Hyperkaliémie


Abstract

L’hyperkaliémie vraie (taux sérique de potassium > 5,5 mmol/l, ne faisant pas suite à une hémolyse) est le plus souvent provoquée par une combinaison de facteurs, dont les principaux sont l’existence d’une insuffisance rénale (attention chez les personnes âgées et les diabétiques) et la prise de certains médicaments (p.ex. les IECA, les sartans, les inhibiteurs de la rénine, la spironolactone, les AINS, les héparines). En cas d’hyperkaliémie sévère, des arythmies potentiellement fatales peuvent survenir, et une prise en charge immédiate en milieu hospitalier s’impose. Dans des situations moins sévères, il suffit parfois d’arrêter les médicaments susceptibles de provoquer une hyperkaliémie, d’instaurer un traitement par un diurétique de l’anse ou de prescrire des mesures diététiques.

La concentration extracellulaire en potassium est régulée de près par divers mécanismes (valeurs normales: 3,8 à 5 mmol/l), et lorsque la fonction rénale est normale, l’excédent de potassium est facilement éliminé. L’hyperkaliémie se définit généralement comme un taux sérique de potassium supérieur à 5,5 mmol/l. Il convient d’exclure les valeurs faussement élevées (p.ex. suite à une hémolyse lors de la prise de sang ou en cas de délai trop long entre la prise de sang et l’analyse), mais en cas d’hyperkaliémie sévère (K+ > 6,5 mmol/l, ou K+ > 6,0 mmol/l s’accompagnant de modifications à l’ECG,), une prise en charge immédiate s’impose (voir plus loin) [n.d.l.r.: le risque d’hémolyse dans le tube de sérum est limité par le gel; il convient par ailleurs de respecter les directives du laboratoire].

L’hyperkaliémie peut provoquer des problèmes cardiaques (allant jusqu’à des arythmies ventriculaires) et des problèmes neuromusculaires (faiblesse musculaire, allant jusqu’à la paralysie). La prudence s’impose en particulier chez les patients atteints de troubles de la conduction cardiaque chez lesquels même une légère augmentation de la kaliémie peut provoquer des arythmies sévères.


Principales causes d’hyperkaliémie

L’hyperkaliémie est généralement provoquée par une combinaison de facteurs dont les principaux sont l’insuffisance rénale (attention chez les personnes âgées et les diabétiques) et la prise de médicaments.

  • L’insuffisance rénale est la cause la plus fréquente d’hyperkaliémie. Tant que la clairance de la créatinine est supérieure à 15 à 20 ml/min, la capacité à éliminer le potassium reste assez bonne, et une hyperkaliémie n’est que rarement observée, sauf en présence d’autres facteurs de risque. Attention, chez les personnes âgées, la créatininémie normale est souvent trompeuse, et on risque ainsi de sous-estimer la diminution de la fonction rénale.
  • Certains médicaments interfèrent par différents mécanismes avec l’équilibre potassique. Ils figurent au tableau 1. Des cas d’hyperkaliémie surviennent plus fréquemment ces dernières années, et ceci est attribué entre autres à l’utilisation croissante de médicaments tels que les IECA, les sartans et la spironolactone. Lors de la prise d’un IECA ou d’un sartan, en association à la spironolactone, dans le traitement de l’insuffisance cardiaque sévère, la prudence s’impose, surtout chez les patients qui présentent une diminution de la fonction rénale; dans de telles associations, la dose de spironolactone ne peut en aucun cas dépasser 50 mg par jour [voir Folia de juin 2004 ].

    D’autres médicaments fréquemment utilisés pouvant provoquer une hyperkaliémie sont les AINS et les héparines (également les héparines de bas poids moléculaire, voir la " Note " à la fin de cet article), a fortiori en présence d’autres facteurs de risque d’hyperkaliémie.

    Chez les patients à risque (entre autres les personnes âgées, les diabétiques), les médicaments mentionnés dans le tableau 1 doivent être instaurés à faible dose, et un contrôle du taux sérique de potassium doit être envisagé après une semaine et à chaque augmentation de la dose. Il n’existe cependant pas de directives précises concernant la fréquence de la détermination du potassium; celle-ci dépend de la gravité de l’insuffisance rénale, de la présence d’un diabète et de la prise de plusieurs médicaments pouvant provoquer une hyperkaliémie.

  • D’autres causes d’hyperkaliémie sont entre autres: uneconsommation excessive de potassium dans le régime alimentaire [des denrées alimentaires à teneur élevée en potassium sont: certains substituts de sel, les figues, les algues marines, le chocolat, le son et les germes de blé, certains légumes (entre autres épinards, tomates, carottes, pommes de terre, brocolis, champignons) et certains fruits (entre autres les kiwis, les bananes, les mangues)]; une transfusion sanguine (suite à une hémolyse); un hypoaldostéronisme (p.ex. en cas de néphropathie diabétique, d’insuffisance rénale chronique ou d’utilisation d’AINS); une insuffisance surrénale (p. ex. dans la maladie d’Addison), l’administration intraveineuse trop rapide de potassium, p. ex. en cas d’hypokaliémie; l’administration d’une alimentation parentérale totale hautement concentrée en potassium; le passage de potassium du liquide intracellulaire vers le liquide extracellulaire (p. ex. en cas de rhabdomyolyse, de syndrome de lyse tumorale, d’acidose, d’effort intensif).

Prise en charge de l’hyperkaliémie

La prise en charge de l’hyperkaliémie vise à normaliser les taux sériques de potassium, à prévenir les complications et à traiter les causes sous-jacentes.

  • L’hyperkaliémie sévère (K+ > 6,5 mmol/l, ou K+ > 6,0 mmol/l s’accompagnant de modifications à l’ECG) est une situation potentiellement fatale nécessitant une prise en charge immédiate en milieu hospitalier, sous monitoring cardiaque, et nécessitant éventuellement l’administration de calcium, de bicarbonate de sodium, d’insuline + glucose, de β2-mimétiques et/ou de diurétiques de l’anse, et une dialyse.
  • Une hyperkaliémie moins sévère peut être traitée par un diurétique de l’anse. La quantité de potassium dans le régime alimentaire doit être limitée et les médicaments pouvant augmenter la kaliémie doivent, dans la mesure du possible, être arrêtés. Une dialyse peut être nécessaire chez les patients atteints d’insuffisance rénale.

Mesures de précaution pour éviter les récidives d’hyperkaliémie

Il convient tout d’abord dans la mesure du possible d’arrêter la prise de médicaments pouvant provoquer une hyperkaliémie. Vu l’effet favorable des IECA et des sartans sur la progression d’une néphropathie chez certains patients [voir Folia de novembre 2004 ], il peut toutefois être indiqué de poursuivre le traitement par ces médicaments, éventuellement à de plus faibles doses. D’autres mesures peuvent aussi être envisagées: diminuer l’apport alimentaire en potassium à 40 à 60 mmol par jour, instaurer des diurétiques (diurétiques thiazidiques chez les patients avec une fonction rénale conservée, diurétiques de l’anse chez les patients avec une clairance de la créatinine < 40 ml/min), administrer des chélateurs du potassium (p. ex. kayéxalate).


Tableau 1. Médicaments susceptibles de provoquer une hyperkaliémie


  • Médicaments influençant le flux de potassium du milieu intracellulaire vers le milieu extracellulaire

    β-bloquants (mentionnés dans certains manuels, mais peu documentés ce qui entrave l’évaluation de l’impact clinique du risque), digoxine (en cas de surdosage), solutions hyperosmolaires (mannitol, glucose), suxaméthonium

  • Substances contenant du potassium

    Suppléments de potassium, certains substituts de sel, certaines herbes [p.ex. prêle (Equisetum arvense), pissenlit (Taraxacum officinale), luzerne (Medicago sativa), ortie (Urtica dioica)]

  • Médicaments diminuant la sécrétion d’aldostérone

    IECA, sartans et inhibiteurs de la rénine, AINS, héparines, ciclosporine, tacrolimus

  • Médicaments inhibant la liaison de l’aldostérone à son récepteur

    Spironolactone, drospirénone, canrénoate

  • Médicaments inhibant les canaux sodiques épithéliaux rénaux

    Diurétiques d’épargne potassique (amiloride, triamtérène), triméthoprime, pentamidine.

  • Autres médicaments

    Erythropoétines


Référence utile

Nyirenda MJ, Tang JI, Padfield PL et Seckl JR.: Hyperkalaemia. Brit Med J 2009; 339: b4114


Note

Le Centre Belge de Pharmacovigilance a reçu récemment une fiche jaune concernant la survenue d’un cas d’hyperkaliémie (6,1 mmol/l) chez un homme diabétique âgé de 70 ans, 2 à 3 jours après l’instauration d’un traitement par l’énoxaparine (Clexane®). Le patient était hospitalisé en raison d’un choc septique dû à une pyélonéphrite ayant également provoqué une légère insuffisance rénale (on ne dispose pas de plus de détails); l’énoxaparine fut instaurée en prévention de complications thrombo- emboliques. L’énoxaparine a été arrêtée et l’hyperkaliémie a été traitée (entre autres par du glucose + insuline, kayéxalate). Au moment de réadministrer de l’énoxaparine, l’hyperkaliémie est réapparue. D’après Meyler’s Side Effects of Drugs et Martindale, toutes les héparines, y compris les héparines de bas poids moléculaire, peuvent provoquer dans de rares cas une hyperkaliémie, surtout lorsque le traitement dépasse les 7 jours; celle-ci peut être cliniquement importante, a fortiori en présence d’autres facteurs de risque.

Pharmanet rassemble en Belgique les données concernant les médicaments remboursés qui sont délivrés dans les officines publiques. Une analyse des données de 2005 révèle que la prescription d’un IECA ou d’un sartan simultanément à un AINS ou à la spironolactone était fréquente dans la population plus âgée (65-79 ans, > 80 ans) [ Pharmacoepidemiol Drug Saf 2008; 17: 1014-9 ]. Ainsi, par exemple, l’association " IECA/sartan + AINS " a été prescrite au moins une fois chez respectivement 25% (65-79 ans) et 22% (> 80 ans) de la population, tandis que l’association " IECA/ sartan + spironolactone " l’était chez respectivement 5,8% (65-79 ans) et 9,9% (> 80 ans). Dans la population plus âgée, de telles associations constituent des facteurs de risque importants d’insuffisance rénale aiguë et/ou d’hyperkaliémie.