Trop souvent, les enfants vus en ambulatoire pour une infection aiguë se voient prescrire inutilement des antibiotiques. Il est dès lors crucial de poursuivre les efforts en vue d’un usage rationnel des antibiotiques. Une étude belge, financée par le KCE et publiée dans le Lancet, a évalué si un outil d’aide à la décision clinique est à même d’aider les médecins à déterminer si un antibiotique est nécessaire ou non.
Messages clés
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L’étude a été menée auprès de médecins généralistes et de pédiatres exerçant dans les soins ambulatoires en Belgique et a inclus des enfants âgés de 6 mois à 12 ans qui consultaient pour un épisode d’infection aiguë.
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Les investigateurs ont comparé les soins habituels (groupe témoin) à l’application d’un outil d’aide à la décision clinique (groupe intervention) fondé sur :
(1) un arbre décisionnel diagnostique validé pour exclure les infections sévères (intuition du médecin que « quelque chose ne tourne pas rond », essoufflement, fièvre > 40 °C),
(2) un dosage point-of-care ciblé de la CRP et
(3) des « filets de sécurité » (safety-netting advice). -
Résultat : les prescriptions d’antibiotiques ont été moins nombreuses dans le groupe intervention, sans augmentation des risques. Dans le groupe intervention, 16 % des enfants ont reçu une prescription pendant la consultation, contre 22 % dans le groupe témoin (réduction absolue du risque ajustée de 5,1%, Number Needed to Treat de 20, environ). L’application de l’outil d’aide à la décision clinique ne s’est pas traduite par un allongement de la durée de la maladie, ni par une augmentation du nombre d’examens complémentaires, de consultations ou de prescriptions d’antibiotiques pendant la période de suivi de 30 jours.
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Les auteurs ayant commenté l’article dans le Lancet ont souligné la grande robustesse de conception et d’exécution de l’étude, ainsi que son importance clinique. La possibilité et la réussite d’une implémentation à grande échelle de l’outil d’aide à la décision clinique dépend entre autres de son rapport coût-efficacité mais aussi de l’intuition clinique du médecin et de l’accès à des dosages rapides de la CRP.
En quoi cette étude est-elle importante ?
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L’antibiorésistance constitue un problème de santé mondial, responsable chaque année de millions/centaines de milliers de décès.
En 2019, il a été estimé qu’environ 5 millions de décès (604 000 dans les pays à revenu élevé) étaient associés à l’antibiorésistance, dont environ 1,3 million (141 000 dans les pays à revenu élevé) étaient directement attribuables à l’antibiorésistance (cf. Folia de novembre 2022). En d’autres termes, environ 5 millions de décès résultent d’infections qui ne se seraient pas manifestées s’il n’y avait pas eu de germe résistant (par exemple, les infections nosocomiales) et 1,3 million de décès qui ne se seraient pas manifestés si le germe résistant avait été un germe non résistant. -
Le lien entre l’usage d’antibiotiques et l’antibiorésistance est clairement établi. Et trop souvent, les enfants vus en ambulatoire pour une infection aiguë se voient prescrire inutilement des antibiotiques. Il est dès lors crucial de poursuivre les efforts en vue d’un usage rationnel des antibiotiques.
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Les médecins généralistes invoquent souvent l’incertitude du diagnostic pour justifier la prescription d’antibiotiques. Une revue Cochrane (2022)1 a révélé que les dosages point-of-care de la CRP pourraient aider les médecins à prescrire moins d’antibiotiques chez les patients atteints d’infections aiguës des voies respiratoires. Les auteurs de la revue Cochrane soulignaient la nécessité de réaliser des études supplémentaires chez les enfants et de mener des recherches en vue de valider les valeurs seuils de la CRP. Les investigateurs de l’étude belge ARON ont évalué si un outil d’aide à la décision clinique pouvait aider les médecins avec une pratique ambulatoire à décider s’il faut prescrire ou non des antibiotiques chez les enfants atteints d’une infection aiguë. L’outil d’aide à la décision clinique reprenait un arbre décisionnel validé pour l’exclusion d’une infection sévère, un dosage point-of-care ciblé de la CRP et des « filets de sécurité ».2 L’étude était financée par le KCE.
Conception de l’étude
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Étude contrôlée randomisée par grappes, pragmatique et multicentrique (période 2021-2023), auprès de médecins généralistes et de pédiatres exerçant dans les pratiques ambulatoires en Belgique. Les participants à l’étude étaient des enfants âgés de 6 mois à 12 ans qui consultaient pour un épisode d’infection aiguë (c.-à-d. ≤ 10 jours).
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171 cabinets ont été randomisés soit vers l’utilisation de l’outil d’aide à la décision clinique (82 cabinets, avec 2 988 enfants : le groupe intervention), soit vers les soins habituels (89 cabinets, avec 3 762 enfants : le groupe témoin). Avant le début de l’étude, les médecins des deux groupes ont bénéficié d’une formation aux recommandations en vigueur pour la prescription rationnelle d’antibiotiques chez les enfants en pratique ambulatoire (guide BAPCOC, version d’application au moment de l’étude datant de novembre 2019, et réunion de consensus de l’INAMI de 2016 sur l’usage rationnel des antibiotiques chez l’enfant).
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L’outil d’aide à la décision clinique utilisé dans le groupe intervention se composait des éléments suivants :
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Un arbre décisionnel diagnostique validé pour exclure les infections sévères nécessitant une hospitalisation : intuition du médecin que « quelque chose ne tourne pas rond », essoufflement, fièvre > 40 °C.
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Un dosage point-of-care ciblé de la CRP: dosage de la CRP sur une goutte de sang prélevée au bout du doigt (résultat dans les 4 minutes), avec une valeur seuil de 5 mg/L.
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Des « filets de sécurité » (safety-netting advice) : une information écrite permettant aux parents d’évaluer quand reconsulter en l’absence d’amélioration ou en cas d’aggravation de la maladie.
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La Figure 1 illustre l’algorithme diagnostique de l’outil d’aide à la décision clinique. Chaque intervention débute par le recours aux questions de l’arbre décisionnel. Selon ses réponses, le médecin est dirigé vers une autre question ou action. Si le médecin décide de prescrire des antibiotiques, cette prescription doit suivre les recommandations en vigueur. La figure (en anglais) est reprise du site web arontrial.be, avec l’aimable autorisation du premier auteur de la publication dans le Lancet.
Figure 1. Algorithme diagnostique de l’outil d’aide à la décision clinique [(*): guide BAPCOC et réunion de consensus de l’INAMI sur l’usage rationnel des antibiotiques chez l’enfant en pratique ambulatoire]
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Critère d’évaluation primaire (analyse de supériorité) : nombre d’enfants recevant une prescription d’antibiotiques (tant pour une antibiothérapie immédiate qu’une prescription différée) pendant la consultation de référence (= jour 0, avec suivi de 30 jours).
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Critères d’évaluation co-primaires (analyse de non-infériorité) : nombre de jours jusqu’au rétablissement complet ; nombre d’enfants soumis à des examens complémentaires (p. ex. radio du thorax, analyse de sang ou d’urine) pendant la consultation de référence et/ou le suivi ; nombre de nouvelles consultations pendant le suivi ; nombre d’enfants ayant reçu une prescription d’antibiotiques pendant le suivi.
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Critères d’évaluation exploratoires (puissance statistique insuffisante pour tester ces critères) : nombre d’orientations vers l’hôpital ou d’hospitalisations et décès, entre autres.
Résultats en bref
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92 % des enfants ont été inclus par un médecin généraliste.
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L’âge médian des enfants était de 3,8 ans [6m-1a : 29 % ; 2-6a : 45 % ; 7-12a : 26 %]. 51 % étaient des garçons.
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Les médecins du groupe intervention ont déclaré s’être tenus à l’outil d’aide à la décision clinique pour 95 % des enfants.
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Critère d’évaluation primaire : les prescriptions d’antibiotiques ont été moins nombreuses dans le groupe intervention que dans le groupe témoin durant la consultation de référence : 16 % contre 22 % respectivement, soit une réduction absolue du risque ajustée de 5,1%, avec un Number Needed to Treat de 20 environ ; odds-ratio ajusté de 0,72. Les résultats étaient statistiquement significatifs.
- Odds-ratio ajusté de 0,72 (IC à 95 % de 0,55 à 0,94). Réduction absolue du risque ajustée de 5,1% (IC à 95 % de 1,0 à 8,5).
- NB : 75 % des prescriptions concernaient l’amoxicilline, sans grande différence entre les groupes.
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Critères d’évaluation co-primaires : l’application de l’outil d’aide à la décision clinique ne s’est pas traduite par un allongement de la durée de la maladie, ni par une augmentation du nombre d’examens complémentaires, de consultations ou de prescriptions d’antibiotiques pendant la période de suivi.
Groupe intervention contre groupe témoin :- nombre moyen de jours jusqu’au rétablissement complet : 4,6 contre 4,7 (non inférieur) ;
- nombre d’enfants soumis à des examens complémentaires pendant la consultation de référence et/ou le suivi : 11 % contre 14 % (non inférieur) ;
- nombre de nouvelles consultations pendant le suivi : 26 % contre 26 % (non inférieur) ;
- nombre d’enfants ayant reçu une prescription d’antibiotiques pendant le suivi : 10 % contre 11 % (non inférieur).
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Critères d’évaluation exploratoires : il n’y a pas eu de différences entre les groupes en ce qui concerne les orientations vers l’hôpital ou la réalisation d’examens complémentaires pendant la période de suivi, ni en ce qui concerne les hospitalisations au moment de la consultation de référence. Aucun enfant n’est décédé pendant l’étude.
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Un événement indésirable a été signalé chez 102 enfants ; 90 d’entre eux ont dû être hospitalisés (événement « grave ») : 30 (1 %) dans le groupe intervention et 60 (2 %) dans le groupe témoin. Les médecins traitants n’ont pas établi de lien de causalité entre les procédures de l’étude et les événements.
Limites de l’étude
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Seuls les cabinets prêts à suivre une formation préalable ont participé à l’étude. Cela peut avoir influencé les pratiques de prescription à la fois dans le groupe témoin et dans le groupe intervention. La participation s’étant faite sur base volontaire, ceci a peut-être entraîné une surreprésentation des médecins les plus motivés dans l’étude.
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Un biais de sélection dans le recrutement des enfants ne peut être exclu.
Quelques commentaires
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Cette étude menée auprès de médecins généralistes et pédiatres exerçant dans des pratiques ambulatoires belges démontre que l’outil d’aide à la décision clinique a entraîné une réduction des prescriptions d’antibiotiques chez les enfants âgés de 6 mois à 12 ans atteints d’une infection aiguë : réduction absolue du risque ajustée de 5,1%, Number Needed to Treat de 20, environ. Le constat selon lequel les médecins ont appliqué l’outil d’aide à la décision clinique chez 95 % des enfants soutient sa faisabilité et son acceptabilité en pratique quotidienne. L’étude se base toutefois sur des pratiques de médecins motivés qui suivent les recommandations de la BAPCOC, et on peut affirmer que les médecins du groupe témoin ont administré des « soins habituels optimaux ».
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Les auteurs ayant commenté l’étude dans le Lancet3 ont souligné la grande robustesse de conception et d’exécution de l’étude, ainsi que son importance clinique. D’après ces auteurs, la plus grande force de l’étude réside dans l’utilisation séquentielle de l’arbre décisionnel diagnostique, puis d’un dosage point-of-care de la CRP en cas de score positif dans l’algorithme décisionnel. De ce fait, les médecins prescrivent possiblement moins d’antibiotiques « par simple sécurité », ce qui pourrait expliquer la réduction des prescriptions.3
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La possibilité et la réussite d’une implémentation à grande échelle de l’outil d’aide à la décision clinique dépend entre autres de son rapport coût-efficacité (ceci fera l’objet d’une publication ultérieure) mais aussi de l’intuition clinique du médecin et de l’accès à des dosages rapides de la CRP. De même, il convient de mener des études complémentaires pour évaluer l’efficacité clinique, l’innocuité et le rapport coût-bénéfice dans d’autres pays avant que l’outil d’aide à la décision clinique ne puisse y être mis en œuvre.2
Sources
1 Smedemark SA, Aabenhus R, Llor C, Fournaise A, Olsen O, Jørgensen KJ. Biomarkers as point-of-care tests to guide prescription of antibiotics in people with acute respiratory infections in primary care. Cochrane Database of Systematic Reviews 2022, Issue 10. Art. No.: CD010130. DOI: 10.1002/14651858.CD010130.pub3.
2 Verbakel JY, Burvenich R, D’hulster E et al. A clinical decision tool including a decision tree, point-of-care testing of CRP, and safety-netting advice to guide antibiotic prescribing in acutely ill children in primary care in Belgium (ARON): a pragmatic, cluster-randomised, controlled trial. The Lancet 2025;406:1599-610 (doi 10.1016/S0140-6736(25)01239-5). Voir aussi sit Web KCE. Le potocole de l’étude a été publié dans BMJ Open (doi:10.1136/bmjopen-2021-058912).
3 Hay AD, Brown E. Comment. Reducing just-in-case primary care antibiotic prescribing in children. The Lancet 2025;406:1538-40 (doi: 10.1016/ S0140-6736(25)01336-4)







