliser uniquement en cas d’allergie à la pénicilline IgE médiée chez l’adulte: 400 mg p.j. pendant 5-7 jours. Chez l’enfant, une hospitalisation avec traitement intraveineux est préférable dans ce cas, surtout si l’état général fort altéré.

Pneumonie acquise en communauté

Il est clairement établi que la pneumonie acquise en communauté doit être traitée par des antibiotiques. Les recommandations 2012 de BAPCOC rappellent qu’un traitement ambulatoire n’est envisageable qu’en absence d’un tableau clinique sévère et d’un risque létal élevé. En cas de signes cliniques sévères (tels que fréquence respiratoire> 30/min, pression artérielle < 90/60 mmHg, température> 40° C ou < 35°C, modification de l’état de conscience, cyanose, pulsations> 125/min.), une hospitalisation doit être envisagée, d’autant plus en présence de circonstances aggravantes (p. ex. âge> 65 ans) ou de comorbidité.

Lorsque l’antibiothérapie est instaurée en pratique ambulatoire, le choix de l’antibiotique est empirique et doit tenir compte de la présence ou non d’une comorbidité. Selon BAPCOC, on entend par comorbidité: bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), diabète, maladie rénale, maladie hépatique, maladie neurologique, insuffisance cardiaque, cancer. [N.d.l.r. un âge supérieur à 60 ans sans comorbidité n’est pas considéré par BAPCOC comme un facteur de risque]. L’antibiotique de premier choix chez l’adulte selon les recommandations 2012 de BAPCOC est le suivant.

  • En absence de comorbidité: amoxicilline 3 g par jour en 3 prises pendant 7 jours.
  • En présence de comorbidité: amoxicilline + acide clavulanique 3 x 875/125 mg par jour pendant 7 jours (en respectant bien les intervalles entre les doses), ou 2 x 2 g (2 comprimés Retard à 1g amoxicilline/62,5 mg acide clavulanique) pendant 7 jours
  • En cas d’allergie à la pénicilline non IgE médiée: céfuroxime axétil 1,5 g p.j. en 3 prises pendant 7 jours.
  • Uniquement en cas d’allergie à la pénicilline IgE médiée, et ce pour éviter l’apparition ultérieure de résistances: moxifloxacine 400 mg p.j. pendant 7 jours.
  • En cas d’échec thérapeutique après 48 heures de traitement par un antibiotique β lactame, et pour autant que la situation clinique permette un maintien au domicile, ajouter un néomacrolide (azithromycine 500 mg p.j. en 1 prise pendant 3 jours, ou clarithromycine 1 g p.j. en 2 prises ou en 1 prise pour comprimés à libération prolongée pendant 7 jours, ou roxithromycine 300 mg p.j. en 2 prises pendant 7 jours) et réévaluer après 48 heures. En absence d’amélioration après 48 heures, une hospitalisation s’impose.

Refroidissement banal

La place de l’Echinacea et du zinc dans le refroidissement banal a déjà été discutée dans les Folia d' octobre 2011 . Il y était mentionné que l’efficacité et l’innocuité de l’Echinacea ne sont pas suffisamment démontrées, et que, selon une revue Cochrane , le zinc semblait diminuer la durée et la sévérité des symptômes, mais aucune conclusion ne pouvait être tirée vu l’hétérogénéité des études.

  • En ce qui concerne l’Echinacea, la Medicines and Healthcare Products Regulatory Agency (MHRA) au Royaume-Uni a publié récemment un avertissement visant à ne pas utiliser l’Echinacea chez les enfants de moins de 12 ans étant donné l’absence de preuves d’efficacité et le risque de réactions allergiques parfois graves (éruption cutanée, syndrome de Stevens Johnson, angioedème, bronchospasme, choc anaphylactique) surtout chez les patients atopiques [via www.mhra.gov.uk ; communiqué du 20.08.12].
  • En ce qui concerne le zinc, les résultats d’une méta-analyse récente [ CMAJ 2012; 184: E551- 61 (doi:10.1503/cmaj.111990)] montrent un effet favorable de l’administration de zinc par voie orale sur la durée des symptômes du refroidissement banal chez l’adulte (-1,65 jours; intervalle de confiance à 95%-2,50 à-0,81), mais pas chez l’enfant. La dose de zinc et sa formulation étaient toutefois différentes selon les études. Les patients traités par le zinc avaient un risque accru d’effets indésirables tels que nausées et mauvais goût. D’autres études s’avèrent nécessaires, entre autres pour évaluer si l’effet est dépendant de la dose. Pour le moment, il n’existe toujours pas de preuves suffisantes pour recommander la prise de zinc dans le traitement du refroidissement banal.