Usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires en première ligne: mise à jour


Abstract
  • Dans l’otite moyenne aiguë (OMA), les données récentes sur l’usage des antibiotiques ne modifient pas les recommandations de BAPCOC: dans le groupe restreint d’enfants chez lesquels des antibiotiques sont indiqués, un traitement par amoxicilline pendant 5 à 7 jours constitue le premier choix. L’association amoxicilline + acide clavulanique peut être envisagée lorsqu’ aucune amélioration n’est observée avec l’amoxicilline seule dans les 3 jours.
  • Dans la pharyngite, suite au retrait du marché du Rixapen® (clométocilline), la phénoxyméthylpénicilline (synonyme pénicilline V) est le premier choix lorsqu’une antibiothérapie se justifie.
  • En cas de refroidissement banal, une antibiothérapie n’est pas justifiée. L’efficacité et l’innocuité d’un traitement à base de plantes (Pelargonium sidoides, Echinacea) ne sont pas suffisamment prouvées. Le zinc peut réduire la durée et la sévérité des symptômes mais les études sont trop hétérogènes pour formuler une recommandation.
  • Dans la pneumonie acquise en communauté, une antibiothérapie doit toujours être instaurée d’emblée. Il ressort d’une étude que l’ajout de glucocorticoïdes réduit la durée d’hospitalisation, mais ceci doit être confirmé par des études supplémentaires.

L’usage rationnel des antibiotiques dans les infections aiguës des voies respiratoires en première ligne a fait l’objet d’un numéro thématique dans les Folia d' octobre 2004 et est depuis lors, mis à jour chaque année. Le présent article apporte quelques données supplémentaires; ces dernières ne modifient pas les recommandations de base publiées jusqu’ici.


Otite moyenne aiguë

  • Une revue Cochrane a été publiée en 2010 au sujet de la durée du traitement antibiotique dans l’otite moyenne aiguë (OMA) chez l’enfant. Il en ressort qu’un traitement de 7 jours ou plus est associé à un moindre risque d’échecs thérapeutiques qu’un traitement de moins de 7 jours (l’échec thérapeutique était défini par l’absence de guérison clinique ou une rechute ou récidive de l’OMA dans le mois suivant l’initiation de l’antibiothérapie). Il y avait 18% d’échecs avec le traitement de plus longue durée versus 21% avec le traitement de courte durée. Le risque d’effets indésirables gastro-intestinaux était toutefois nettement moindre en cas de traitement de courte durée. En outre, cette revue Cochrane n’a inclus qu’une seule étude avec l’amoxicilline, l’antibiotique de premier choix, dans laquelle aucune différence significative n’a pu être mise en évidence entre un traitement de courte durée (3 jours) et un traitement de plus longue durée (10 jours). [ Cochrane Database Syst Rev 2010; 9 (doi:10.1002/14651858.CD001095.pub2)]
  • Deux études randomisées contrôlées ont évalué l’efficacité d’un traitement par amoxicilline + acide clavulanique par rapport à un placebo, chez des jeunes enfants présentant une OMA diagnostiquée par otoscopie.
    • La première étude menée aux Etats-Unis chez des enfants âgés de 6 à 23 mois a révélé un bénéfice tout juste statistiquement significatif de l’association amoxicilline + acide clavulanique (90 mg/kg/jour d’amoxicilline en 2 prises pendant 10 jours) en termes d’amélioration des symptômes et d’évolution du tableau à l’examen otoscopique [ N Engl J Med 2011; 364: 105-15 (doi:10.1056/NEJMoa0912254)].
    • La deuxième étude, menée en Finlande chez des enfants âgés de 6 à 35 mois, révèle une diminution statistiquement significative du nombre d’échecs thérapeutiques (définis comme l’absence d’amélioration générale ou l’aggravation de l’état de l’enfant) dans le groupe traité par amoxicilline + acide clavulanique (40 mg d’amoxicilline/kg/jour en 2 prises pendant 7 jours). Il y avait 18,6 % d’échecs dans le groupe traité par antibiotiques versus 44,9 % dans le groupe placebo [ N Engl J Med 2011; 364: 116-26 (doi: 10.1056/ NEJMoa1007174)].

Le choix de l’antibiotique (amoxicilline + acide clavulanique) dans ces études n’est pas motivé par les auteurs. L’ajout d’acide clavulanique à l’amoxicilline ne protège pas davantage contre le pneumocoque, germe potentiellement le plus dangereux dans l’OMA. De plus, en raison des différences dans les profils de résistance des germes, les résultats de ces études américaine et finlandaise ne sont pas extrapolables à la situation belge. Par ailleurs, les effets à long terme n’ont pas été évalués, en particulier la fréquence des récidives d’OMA après l’arrêt de l’antibiotique.

Ces données récentes ne modifient pas les recommandations de BAPCOC: dans le groupe restreint d’enfants chez lesquels des antibiotiques sont indiqués, l’amoxicilline (75 à 100 mg/kg/jour) pendant 5 à 7 jours est le premier choix; l’association amoxicilline + acide clavulanique doit être réservée aux cas où aucune amélioration avec l’amoxicilline seule n’est observée dans les 3 jours [voir Folia d' octobre 2009 ].


Pharyngite

Lorsqu’une antibiothérapie se justifie dans la pharyngite aiguë, c.-à-d. dans les cas sévères (état général très altéré) ou chez les patients à risque (par ex. antécédents de rhumatisme articulaire aigu, dépression immunitaire, valvulopathie), la clométocilline (Rixapen®) est un des médicaments de premier choix. La clométocilline a toutefois été retirée du marché en mai 2011, apparemment pour des raisons commerciales [voir Folia de juillet 2011 ]. La pénicilline V (synonyme phénoxyméthylpénicilline) est une alternative mais il faut veiller à respecter les modalités d’administration: chez l’adulte, 3.000.000 UI par jour en 3 prises et chez l’enfant 50.000 UI/kg/jour en 3 ou 4 prises, de préférence en dehors des repas [voir Répertoire Commenté des Médicaments]. La phénoxyméthylpénicilline est disponible sous forme de comprimés (Péni-Oral®) mais peut également être prescrite sous forme de sirop [voir le Formulaire Thérapeutique Magistral via www.fagg-afmps.be/fr/humain/medicaments/medicaments/distribution ou le Répertoire Commenté des Médicaments pour la formule complète]. En cas d’indisponibilité de la pénicilline V ou en cas d’allergie (non IgE médiée) à la pénicilline, une céphalosporine du premier groupe peut être envisagée; en cas d’allergie IgE médiée, un néomacrolide peut être envisagé.


Refroidissement banal

Un refroidissement banal est une affection virale sans gravité dans laquelle les antibiotiques n’ont pas de place. Selon la Food and Drug Administration américaine, bon nombre de médicaments proposés contre le refroidissement banal (préparations à base d’antitussifs, antihistaminiques, vasoconstricteurs et expectorants) ne se justifient pas non plus, en particulier chez les enfants de moins de 2 ans [voir Folia de mars 2008 ]. Les antitussifs sont par ailleurs contre-indiqués chez les enfants de moins de 6 ans et sont à déconseiller chez les enfants âgés de 6 à 12 ans.

  • Des médicaments à base de plantes sont souvent utilisés dans le refroidissement banal. Deux spécialités à base de plantes sont disponibles par voie orale: le Kaloban® (Pelargonium sidoides , extrait sec) et l’Echinacin® (Echinacea purpurea , suc). Pour aucune de ces spécialités, l’efficacité et l’innocuité n’ont été suffisamment prouvées [voir Folia d' octobre 2007 , octobre 2010 et avril 2011 ].

    Les données concernant l’efficacité de l’Echinacea sont contradictoires et difficilement interprétables [voir Folia d' octobre 2007 ]. Dans une étude randomisée contrôlée par placebo, menée auprès de 719 patients présentant un refroidissement banal, un bénéfice non significatif a été constaté avec l’Echinacea (racine séchée, 10,2 g le premier jour puis 5,1 g p.j. pendant 4 jours) sur la sévérité et la durée du refroidissement. Il existe de nombreuses préparations d’Echinacea de composition variable (préparées à partir de différentes parties de la plante et selon diverses méthodes d’extraction). La préparation à base de racine d’Echinacea, utilisée dans l’étude précitée, ne correspond pas à celle commercialisée en Belgique. Cette étude n’apporte donc aucun argument supplémentaire en faveur d’un traitement par l’Echinacea dans le refroidissement banal. [ Ann Intern Med 2010; 153: 769-77 (doi: 10.1059/0003-4819-153-12-201012010-0003)]

  • Des préparations à base de zinc sont également proposées dans le refroidissement banal. Il ressort d’une revue Cochrane que, chez des patients par ailleurs en bonne santé, le zinc peut réduire la durée et la sévérité des symptômes du refroidissement banal lorsqu’il est administré dans les 24 heures suivant l’apparition des premiers symptômes [ Cochrane Database Syst Rev 2011; 2 (doi: 10.1002/14651858.CD001364.pub3)]. Utilisé à titre préventif pendant au moins 5 mois, le zinc diminue l’incidence du refroidissement banal, l’absentéisme scolaire et la prescription d’antibiotiques chez les enfants présentant un refroidissement banal. Il faut cependant tenir compte du risque d’effets indésirables, surtout avec les comprimés de zinc qui peuvent occasionner des nausées et un mauvais goût. Par ailleurs, vu l’hétérogénéité des études, les auteurs de la revue Cochrane estiment qu’il n’est pas possible de formuler une recommandation.

Pneumonie acquise en communauté

Il est bien établi qu’un traitement antibiotique doit être instauré d’emblée et systématiquement en cas de pneumonie acquise en communauté (CAP) [voir Folia d' octobre 2010 pour le choix de l’antibiotique]. La question de savoir dans quelle mesure l’ajout de glucocorticoïdes peut influencer l’évolution de la maladie a été examinée dans une étude récente randomisée contrôlée par placebo, réalisée chez 304 patients non immunodéprimés, atteints d’une CAP et ne nécessitant pas une prise en charge aux soins intensifs. L’administration de dexaméthasone (5 mg p.j. en intraveineux pendant 4 jours à partir de l’admission) a permis de réduire la durée de l’hospitalisation de 13% (p=0,048) mais aucun effet n’a été observé sur les critères d’évaluation secondaires, à savoir la mortalité, le nombre d’admissions aux soins intensifs, les complications pulmonaires ou le nombre de réadmissions à l’hôpital dans les 30 jours [ Lancet 2011; 377: 2023-30 (doi:10.1016/ S0140-6736(11)60607-7)]. Ce bénéfice doit être mis en balance avec le risque d’effets indésirables liés aux glucocorticoïdes tels que l’apparition d’une hyperglycémie, d’une hypertension et d’une surinfection. Cette étude a par ailleurs fait l’objet de plusieurs critiques relatives à la méthodologie et à l’analyse des résultats [ Lancet 2011; 378: 979-81 (doi:10.1016/S0140-6736(11)61440-2 et 61439-6)].

Les données actuellement disponibles ne sont pas assez claires pour déterminer la balance bénéfices-risques des glucocorticoïdes dans cette indication.


Grippe saisonnière

Pour la prévention et le traitement de l’influenza, nous renvoyons aux Folia de février 2010 (inhibiteurs de la neuraminidase) et août 2011 (vaccination).

Nous rappelons que la place des inhibiteurs de la neuraminidase dans le cadre de la grippe saisonnière est limitée. L' effet préventif n' a été démontré qu’en cas d’exposition à l’influenza confirmée par des examens de laboratoires. Ils n’ont un effet sur les symptômes de la grippe que s’ils sont pris dans les 48 heures suivant l’apparition des symptômes; un effet préventif des complications de l’influenza n’a pas été suffisamment prouvé.


Exacerbation de la BPCO

La prise en charge des exacerbations de BPCO dans la pratique ambulatoire a fait l’objet d’un article dans les Folia d' octobre 2010 . On s’intéresse depuis longtemps à l’utilité éventuelle d’un traitement antibiotique en prévention des exacerbations. Une étude randomisée contrôlée par placebo, parue récemment, a évalué l’efficacité de l’azithromycine (250 mg p.j. pendant un an) en prévention des exacerbations de la BPCO. Les résultats montrent une diminution statistiquement significative de la fréquence des exacerbations dans le groupe traité (1,48 exacerbations par année- patient versus 1,83 exacerbations par année-patient). La qualité de vie était également améliorée par le traitement, mais cet effet n’était pas cliniquement significatif. L’interprétation de ces résultats doit être nuancée vu les effets indésirables auditifs constatés dans cette étude, l’incertitude quant à un effet prolongé au-delà d’un an et le risque important d’émergence de résistance. Notons également que ces résultats, obtenus aux Etats-Unis, ne peuvent être extrapolés à la situation belge où le profil de résistance des germes est différent. [ N Engl J Med 2011; 365: 689-98 (doi: 10.1056/NEJMoa1104623)]