Messages clés
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Dans une étude de cohorte (« nation-wide ») menée au Danemark, la prise d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) chez des patients sous anticoagulants oraux (AOD, warfarine) pour une thromboembolie veineuse a été associée à un risque hémorragique plus que doublé.
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Ce risque ne semble pas équivalent selon les AINS étudiés : le naproxène est associé au risque hémorragique le plus élevé, suivi du diclofénac, puis de l’ibuprofène.
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L’augmentation du risque hémorragique liée aux anticoagulants + AINS a été observée quel que soit l’anticoagulant oral utilisé (apixaban, dabigatran, edoxaban, rivaroxaban, warfarine).
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Ce risque est augmenté pour les saignements gastro-intestinaux, mais aussi intracrâniens.
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Il convient donc d’être prudent lors de la prescription simultanée d’un AINS et d’un anticoagulant oral, y compris la warfarine. Dès lors, chez un patient sous anticoagulant nécessitant un antalgique, il est utile de réévaluer la balance bénéfice-risque et d’envisager des options alternatives avant de prescrire un AINS. Les patients peuvent se procurer certains AINS en vente libre (p.ex. ibuprofène, naproxène), cette délivrance doit faire l’objet d’une attention particulière.
En quoi cette étude est-elle importante ?
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Les AINS sont couramment utilisés pour soulager la douleur, la fièvre et l’inflammation — des symptômes fréquemment rencontrés chez les patients atteints de thromboembolie veineuse (TEV). Il n’est donc pas rare que ces patients reçoivent à la fois des AINS et des anticoagulants oraux.
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Des inquiétudes subsistent quant au risque hémorragique lié à l’utilisation concomitante de ces deux classes médicamenteuses. En effet, les AINS ayant un effet sur la fonction plaquettaire et sur la muqueuse gastrique, il faut particulièrement craindre les hémorragies gastro-intestinales, mais pas seulement.
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Les précédentes études sur le sujet sont limitées, soit par une taille d’échantillon insuffisante, soit par l’inclusion d’un seul type d’anticoagulant. On ne sait donc pas si le risque hémorragique dépend des différents types d’anticoagulants et d’AINS, et si l’augmentation du risque hémorragique, le cas échéant, se limite au tractus gastro-intestinal ou s’applique à d’autres systèmes organiques.
Protocole de l’étude
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Il s’agit d’une étude de cohorte (« nation-wide ») menée au Danemark qui utilise toutes les données ambulatoires et hospitalières de toute la population danoise entre janvier 2012 et décembre 2022. Cette étude est basée sur une population de patients (≥ 18 ans) avec un premier épisode de thromboembolie veineuse qui ont débuté un traitement avec des anticoagulants oraux directs (rivaroxaban, apixaban, dabigatran ou édoxaban) ou un antagoniste de la vitamine K (warfarine) entre le 1/1/2012 et 31/12/2022.
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L’objectif de l’étude était d’évaluer le risque hémorragique lié à l’utilisation concomitante d’AINS et d’anticoagulants oraux chez des patients ayant présenté une thromboembolie veineuse.
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Le critère d’évaluation primaire est un critère composite « tout saignement » qui comprend : une hémorragie gastro-intestinale, intracrânienne, thoracique et respiratoire, urinaire ou une anémie causée par une hémorragie, diagnostiqués à l’hôpital.
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Le critère d’évaluation secondaire comprenait les composantes individuelles du critère primaire.
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Les patients ayant des antécédents de diagnostics d’hémorragie ont été exclus.
Résultats en bref
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L’étude de cohorte a inclus 51 794 patients atteints d’un premier épisode de TEV ayant débuté un traitement par anticoagulant oral (48% de femmes, avec un âge moyen de 69 ans).
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Le taux d’incidence de tout saignement, exprimé en 100 personnes-année, était de 3,5 (périodes avec anticoagulant seul) et de 6,3 (périodes avec anticoagulant + AINS), quel que soit l’anticoagulant utilisé. Cela correspond à un « Number Needed to Harm » (NNH) de 36 [IC 95 % : 24 à 72] : cela signifie que traiter 36 patients pendant un an avec un anticoagulant + AINS (par rapport à un anticoagulant seul) donne lieu à un saignement supplémentaire.
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Risque de tout saignement associé à l’utilisation anticoagulant oral + AINS versus anticoagulant oral seul :
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Risque de saignement en fonction du type AINS :
Tout AINS 2,09 (1,67–2,62) Ibuprofène 1,79 (1,36–2,36) Diclofénac 3,30 (1,82–5,97) Naproxène 4,10 (2,13–7,91) Le risque hémorragique plus élevé observé avec le naproxène peut s’expliquer par sa demi-vie plus longue que les autres AINS (RCP). -
Risque de saignement en fonction de l’anticoagulant oral utilisé :
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anticoagulants oraux directs (AOD) : RH ajusté = 2,27 (IC à 95 %, 1,73 à 3,00)
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warfarine : RH ajusté = 1,79 (IC à 95 %, 1,16 à 2,76)
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- Risque d’hémorragie associé à l’utilisation anticoagulant oral + AINS versus anticoagulant oral seul, en fonction de la localisation :
Saignements gastro-intestinaux 2,24 (1,61–3,11) Saignements intracrâniens 3,22 (1,69–6,14) Saignements respiratoires/thoraciques 1,36 (0,67–2,77) (statistiquement non significatif) Saignements urinaires 1,57 (0,98–2,51) (statistiquement non significatif) Anémie due aux saignements 2,99 (1,45–6,18)
Limites de l’étude
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Il s’agit d’une étude de cohorte observationnelle, on ne peut donc pas exclure des biais et facteurs de confusion résiduels. Cependant, le caractère national et basé sur l’ensemble de la population (« nation-wide ») de cette étude renforce probablement la généralisation des résultats à d’autres populations et systèmes de santé similaires à celui du Danemark.
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L’utilisation d’AINS en vente libre n’a pas été prise en compte. L’exposition aux AINS pourrait ainsi être sous-estimée dans le groupe contrôle.
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Il manque des données concernant l’observance aux AINS, on ne sait pas si les patients ont réellement pris les AINS qui ont été prescrits.
Commentaire du CBIP
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Cette étude nous rappelle l’augmentation du risque hémorragique, gastro-intestinal mais aussi intracrânien, en cas d’association anticoagulant (AOD, warfarine) + AINS.
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Il convient donc d’être prudent lors de la prescription simultanée d’un AINS et d’un anticoagulant oral, y compris la warfarine. Dès lors, chez un patient sous anticoagulant nécessitant un antalgique, il est utile de réévaluer la balance bénéfice-risque et d’envisager des options alternatives avant de prescrire un AINS. Les patients peuvent se procurer certains AINS en vente libre (p.ex. ibuprofène, naproxène), cette délivrance doit faire l’objet d’une attention particulière.
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Pour rappel, le risque hémorragique est également augmenté en cas d’association d’un AOD ou d’antagonistes de la vitamine K avec un autre médicament présentant un risque hémorragique tels que les ISRS et les IRSN (voir 2.1.2.1.2. Anticoagulants oraux directs (AOD) et Folia décembre 2024).
Noms des spécialités concernées :
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Apixaban : Eliquis® (voir Répertoire).
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Dabigatran : Dabigatran(e), Pradaxa® (voir Répertoire).
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Diclofénac: Cataflam®, Diclofenac(e), Motifene®, Voltaren® (voir Répertoire).
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Edoxaban : Lixiana® (voir Répertoire).
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Ibuprofène : Algidrin®, Brufen®, Ibuprofen(e), Nurofen®, Perdofemina®, Spidifen® (voir Répertoire).
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Naproxène : Aleve®, Apranax®, Naprosyne®, Naproxen(e) (voir Répertoire).
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Rivaroxaban : Rivaroxaban(e), Xarelto® (voir Répertoire).
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Warfarine: Marevan® (voir Répertoire).
Sources
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Petersen, S. R., Bonnesen, K., Grove, E. L., Pedersen, L., & Schmidt, M. (2025). Bleeding risk using non-steroidal anti-inflammatory drugs with anticoagulants after venous thromboembolism: a nationwide Danish study. European Heart Journal 2025;46(1):58-68 (doi: 10.1093/eurheartj/ehae736).