Message clé
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Chez les patients avec un infarctus du myocarde à fraction d’éjection réduite (FEr), il est clairement prouvé que la prescription de bêta-bloquant au long cours est bénéfique.
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Deux études randomisées (RCT), REDUCE-AMI et ABYSS, se sont récemment intéressées à la pertinence d’un traitement au long cours par bêta-bloquant chez les patients ayant présenté un infarctus du myocarde à fraction d’éjection préservée (FEp) ou modérément réduite (FEmr).
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Ces deux études ont révélé des résultats discordants :
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L’étude REDUCE-AMI n’a pas montré de différence statistiquement significative entre les deux groupes de l’étude (prescription de bêta-bloquant vs pas de bêta-bloquant) en termes de décès et de récidives d’infarctus du myocarde.
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L’étude ABYSS était une étude de non-infériorité comparant l’interruption et la poursuite d’un traitement par bêta-bloquant après un infarctus du myocarde. L’étude n’a pas pu établir la non-infériorité de l’interruption du traitement par rapport à la poursuite de celui-ci. En effet, l’arrêt du bêta-bloquant était associé à plus d’évènements indésirables (principalement des hospitalisations pour cause cardiovasculaire).
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Il est encore trop tôt pour se prononcer définitivement sur la pertinence d’un traitement par bêta-bloquant chez tous les patients avec une fraction d’éjection préservée ou modérément réduite à la suite d’un infarctus du myocarde. Au vu des résultats de ces deux études, il est toutefois probable que certains sous-groupes spécifiques de patients pourraient se passer d’un tel traitement.
En quoi ces études sont-elles importantes ?
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La majorité des études montrant un bénéfice des bêta-bloquants après un infarctus du myocarde datent des années 1980. A cette époque, les dysfonctions ventriculaires systoliques post-infarctus étaient particulièrement fréquentes, faute de disponibilité des techniques diagnostiques et thérapeutiques actuelles (par ex. dosage de troponine, traitement par angioplastie percutanée…).
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En limitant la sévérité de l’infarctus du myocarde, ces révolutions dans la prise en charge ont permis l’apparition de nouvelles entités cliniques : les infarctus à fonction systolique préservée (FE ≥ 50%) ou modérément réduite (FE < 50% et > 40%).
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Les bêta-bloquants peuvent être à l’origine d’effets indésirables impactant la qualité de vie des patients (par ex. fatigue, diminution de la capacité à l’effort…). Il est donc cliniquement pertinent de réévaluer l’intérêt d’un traitement au long cours par bêta-bloquant chez ces sous-groupes spécifiques de patients.
Protocoles des études
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REDUCE-AMI :
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Etude RCT multi-centrique de supériorité avec protocole ouvert et analyse en intention de traiter.
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Participants : Patients avec infarctus du myocarde datant de ≤ 7 jours, documenté par coronarographie et FE ≥ 50 %.
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Randomisation en 2 groupes : Prescription de bêta-bloquant vs Pas de bêta-bloquant.
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Bêta-bloquants utilisés : métoprolol, bisoprolol.
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Critère d’évaluation primaire : critère composite incluant décès de toute cause et récidive d’infarctus du myocarde.
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ABYSS :
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Etude RCT multicentrique de non-infériorité avec protocole ouvert et analyse en intention de traiter.
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Participants : Patients avec antécédent d’infarctus du myocarde datant de ≥ 6 mois et FE ≥ 40%.
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Randomisation en 2 groupes : Interruption du bêta-bloquant initié lors de l’infarctus du myocarde vs poursuite de celui-ci.
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Bêta-bloquants utilisés : bisoprolol, acébutolol, aténolol, nébivolol, métoprolol, carvédilol, autres bêta-bloquants (< 1%).
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Critère d’évaluation primaire : critère composite incluant décès, récidive non fatale d’infarctus du myocarde, AVC non fatal, hospitalisation pour cause cardiovasculaire.
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Résultats en bref
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REDUCE-AMI :
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5 020 patients : âge moyen de 65 ans, 77,5% d’hommes, 14% de diabétiques, 20,4% de tabagiques, 46,2% d’hypertendus, infarctus type STEMI dans 35,2% des cas.
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Durée médiane de follow-up : 3,5 ans.
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Pas de différence statistiquement significative entre les 2 groupes en termes de décès ou de récidives d’infarctus du myocarde (HR 0,96, IC95% 0,79 à 1,16, p=0,64).
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ABYSS :
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3 698 patients : âge moyen de 63,5 ans, 82,8% d’hommes, 20,2% de diabétiques, 19,7% de tabagiques, 43,1% d’hypertendus, infarctus type STEMI dans 63% des cas.
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Durée médiane de follow-up : 3 ans.
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Dans cette étude de non-infériorité, l’interruption du bêta-bloquant n’était pas non inférieure à la poursuite du bêta-bloquant pour le critère de jugement primaire. En effet, l’arrêt du bêta-bloquant était associé à plus d’évènements du critère composite (majoritairement des hospitalisations pour cause cardiovasculaire).
L’objectif d’une étude de non-infériorité est de démontrer que le traitement étudié ne donne pas de résultats inférieurs à celui auquel il est comparé (le comparateur). En déterminant préalablement une marge de non-infériorité, on détermine la différence maximale que l’on accepte pour pouvoir encore conclure que le traitement étudié n’est pas inférieur à son comparateur.
Concernant le critère de jugement primaire de l’étude ABYSS, la non-infériorité de l’interruption du bêta-bloquant se définissait par une borne supérieure d’IC95% < 3% pour la différence absolue de risque entre les 2 groupes. Cela signifie que l’on accepte, avec le traitement étudié (interruption du bêta-bloquant), par rapport à son comparateur (poursuite du bêta-bloquant), jusqu’à 3% d’évènements du critère de jugement primaire supplémentaires pour considérer qu’il n’est pas inférieur. Au-delà de cette limite, la non-infériorité est exclue et on conclut que l’intervention évaluée n’est pas « non-inférieure ».
Dans l’étude ABYSS, le nombre de patients ayant présenté un évènement du critère de jugement primaire était de 432 (23,8%) pour le groupe « interruption » vs 384 (21,1%) pour le groupe « poursuite » du bêta-bloquant ; soit une différence absolue de risque de 2,8% avec un IC95% < 0,1 à 5,5%. La borne supérieure de l’IC95% étant > 3% (5,5%), la non-infériorité de l’interruption du bêta-bloquant n’a pas pu être établie.
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Limites des études
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Les deux études ont utilisé un protocole ouvert. L’absence d’insu est pourtant connue pour être une source de biais pouvant influencer les résultats, tant dans leur fiabilité (diminuée) que dans leur ampleur (exagérée). On peut cependant espérer que l’utilisation de critères d’évaluation primaires objectifs et le caractère multi-centrique de ces études ont permis de compenser ce défaut méthodologique.
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Dans l’étude REDUCE-AMI, le taux de cross-over était de 18,1% dans le groupe « bêta-bloquant » (18,1 % des patients de ce groupe ont arrêté leur bêta-bloquant) et 14,3% dans le groupe « pas de bêta-bloquant » (14,3 % des patients de ce groupe ont débuté un traitement par bêta-bloquant). Dans l’étude ABYSS, le taux de cross-over était de 8,6% dans le groupe « interruption » et 2,8% dans le groupe « poursuite ». Il n’est pas exclu que ces phénomènes de cross-over aient influencé les résultats d’une quelconque manière.
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Dans l’étude REDUCE-AMI, l’incidence annuelle du critère de jugement principal dans le groupe sans bêta-bloquant (2,5%) a été bien inférieure à ce qui avait été anticipé par les chercheurs (7,2%) lors du calcul de la taille de l’échantillon de l’étude. Si cette différence observée peut être le témoin d’une population particulièrement à faible risque d’évènements indésirables, on doit malheureusement aussi s’attendre à une diminution de la capacité de l’étude à détecter une supériorité des bêta-bloquants. Cette perte de puissance de l’étude pourrait contribuer à l’absence de différence significative entre les deux groupes.
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Les patients inclus dans l’étude ABYSS étaient plus sévèrement atteints que dans l’étude REDUCE-AMI. On retrouvait un plus grand nombre de patients diabétiques (20,2% vs 14%), plus d’infarctus de type STEMI (63% vs 35,2%), plus d’atteintes coronaires multi-tronculaires (52,3% vs 43,6%) et 23,4% des patients présentaient une FE entre 40 et 50% (population exclue de l’étude REDUCE-AMI).
Ces différences dans les populations étudiées pourraient participer à la discordance de résultats entre les deux études. -
Contrairement à l’étude REDUCE-AMI, le critère d’évaluation primaire composite de l’étude ABYSS reprenait les hospitalisations pour cause cardiovasculaire, critère dont la sévérité clinique est clairement inférieure à celle d’autres critères d’évaluation forts tels que les décès et récidives d’infarctus du myocarde.
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C’est d’ailleurs la surreprésentation de ce critère au sein du critère composite qui explique vraisemblablement l’absence de non-infériorité de l’interruption du bêta-bloquant.
Différences absolues de risque (avec IC95%) entre les 2 groupes :- Critère de jugement primaire : 2,8 % (<0,1 à 5,5%)
- Décès : 0,1 % (-1,2 à 1,4%)
- Récidive d’infarctus du myocarde : 0,1 % (-0,9 à 1,1%)
- Hospitalisation pour cause cardiovasculaire : 2,3% (-0,1 à 4,8%)
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Ces hospitalisations étaient majoritairement causées par des motifs coronaires (par ex. angiographie, angioplastie, angor).
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Par ailleurs, l’étude ne mentionne pas les modalités du protocole d’arrêt des bêta-bloquants dans le groupe « interruption ». Il n’est donc pas exclu que certaines hospitalisations (par ex. les hospitalisation pour angor) soient dûes à un effet-rebond suite à un arrêt trop brutal du bêta-bloquant.
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Commentaire du CBIP
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Si la prescription de bêta-bloquant pour les patients avec un infarctus du myocarde à FE réduite ne fait aucun doute dans les recommandations actuelles du NICE et de l’ESC, l’utilisation de bêta-bloquants au long cours chez les patients à FE préservée ou modérément réduite est moins établie.
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La discordance de résultats entre les deux études discutées dans ce Folia pourrait être expliquée par des raisons méthodologiques (protocoles ouverts, phénomènes de cross-over, caractéristiques des patients inclus, choix des composantes du critère composite d’évaluation primaire). On mentionnera également que les dosages des bêta-bloquants utilisés dans les deux études étaient inférieurs à ceux utilisés dans les études plus anciennes. Ces dosages correspondent toutefois aux pratiques actuelles.
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S’il est encore prématuré de tirer toute conclusion à ce stade, il est pertinent de remettre en question la place des bêta-bloquants dans le traitement post-infarctus. On peut supposer que certains profils de patients bien spécifiques (par ex. FE ≥ 50%, atteinte coronaire peu sévère…) pourraient se passer d’un tel traitement au long cours. Dès lors, on peut imaginer qu’à l’avenir, les bêta-bloquants ne feront plus systématiquement partie du traitement de base des patients avec un antécédent d’infarctus du myocarde. Pour des lectures supplémentaires sur le sujet, voir aussi les éditoriaux et commentaires relatifs à ces deux études (repris dans les sources de ce Folia).
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Des études RCT supplémentaires restent nécessaires pour évaluer cette hypothèse. Certaines d’entre elles sont en cours et leurs résultats devraient être publiés d’ici peu.
Sources
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Etude REDUCE-AMI : Yndigegn T, Lindahl B, Mars K, et al. Beta-Blockers after Myocardial Infarction and Preserved Ejection Fraction. N Engl J Med. 2024;390(15):1372-1381. doi:10.1056/NEJMoa2401479
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Etude ABYSS : Silvain J, Cayla G, Ferrari E, et al. Beta-Blocker Interruption or Continuation after Myocardial Infarction. N Engl J Med. 2024;391(14):1277-1286. doi:10.1056/NEJMoa2404204
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Recommandations du NICE : Acute coronary syndromes. NICE Guideline (2020).
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Recommandations de l’ESC : Byrne RA, Rossello X, Coughlan JJ, et al. 2023 ESC Guidelines for the management of acute coronary syndromes [published correction appears in Eur Heart J. 2024 Apr 1;45(13):1145. doi: 10.1093/eurheartj/ehad870]. Eur Heart J. 2023;44(38):3720-3826. doi:10.1093/eurheartj/ehad191
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Editoriaux et discussions des études :
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Steg PG. Routine Beta-Blockers in Secondary Prevention – On Injured Reserve. N Engl J Med. 2024;390(15):1434-1436. doi:10.1056/NEJMe2402731
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Jernberg T. Routine Beta-Blockers in Secondary Prevention – Approaching Retirement?. N Engl J Med. 2024;391(14):1356-1357. doi:10.1056/NEJMe2409646
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Fleischmann K. Beta-Blockers After Myocardial Infarction. NEJM Journal Watch
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Brett A. Indefinite Beta-Blocker Therapy After Myocardial Infarction? NEJM Journal Watch
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