Intoxications médicamenteuses: prise en charge en première ligne


Abstract

Cet article discute des principales mesures à prendre lorsqu’on est confronté en première ligne à une intoxication médicamenteuse éventuelle. Il est toujours possible de s’informer auprès du Centre Antipoisons accessible 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 au 070 245 245.

Il est important de suivre une prise en charge méthodique.

  • En cas de nécessité, le maintien des fonctions vitales et le dégagement des voies respiratoires sont une priorité, de même que l’appel des services de secours.
  • Certains symptômes peuvent nécessiter, en première ligne déjà, un traitement médicamenteux urgent, comme c’est le cas p.ex. en cas de dépression respiratoire due à une intoxication aux opiacés (administration de naloxone), de convulsions graves (administration de diazépam par voie rectale), d’agitation sévère (administration d’une benzodiazépine ou d’un antipsychotique), d’hypoglycémie sévère (administration de glucose ou de glucagon).
  • Il convient ensuite d’évaluer la gravité de l’intoxication, entre autres à partir d’une (hétéro-)anamnèse et d’un examen clinique.
  • A l’exception du glucose, du glucagon et de la naloxone, les antidotes spécifiques ne sont que rarement indiqués en première ligne.
  • Bien que l’administration de charbon activé puisse être utile, son utilisation en première ligne n’est en principe pas recommandée en Belgique.

Les intoxications aiguës dues à la prise, intentionnelle ou accidentelle, de médicaments, sont fréquentes et de gravité variable. Selon le “Rapport d’activités 2008” du Centre Antipoisons, les classes de médicaments donnant lieu au plus grand nombre d’appels sont les suivantes (par ordre de fréquence):

  • chez les enfants (généralement suite à une prise accidentelle ou à une erreur thérapeutique): médicaments agissant sur le système nerveux central (surtout des benzodiazépines), médicaments agissant sur le système respiratoire (surtout des antitussifs), préparations à usage externe (surtout des désinfectants à base d’alcool), analgésiques;
  • chez les adultes (dans presque la moitié des cas, dans le cadre d’une tentative de suicide): médicaments agissant sur le système nerveux central (surtout des benzodiazépines et des antidépresseurs), analgésiques (AINS, paracétamol, analgésiques morphiniques).

Face à l’éventualité d’une intoxication médicamenteuse, il est important de suivre une prise en charge et un traitement méthodiques. Il est toujours possible de s’informer auprès du Centre Antipoisons accessible 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 au 070 245 245.


Maintien des fonctions vitales et traitement symptomatique

Si les signes vitaux sont menacés, il convient d’appeler immédiatement les services de secours (numéro 100 ou 112), en demandant l’assistance du SMUR. Entre-temps, il convient de prendre les mesures de secours classiques (telles que dégager les voies respiratoires, réanimation); la mise en place d’une voie intraveineuse peut également être utile.


Symptômes pouvant nécessiter un traitement médicamenteux urgent, avec choix du médicament et posologie

Certains symptômes peuvent déjà nécessiter un traitement médicamenteux d’urgence en première ligne. Ils sont repris dans le tableau, ainsi que le choix et la dose des médicaments à éventuellement administrer.

Dépression respiratoire due à une intoxication aux opiacés

Naloxone (amp. 0,4 mg/1ml)

  • Patients non dépendants aux opiacés
    • i.v. lente: dose initiale de 0,4 mg (diluée), à répéter si nécessaire toutes les 2 à 3 minutes (dose maximale 10 mg);
    • i.m.: dose initiale de 0,4 mg (non diluée), à répéter si nécessaire toutes les 2 à 3 minutes (dose maximale 10 mg);
  • Patients dépendants aux opiacés: commencer par des doses plus faibles (0,1 à 0,2 mg à la fois) vu le risque de symptômes de sevrage aigu.

Hypoglycémie sévère

Glucose (i.v.)

  • Enfants: solution de glucose à 10%, avec une dose initiale de 0,5 g (= 5 ml) par kg de poids corporel.
  • Adultes: solution de glucose à 50%, avec une dose initiale maximale de 25 g; dans la plupart des cas, une dose de 10 à 15 g suffit.

Glucagon (i.m.)(hypokit 1 mg + 1 ml ser. solv.)

  • < 8 ans (ou poids corporel < 25 kg): 0,5 mg
  • > 8 ans et adultes: 1 mg En cas de réponse insuffisante après 10 minutes, passer à la voie i.v.

Convulsions

Diazépam par voie rectale (amp. 10 mg/2 ml, à l’aide d’une rectiole)

  • < 1 an: 0,5 mg/kg
  • 1- 3 ans: 5 mg (0,2 à 0,5 mg/kg)
  • > 3 ans: 10 mg (0,2 à 0,5 mg/kg)
  • adultes: 10 à 20 mg

Agitation sévère

Benzodiazépine ou antipsychotique, par voie orale ou, si cela est impossible, par voie intramusculaire (p.ex. 2 mg de lorazépam, à répéter éventuellement après 45 à 60 minutes; 5 mg d’halopéridol en i.m.)

Vomissements graves

Métoclopramide i.m. (amp. 10 mg/2 ml): 10 mg, à répéter jusqu’à max. 1 mg/kg


Quelques commentaires

  • La dépression respiratoire due à une intoxication aux opiacés nécessite l’administration urgente de naxolone. Vu que la durée d’action de la naxolone est plus courte que celle des opiacés, il convient de tenir compte d’une récidive éventuelle de la dépression centrale, et une hospitalisation avec une surveillance suffisamment longue est souhaitable.
  • La dépression respiratoire due à une intoxication aux benzodiazépines est rarement grave, à moins que d’autres sédatifs ou de l’alcool aient été pris en même temps. L’administration de flumazénil, un antagoniste des benzodiazépines, n’est pas sans danger (entre autres risque de symptômes de sevrage aigu, tels qu’une agitation sévère, et de convulsions, notamment en cas de prise d’autres médicaments abaissant le seuil convulsif) et n’est en principe pas indiquée en première ligne.
  • En cas de troubles de la conscience , il faut toujours penser à une hypoglycémie. En cas d’hypoglycémie sévère, l’administration de glucose hypertonique ou de glucagon doit être envisagée. L’administration intraveineuse de glucose constitue le premier choix, mais en cas d’extravasation, le glucose hypertonique peut provoquer une nécrose tissulaire. Il existe des doutes quant à l’utilité de l’administration de glucagon en cas d’hypoglycémie due à des sulfamidés hypoglycémiants.
  • Les convulsions prolongées (plus de 5 à 10 minutes) ou les crises répétées sans rétablissement suffisant entre celles-ci, doivent être prises en charge d’urgence. Si l’on décide d’instaurer déjà un traitement médicamenteux avant l’arrivée des secours spécialisés (équipe du SMUR p.ex.), le diazépam par voie rectale constitue le premier choix.
  • Une agitation sévère , par exemple après une intoxication aux psychotropes, peut nécessiter l’administration d’une benzodiazépine ou d’un antipsychotique. Chez les patients dont l’agitation est due à une intoxication aux sédatifs ou à l’acool, l’administration parentérale d’une benzodiazépine peut provoquer une dépression respiratoire.
  • Des vomissements sévères peuvent être provoqués par une intoxication entre autres par la digoxine, le lithium, du fer, la théophylline, le paracétamol. L’administration de métoclopramide peut être utile.

Evaluation de la gravité de l’intoxication

En même temps que les mesures décrites plus haut, il convient d’évaluer la gravité de l’intoxication. Sur base de l’(hétéro-)anamnèse, on peut obtenir des informations sur la nature du (des) médicament(s) ingéré(s), la quantité supposée ingérée, le moment de la prise, et la prise concomitante éventuelle d’alcool ou de drogues. Il faut attirer l’attention sur le fait que l’anamnèse peut fournir des données non fiables, ce qui peut être à l’origine d’une sous-estimation de la gravité de la situation.

Les données provenant de l’examen clinique sont également importantes, mais l’absence de symptômes, en apparence rassurante, peut être trompeuse, p.ex. en cas d’intoxication au paracétamol dans laquelle les symptômes n’apparaissent que très tardivement. En cas d’intoxication intentionnelle, il faudra veiller aussi à assurer une évaluation et une assistance psychiatriques urgentes.


Blocage de l’absorption gastro-intestinale

On ne dispose pas d’études randomisées contrôlées en ce qui concerne les techniques visant à contrecarrer l’absorption gastro-intestinale; les directives suivantes ont été rédigées sur base d’un consensus d’experts.

  • Le charbon activé , en tant qu’adsorbant, est utile dans la plupart des intoxications potentiellement dangereuses pour autant qu’il soit administré dans l’heure qui suit l’intoxication; son utilité en cas d’administration plus tardive (jusqu’à 4 heures après l’intoxication) est incertaine. L’administration de charbon activé en première ligne n’est en principe pas recommandée en Belgique, étant donné que les avantages potentiels ne contrebalancent pas les risques en cas de contreindication méconnue, et vu que les services d’urgence ne sont jamais très éloignés.
  • Le lavage gastrique est rarement réalisé en milieu spécialisé, et n’est certainement pas recommandé en première ligne. Il convient de prendre en compte des facteurs tels que la gravité de l’intoxication, la probabilité que le lavage gastrique élimine une quantité cliniquement importante (en fonction entre autres du temps écoulé depuis l’ingestion) et le risque lié à la procédure (entre autres aspiration, traumatisme de l’oesophage).
  • L’induction de vomissements au moyen du sirop d’ipéca n’a plus de place.
  • Il n’y a pas d’arguments en faveur de l’utilisation de laxatifs ou de lait en cas d’intoxications.

Antidotes

  • Le glucose et le glucagon sont indiqués en cas d’hypoglycémie sévère, p.ex. en cas de surdosage de médicaments hypoglycémiants (voir ci-dessus).
  • La naloxone est utile en cas de dépression respiratoire due à une intoxication aux opiacés (voir ci-dessus).
  • Le flumazénil n’est en principe pas indiqué en première ligne dans le cadre d’une intoxication aux benzodiazépines (voir ci-dessus).
  • L’ acétylcystéine est administrée par voie intraveineuse en cas d’intoxication aiguë au paracétamol (idéalement dans les 8 heures suivant l’ingestion); en Belgique où les services d’urgence ne sont jamais très éloignés, il n’est pas souhaitable et souvent pas réalisable d’administrer de l’acétylcystéine avant l’hospitalisation.

Un hôpital susceptible de prendre en charge des patients atteints d’une intoxication aiguë doit bien entendu disposer d’une série d’antidotes. Des explications détaillées sur les antidotes et sur les moyens de se les procurer sont disponibles sur le site Web du Centre Antipoisons ( www.centreantipoisons.be ).


Quelques références

Anonyme.: Intoxication aiguë par ingestion médicamenteuse: premiers soins. Traiter une détresse vitale, évaluer le rique d’aggravation, et, le cas échéant, de détresse psychique. La Revue Prescrire 2010; 30: 356-64

Philips H, D Sutter A, Buylaert W, De Paepe P, Calle P et Schrans D.: Gebruik de medicatie bij urgenties. Via http://www.domusmedica.be/images/stories/aanbevelingen/ab_medicatie_bij_urgenties.pdf

Site Web du Centre Antipoisons:www.poisoncentre.be/sommaire.php?lang=fr, choisir “Professionnels de la santé”