Allongement de l’intervalle QT et torsades de pointes d’origine médicamenteuse
Abstract |
On parle de torsades de pointes pour désigner une tachycardie ventriculaire, généralement associée à un allongement de l’intervalle QT à l’électrocardiogramme (ECG), et dont l’issue peut être fatale. C’est la raison pour laquelle on accorde beaucoup d’attention à l’allongement de l’intervalle QT provoqué par des médicaments. Le fait que l’allongement de l’intervalle QT à l’ECG entraîne ou non des arythmies est un processus complexe, et l' arythmie ne survient généralement qu’en présence de plusieurs facteurs de risque. Le lien entre l’allongement de l’intervalle QT et la survenue de torsades de pointes est le plus évident pour les antiarythmiques de classe IA (disopyramide, quinidine) et pour le sotalol; en revanche, l’amiodarone ne provoque que rarement des torsades de pointes, malgré le fait qu’elle allonge nettement l’intervalle QT. Certains médicaments sans visée cardiaque sont également susceptibles d’allonger l’intervalle QT; des torsades de pointes ne surviennent toutefois que rarement avec ces médicaments et généralement qu’en présence de facteurs de risque supplémentaires (p. ex. syndrome du QT long congénital, cardiopathie, hypokaliémie, interactions pharmacocinétiques ou prise de plusieurs médicaments allongeant l’intervalle QT). Le présent article se penche sur (1) la survenue d’un allongement de l’intervalle QT et le lien avec les torsades de pointes, (2) les facteurs de risque d’un allongement de l’intervalle QT et de torsades de pointes, (3) les médicaments susceptibles de provoquer un allongement de l’intervalle QT et des torsades de pointes, et (4) les mesures de précaution à prendre pour diminuer le risque de torsades de pointes.
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L’intervalle QT est la représentation électrocardiographique de la dépolarisation ventriculaire et de la repolarisation qui suit. Etant donné que la durée de repolarisation dépend de la fréquence cardiaque, l’intervalle QT doit être corrigé en fonction de la fréquence cardiaque (QT corrigé = QTc). La valeur normale est la suivante: chez les femmes QTc < 450 msec, chez les hommes QTc < 440 msec.
L’allongement de l’intervalle QT à l’ECG résulte généralement d’un ralentissement de la repolarisation des cellules myocardiques, le plus souvent provoqué par une décharge inadéquate d’ions K+ (due p. ex. à un défaut congénital au niveau des canaux potassiques ou à un blocage de ces canaux par des médicaments). Le ralentissement de la repolarisation peut entraîner des dépolarisations précoces et des extrasystoles. Ce processus ne se déroule pas de manière homogène dans toutes les cellules du myocarde; lorsqu’il existe d’importantes différences régionales, les extrasystoles peuvent provoquer des torsades de pointes. Il s’agit d’une tachycardie ventriculaire polymorphe qui se manifeste sur le plan clinique par des vertiges, une syncope et des convulsions. Les torsades de pointes s’arrêtent généralement spontanément mais elles peuvent évoluer vers une fibrillation ventriculaire et la mort subite. Le fait que l’allongement de l’intervalle QT entraîne finalement ou non des arythmies est un processus complexe qui nécessite généralement une combinaison de plusieurs facteurs défavorables.
On estime que le risque de torsades de pointes est significatif lorsque l’intervalle QTc> 500 msec; il n’y a toutefois pas de valeur-seuil de l’intervalle QTc en dessous de laquelle le risque serait absent.
Les facteurs de risque d’allongement de l’intervalle QT et de torsades de pointes sont les suivants.
- Age> 65 ans.
- Sexe féminin.
- Cardiopathies: insuffisance cardiaque, ischémie, hypertrophie du myocarde, bradycardie, bloc auriculo-ventriculaire du deuxième et troisième degré.
- Troubles électrolytiques (particulièrement hypokaliémie et hypomagnésémie).
Il existe aussi un syndrome du QT long congénital dont la prévalence est estimée à 1 sur 2.000 à 2.500 enfants nés vivants. Il existe plusieurs formes de syndrome du QT long congénital qui diffèrent quant au type de défaut génétique et au risque de décès. Par ailleurs, on suppose que les patients qui développent des torsades de pointes suite à la prise de médicaments allongeant l’intervalle QT, ont également l’une ou l’autre prédisposition génétique et qu’ils pourraient être des porteurs hétérozygotes des mêmes mutations que celles responsables du syndrome du QT long congénital chez les patients homozygotes.
Ces facteurs de risque peuvent donner lieu "spontanément" à des problèmes, mais ils accroissent surtout le risque d’allongement de l’intervalle QT et de torsades de pointes d’origine médicamenteuse.
- L’allongement de l’intervalle QT est documenté pour plusieurs médicaments. Le tableau à la page 85 reprend une série de médicaments pour lesquels le risque d’allongement de l' intervalle QT est bien connu.
- En ce qui concerne les antiarythmiques , l’allongement de l’intervalle QT est lié à leur mécanisme d’action. L’allongement de l’intervalle QT est le plus prononcé avec les antiarythmiques de classe IA de Vaughan Williams (disopyramide, quinidine) et de la classe III (sotalol, amiodarone), et est moins important avec les antiarythmiques de classe IC (tels que le flécaïnide). Avec la plupart des antiarythmiques, il existe clairement un lien entre le degré d’allongement de l’intervalle QT et l’apparition de torsades de pointes. L’incidence des torsades de pointes pour plusieurs antiarythmiques utilisés à doses thérapeutiques est estimée à plus de 1%; exception faite de l’amiodarone qui allonge nettement l’intervalle QT, mais qui ne provoque que très rarement des torsades de pointes.
- La plupart des médicaments sans visée cardiaque susceptibles d’allonger l’intervalle QT ne provoquent que rarement des torsades de pointes, et l’on admet que l’incidence des torsades de pointes est beaucoup moins élevée que pour les antiarythmiques. Les torsades de pointes n’apparaissent en principe qu’en présence de plusieurs facteurs de risque. L' impact d' un effet indésirable rare peut toutefois être important lorsqu’il s’agit d’un médicament fréquemment utilisé.
- Le risque d’allongement de l’intervalle QT et de torsades de pointes est en principe dose-dépendant; avec les antiarythmiques de classe IA (disopyramide, quinidine), des torsades de pointes ont déjà été décrites à faibles doses.
- La polymédication peut encore accroître davantage le risque d’allongement de l’intervalle QT et de torsades de pointes. C’est le cas lorsque plusieurs médicaments allongeant l’intervalle QT sont pris simultanément, ou lorsqu’un médicament allongeant l’intervalle QT est pris simultanément avec un médicament qui inhibe son métabolisme et augmente ainsi ses concentrations plasmatiques. Concernant les interactions, nous renvoyons au Répertoire Commenté des Médicaments. Dans ce contexte, il est toutefois utile de rappeler l’effet inhibiteur du jus de pamplemousse sur le CYP3A4, l’enzyme qui intervient dans le métabolisme de plusieurs médicaments allongeant l’intervalle QT (entre autres la clarithromycine, le disopyramide, la dompéridone, l’érythromycine, la quinidine). La prise simultanée de médicaments susceptibles de provoquer des troubles électrolytiques (p.ex. les diurétiques augmentant la perte de potassium) ou de médicaments bradycardisants (p.ex. l’ivabradine, les inhibiteurs de la cholinestérase tels que ceux utilisés p. ex. dans la démence d’Alzheimer) peut également accroître davantage le risque. Les β-bloquants (à l’exception du sotalol) et les antagonistes du calcium bradycardisants, diltiazem et vérapamil, ne posent probablement pas de problème malgré leur effet bradycardisant, parce qu’ils ont également un effet inhibiteur sur l’apparition d’extrasystoles.
- Plusieurs médicaments ont été retirés du marché ces dernières années en raison d’un allongement de l’intervalle QT et de l’apparition de torsades de pointes; il s’agit entre autres de la terfénadine et de l’astémizol (des antihistaminiques H 1), de la thioridazine (un antipsychotique) et du cisapride (un gastroprocinétique).
Un certain nombre de mesures de précaution peuvent être utiles pour limiter autant que possible le risque d’allongement de l’intervalle QT et de torsades de pointes.
- Chez les patients présentant un syndrome du QT long congénital et chez les patients ayant des antécédents d’allongement de l’intervalle QT suite à un traitement médicamenteux, il convient d’éviter les médicaments allongeant l’intervalle QT. Dans certaines formes du syndrome du QT long congénital, l’administration de β-bloquants (mais pas de sotalol!) peut faire partie du traitement.
- Chez les proches au premier degré de personnes décédées de mort subite à un jeune âge (< 40 ans), il est recommandé de réaliser un ECG avant de prescrire un médicament allongeant l’intervalle QT, et en cas de prescription d’antiarythmiques, de refaire un ECG quelques jours après l’instauration du traitement.
- La réalisation systématique d’un ECG lors de l’instauration d’un médicament allongeant l’intervalle QT n’est pas réaliste. En revanche, il importe de vérifier la présence de facteurs de risque sous-jacents d’allongement de l’intervalle QT ou de torsades de pointes (voir plus haut). Les situations à risque suivantes requièrent une attention particulière: association de plusieurs médicaments allongeant l’intervalle QT, association d’un médicament allongeant l’intervalle QT avec un médicament qui inhibe son métabolisme, association d’un médicament allongeant l’intervalle QT avec un diurétique augmentant la perte de potassium.
- En ce qui concerne les antiarythmiques, certainement ceux de la classe IA (disopyramide, quinidine) et le sotalol, certains estiment que le risque de torsades de pointes est tellement important qu’il est préférable, en particulier chez les patients présentant les facteurs de risque précités, d’instaurer le traitement en milieu hospitalier sous monitoring cardiaque. Selon d’autres, les antiarythmiques peuvent être instaurés en ambulatoire, mais cela ne peut se faire qu’après une interprétation minutieuse de l’ECG et une évaluation des facteurs de risque. Pour le sotalol, il convient en outre d’adapter la dose suivant la fonction rénale.
- Lorsque l’intervalle QTc est supérieur à 500 msec, il convient certainement d’évaluer de manière critique la nécessité de poursuivre le traitement, et le médicament incriminé sera de préférence arrêté. Il convient également de rechercher les facteurs de risque sousjacents tels qu’une hypokaliémie ou des interactions médicamenteuses.
- Un patient qui prend un médicament allongeant l’intervalle QTc doit être averti des symptômes pouvant indiquer des troubles du rythme cardiaque (palpitation, vertiges, syncope). Lorsque de tels symptômes se manifestent, il convient d’arrêter le médicament incriminé, de contrôler l’ECG et de corriger les facteurs de risque sousjacents éventuels (hypokaliémie, bradycardie).
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Antiarythmiques:
- Surtout les antiarythmiques de classe IA (disopyramide, quinidine) et de classe III (amiodarone, sotalol) [l’amiodarone ne provoque que rarement des torsades de pointes]
- Moins fréquemment les antiarythmiques de classe IC (tels que le flécaïnide p.ex.)
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- L’antiémétique dompéridone (voir aussi Folia de novembre 2011 ; prudence avec des doses> 30 mg par jour)
- L’antiémétique ondansétron (surtout à doses élevées par voie intraveineuse); les autorités de la santé, entre autres au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, ont décidé récemment que la dose maximale administrée en une fois en intraveineux avant une chimiothérapie ne peut pas dépasser 16 mg, via www.mhra.gov.uk , communiqué du 02/08/12)
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Torémifène, un modulateur sélectif des récepteurs aux estrogènes
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Méthadone, un analgésique morphinique
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- Antipsychotiques (probablement surtout le dropéridol, le pimozide, le sertindol et l’halopéridol à doses élevées)
- Antidépresseurs:
- Antidépresseurs tricycliques (surtout en cas de surdosage)
- Citalopram et escitalopram
- Concernant le citalopram, l’EMA a récemment décidé de diminuer la dose maximale jusqu’à 40 mg par jour chez les adultes jusqu’à l’âge de 65 ans, et jusqu’à 20 mg par jour chez les patients âgés de plus de 65 ans
- Concernant l’escitalopram, l’EMA a récemment décidé de ne pas modifier la dose maximale chez les adultes jusqu’à l’âge de 65 ans (20 mg par jour), mais de diminuer la dose maximale chez les adultes âgés de plus de 65 ans jusqu’à 10 mg par jour
- Atomoxétine, un stimulant central
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Médicaments anti-infectieux:
- Erythromycine (surtout en i.v.), clarithromycine, télithromycine, azithromycine (avec l’azithromycine, un risque de mort subite a été décrit récemment; voir rubrique " Bon à savoir " sur notre site Web, communiqué du 24/05/12)
- Moxifloxacine (dans une moindre mesure également la lévofloxacine et l’ofloxacine)
- Amphotéricine B (surtout en cas de doses élevées et de perfusion rapide)
- Chloroquine
- Artéméther+luméfantrine et arténimol + pipéraquine
- Pentamidine
- Certains inhibiteurs de protéase (atazanavir, lopinavir, saquinavir)
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Antitumoraux:
- Trioxyde d’arsenic
- Inhibiteurs de la tyrosine kinase (dasatinib, géfitinib, imatinib, lapatinib, nilotinib, pazopanib, sorafénib, sunitinib)
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