Traitement d’entretien des affections inflammatoires de l’intestin
La colite ulcéreuse et la maladie de Crohn sont des formes d’affections inflammatoires de l’intestin, dont l’évolution est difficilement prévisible [voir aussi Folia d’ avril 1997]. Des récidives peuvent survenir plusieurs années après une première crise. Divers médicaments tels les 5-aminosalicylates et les corticostéroïdes, et/ou la chirurgie (dans la maladie de Crohn), sont utilisés afin d’induire une rémission. Une fois celle-ci atteinte, on instaurera généralement un traitement d’entretien afin de prévenir les récidives. Cet article attire l’attention sur l’importance et la durée de l’effet des médicaments recommandés, et sur leurs risques. 5-AminosalicylatesLes 5-aminosalicylates sont: la sulfasalazine (composé azoïque de l’acide 5- aminosalicylique et de la sulfapyridine), la mésalazine (acide 5-aminosalicylique), l’olsalazine (dimère de l’acide 5-aminosalicylique), le balsalazide (acide 5-aminosalicylique lié à un transporteur inerte). L’acide 5-aminosalicylique, le principe actif, est libéré par ces médicaments surtout au niveau du site d’inflammation, et ce par différents mécanismes. On ne peut donc pas admettre sans plus que ces différents médicaments soient mutuellement interchangeables. Certains spécialistes font leur choix pour une préparation donnée en fonction de la localisation de l’affection et de la manière dont l’acide 5-aminosalicylique est libéré, mais la valeur d’une telle approche n’a été examinée que dans relativement peu d’études contrôlées. Colite ulcéreuseLes 5-aminosalicylates sont les médicaments de premier choix dans le traitement d’entretien de la colite ulcéreuse. Chez les patients en rémission, le risque de récidives est 3 à 4 fois moins élevé avec la sulfasalazine qu’avec un placebo. La dose optimale de sulfasalazine est de 2 g par jour. Les résultats d’une analyse systématique de 11 études comparatives, effectuée par la Cochrane Collaboration, suggèrent que la sulfasalazine est légèrement mais de manière statistiquement significative plus efficace que les autres aminosalicylates dans les 6 premiers mois, mais la présence de biais dans ces études n’est pas exclue; dans les 6 études s’étendant à 12 mois, aucune différence d’efficacité n’a été trouvée entre les différents aminosalicylates. Dans une étude en double aveugle incluant 112 patients présentant une colite ulcéreuse, en rémission depuis au moins un an grâce à la sulfasalazine ou la mésalazine, qui sont passés soit à une préparation à base de mésalazine (1,2 g par jour), soit à un placebo, une récidive est apparue au cours de l’année suivante chez 23 % de ceux traités par la mésalazine et chez 46 % de ceux du groupe placebo. Maladie de CrohnChez des patients atteints de la maladie de Crohn, l’absence de récidives grâce au traitement par les 5-aminosalicylates n’est que faiblement prouvée. Des données suggèrent toutefois que la mésalazine s’avérerait efficace dans certaines situations, par exemple chez les patients dont l’affection est limitée à l’intestin grêle et qui ont subi une intervention chirurgicale, et chez les patients souffrant déjà depuis longtemps de la maladie de Crohn. Effets indésirablesJusqu’à 15 % des patients ne supportent pas la sulfasalazine. La partie sulfapyridine de cette molécule est à l’origine de la plupart des effets indésirables tels nausées, céphalées, fatigue, oligospermie [n.d.l.r.: l’oligospermie est rapportée chez plus de 80 % des hommes, mais la fécondité se normalise dans les 2 à 3 mois après l’arrêt du traitement]. L’hypersensibilité à la sulfapyridine peut causer des réactions cutanées (y compris le syndrome de Stevens-Johnson), une urticaire, de la fièvre, une hépatite, des réactions pulmonaires, une pancréatite et des troubles hématologiques (agranulocytose par ex.); ces effets surviennent le plus souvent durant les premières semaines du traitement. Il va de soi que la mésalazine, l’olsalazine et le balsalazide ne provoquent pas ces effets indésirables dus à la sulfapyridine. Ces médicaments causent surtout des nausées, des céphalées et de l’urticaire; des réactions d’hypersensibilité graves et des troubles hématologiques sont rares. Tout traitement de longue durée avec un 5-aminosalicylate comporte un risque de toxicité rénale (par ex. néphrite interstitielle, syndrome néphrotique). [N.d.l.r.: d’après les données actuelles, la sulfasalazine et la mésalazine ne comportent pas un risque accru de tératogénicité. L’ouvrage "Drugs in Pregnancy and Lactation. A Reference Guide to Fetal and Neonatal Risk" (Williams & Wilkins, 6ème édition, 2002) met toutefois en garde en ce qui concerne l’administration de sulfasalazine en fin de grossesse étant donné le risque d’hyperbilirubinémie et d’anémie hémolytique chez le nouveau-né. Les notices belges des spécialités à base de mésalazine attirent l’attention sur le risque d’hémorragie en cas d’administration pendant le troisième trimestre de la grossesse.] ThiopurinesLes thiopurines azathioprine et mercaptopurine sont les médicaments de second choix les plus fréquemment utilisés dans le traitement de la colite ulcéreuse et de la maladie de Crohn. La dose usuelle est de 2 à 2,5 mg/kg/jour pour l’azathioprine, de 1 à 1,5 mg/kg/jour pour la mercaptopurine. Colite ulcéreuseIl existe peu d’études contrôlées sur les thiopurines, effectuées chez des patients atteints d’une colite ulcéreuse. Ces médicaments sont toutefois beaucoup utilisés chez des patients présentant des récidives répétées malgré un traitement par des aminosalicylates, ainsi que chez des patients nécessitant des corticostéroïdes pour contrôler les symptômes aigus. L’azathioprine diminue la nécessité de recourir aux corticostéroïdes dans ce dernier groupe, et pourrait en permettre l’arrêt. On ne sait pas si un traitement par des aminosalicylates doit être poursuivi chez des patients qui restent en rémission sous thiopurines. Maladie de CrohnLes résultats d’une méta-analyse de 5 études contrôlées par placebo chez 319 patients en rémission d’une maladie de Crohn, montrent que 67 % de ceux traités par l’azathioprine restaient en rémission par rapport à 52 % dans le groupe placebo. Par ailleurs, plus de patients traités par l’azathioprine arrêtaient le traitement par corticostéroïdes, ou en diminuaient la dose. La durée optimale d’un traitement par une thiopurine n’est pas clairement établie, mais les données disponibles suggèrent qu’un traitement est efficace pendant au moins 4 ans. Effets indésirablesAu moins 10 % des patients ne tolèrent pas l’azathioprine en raison des effets indésirables tels nausées, vomissements, diarrhée et douleurs abdominales. Une réaction d’hypersensibilité avec fièvre, rigidité musculaire, myalgie et arthralgie survient aussi fréquemment; celle-ci apparaît en début de traitement et nécessite son arrêt définitif. Une pancréatite, une hépatite, un ictère choléstatique et une néphrite interstitielle sont plus rares. La mercaptopurine est parfois bien tolérée par les patients qui ne supportent pas l’azathioprine. Une dépression de la moelle osseuse, qui est dose-dépendante, peut survenir à n’importe quel moment du traitement par l’azathioprine ou la mercaptopurine; aussi un contrôle sanguin est-il indiqué avant le traitement, chaque semaine durant le premier mois du traitement, ensuite tous les trois mois durant la durée totale du traitement. Un traitement de longue durée par l’azathioprine entraîne une augmentation du risque de certains types de cancers chez des patients ayant subi une transplantation, mais cette augmentation de risque n’a pas été retrouvée chez des patients souffrant d’une affection inflammatoire de l’intestin. Bien que les données concernant l’usage d’une thiopurine pendant la grossesse soient encourageantes, il semble prudent de ne pas instaurer un traitement par une thiopurine chez des femmes enceintes ou désirant l’être, ni durant la période d’allaitement. Le risque d’avortement spontané et de malformations congénitales semble augmenté lorsque le père a pris une thiopurine durant les trois mois précédant la conception. MéthotrexateMaladie de CrohnLa méthotrexate à faible dose induit une rémission chez un pourcentage important de patients souffrant de la maladie de Crohn chez lesquels des corticostéroïdes ou une thiopurine ne s’avéraient pas efficaces. Lorsqu’une rémission est induite par le méthotrexate, la poursuite du traitement diminue également le risque de récidives: après 40 semaines, 65 % des patients traités par le méthotrexate (15 mg i.m. une fois par semaine) restaient en rémission, versus 39 % des patients sous placebo. Des données d’études non contrôlées suggèrent qu’un traitement peut rester efficace pendant au moins 3 ans. Effets indésirablesLes effets indésirables les plus fréquents sont nausées, vomissements, diarrhée, céphalées, éruptions cutanées et stomatite. Des infections opportunistes, des affections pulmonaires allergiques et une dépression de la moelle osseuse sont plus rares. L’acide folique (1 mg par jour) semble diminuer le risque d’effets indésirables et de dépression de la moelle osseuse. Une augmentation transitoire des enzymes hépatiques peut survenir. Le méthotrexate est tératogène et contre-indiqué chez les femmes en âge de procréer. CorticostéroïdesBien que les corticostéroïdes par voie systémique [n.d.l.r.: et éventuellement par voie rectale] soient le traitement de référence des exacerbations aiguës des affections inflammatoires de l’intestin, ils ne sont pas indiqués comme traitement d’entretien chez des patients en remission. Ils ne diminuent pas le risque de récidives chez les patients en rémission, et leur toxicité à long terme est inacceptable. InfliximabL’infliximab, un anticorps monoclonal contre le TNF, est utilisé pour induire une rémission chez des patients souffrant de forme grave et active de la maladie de Crohn, chez lesquels des corticostéroïdes ou d’autres agents immunomodulateurs ne s’avèrent pas efficaces. Les données quant à son usage comme traitement d’entretien sont encore insuffisantes. [N.d.l.r.: l’infliximab est également utilisé dans l’arthrite rhumatoïde, voir Folia de septembre 2001 ; concernant ses effets indésirables (aggravation de l’insuffisance cardiaque, risque d’infections et plus particulièrement de tuberculose): voir Folia de juin et février 2002. ] D’après: Noms de spécialités
*: pour ces préparations, la notice mentionne un traitement d’entretien comme indication. Azathioprine: Imuran Balsalazide: (non commercialisé en Belgique) Mercaptopurine: Purinethol Mésalazine: Asacol* Claversal*, Colitofalk* Mesalaphar* Pentasa* Méthotrexate: Emthexate Ledertrexate Methotrexatum Olsalazine: (non commercialisé en Belgique) Sulfasalazine: Salazopyrine*
Il n’existe pas de réponse univoque à la question de la durée optimale d’un traitement d’entretien des affections inflammatoires de l’intestin. Les études montrent une efficacité durant une période déterminée (ainsi minimum 2 ans pour les aminosalicylates, 4 ans pour l’azathioprine), mais en pratique on est tenté de poursuivre le traitement beaucoup plus longtemps (la vie durant?), sans preuves définitives à ce sujet. On a l’impression que la maladie disparaît avec le temps, mais seulement après plusieurs années. C’est avant tout le processus inflammatoire qui paraît diminuer; des problèmes peuvent persister chez les patients présentant surtout des sténoses. |