Inhibiteurs de la pompe à protons et clopidogrel: pas de preuves d’une interaction cliniquement significative


Abstract

Plusieurs facteurs tels que l’utilisation concomitante d’inhibiteurs de la pompe à protons et la présence de variantes génétiques, peuvent influencer le métabolisme du clopidogrel et son effet sur l’activité plaquettaire. Des données provenant d’études avec des critères d’évaluation cliniques tels que des évènements cardio-vasculaires n’apportent toutefois pas d’arguments en faveur d’un impact cliniquement significatif de ces facteurs. Dans l’état actuel des connaissances, il paraît dès lors justifié de prescrire des inhibiteurs de la pompe à protons chez les patients sous clopidogrel qui ont un risque élevé d’hémorragie gastro-intestinale. Il ne semble pas utile de réaliser des tests génétiques dans le but d’optimaliser un traitement par le clopidogrel.

La possibilité d’une interaction entre les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) et le clopidogrel a déjà été discutée dans les Folia de juillet 2009 et janvier 2010 . Cette interaction pourrait s’expliquer par le fait que les IPP (surtout l’oméprazole) sont des inhibiteurs du CYP2C19, isoenzyme intervenant dans la transformation du clopidogrel en son métabolite actif. Il a également été suggéré que le clopidogrel pourrait être moins efficace chez les patients dont le gène codant pour le CYP2C19 est absent ou inactif (“poor metabolizers”). Ces données ont conduit la Food and Drug Administration (FDA) américaine et l’Agence européenne des médicaments (EMA) à émettre des avertissements au sujet de ce risque potentiel. Afin de vérifier l’importance d’une telle interaction, il ne suffit pas de réaliser des études sur la transformation du clopidogrel en son métabolite actif, ni d’étudier l’influence d’un médicament sur l’agrégation plaquettaire, mais des études avec des critères d’évaluation cliniques tels que des évènements cardio-vasculaires s’avèrent nécessaires.


Traitement concomitant par clopidogrel et IPP

Le N Engl J Med [2010; 363: 1909-17] a publié récemment les résultats de l’étude COGENT, une étude randomisée contrôlée par placebo, ayant évalué l’effet de l’oméprazole chez des patients traités par le clopidogrel et l’acide acétylsalicylique en raison d’une maladie coronarienne. Par rapport au groupe placebo, les patients traités par l’oméprazole présentaient moins d’évènements gastro-intestinaux cliniques (y compris d’hémorragies gastro-intestinales) et de plus, ils ne présentaient pas d’augmentation significative des évènements cardio-vasculaires (mortalité cardio-vasculaire, infarctus du myocarde non fatal, revascularisation, accident vasculaire cérébral), même chez les patients à risque élevé (p.ex. suite à la mise en place d’un stent). Cette étude comporte cependant certaines limites, notamment en raison du faible pouvoir statistique.

Des experts de l’ American College of Cardiology Foundation (ACCF), de l’ American College of Gastroenterology (ACG) et de l’ American Heart Association (AHA) ont rédigé récemment un texte de consensus sur l’utilisation concomitante de thiénopyridines, tel le clopidogrel, et d’inhibiteurs de la pompe à protons [publié sur le site Web du J Am Coll Cardiol 2010; ; doi:10.1016/j.jacc.2010.09.010]. Lors de la décision de prescrire un IPP en prévention des hémorragies gastro-intestinales chez des patients traités par le clopidogrel, il convient de mettre en balance les bénéfices et les risques attendus tant en ce qui concerne les complications cardio-vasculaires que gastro-intestinales. Selon ce texte de consensus, l’administration d’un IPP n’est recommandée que chez les patients avec un risque élevé d’hémorragie gastro-intestinale, c.-à-d. les patients avec des antécédents d’hémorragie gastro-intestinale ou présentant plusieurs facteurs de risque d’hémorragie gastro-intestinale (âge avancé, prise concomitante d’anticoagulants, d’AINS ou d’acide acétylsalicylique). Chez les patients avec un faible risque d’hémorragie gastro-intestinale, le bénéfice d’un tel traitement prophylactique n’est pas clair et l’administration systématique d’un IPP ou d’un antihistaminique H2 n’est pas recommandée.

En ce qui concerne les différences éventuelles entre les IPP, il ressort de données pharmacocinétiques in vitro que tous les IPP inhibent le CYP2C19 à des degrés variables, mais c’est avec l’oméprazole qu’il existe le plus de preuves. On ne dispose d’aucune étude clinique prospective ayant comparé les IPP entre eux chez des patients traités par le clopidogrel.


Détermination du génotype CYP2C19

Dans une autre étude parue dans le N Engl J Med [2010; 363: 1704-14] , une détermination du génotype CYP2C19 a été effectuée chez des patients traités par le clopidogrel en raison d’un syndrome coronarien aigu ou de fibrillation auriculaire. Contrairement à ce qui a été observé dans des études antérieures, le risque d’évènements cardio-vasculaires majeurs n’était pas accru chez les patients dont le gène codant pour le CYP2C19 était absent ou inactif. Ces résultats indiquent qu' une modification du génotype CYP2C19 à elle seule ne suffit pas à influencer la réponse clinique des patients au clopidogrel. D’autres facteurs, environnementaux et médicaux, interviennent également dans le métabolisme du clopidogrel, et la détermination du génotype au moyen de tests génétiques n’a que peu d’intérêt pour évaluer la réponse individuelle au clopidogrel [ Stroke 2010; 41: 2997-3002 ].

Bien que ces données paraissent rassurantes, la place du clopidogrel reste malgré tout limitée dans la prévention des évènements cardio-vasculaires: dans certains syndromes coronariens aigus, surtout en association à l’acide acétylsalicylique, et dans les situations où l’acide acétylsalicylique est contre-indiqué ou mal supporté. Le prasugrel (Efient®), une autre thiénopyridine, est également disponible depuis juin 2010.

Le prasugrel peut être utilisé entre autres chez les patients ayant présenté une thrombose de stent malgré un traitement par le clopidogrel. Le risque d’hémorragies avec le prasugrel est cependant plus élevé qu’avec le clopidogrel [voir Folia de juillet 2010 ]. Dans l’étude Triton-Timi 38, l’utilisation concomitante d’un IPP et de prasugrel n’a pas entraîné d’augmentation de l’incidence des évènements cardio-vasculaires [voir Folia de janvier 2010 ].