Usage rationnel des antibiotiques dans les infections urinaires en première ligne
Le traitement médicamenteux de l’infection urinaire a déjà fait l’objet d’un article de synthèse dans les Folia de juin 1998et d’un "courrier du lecteur" s’y rapportant dans les Folia de décembre 1998. Dans les Folia de décembre 2003 est paru un article sur les risques des médicaments utilisés en cas d’infection urinaire pendant la grossesse. Dans le contexte actuel de résistance croissante des bactéries aux antibiotiques, il nous paraît utile de faire le point sur l’usage rationnel des antibiotiques dans les infections urinaires. Cet article se base sur des recommandations émises par divers organismes en Belgique, des articles de la littérature et l’avis de plusieurs experts dans le domaine. A plusieurs reprises, différentes doses et durées de traitement sont mentionnées pour un même médicament. Ceci s’explique par le fait qu’il existe peu de données comparatives, et que les avis des experts et les recommandations ne sont pas toujours univoques. DéfinitionsDans la prise en charge d’une infection urinaire, il convient de faire une distinction entre les différentes entités cliniques suivantes.
DiagnosticLes symptômes les plus fréquents de cystite sont la dysurie, le ténesme vésical et la pollakiurie. Aucun symptôme à lui seul ne permet de prédire avec certitude une infection des voies urinaires. Il ressort d’une méta-analyse récente que la présence d’une dysurie et d’une pollakiurie chez une femme adulte, associée à l’absence de prurit et de pertes vaginales, donne une probabilité de cystite aiguë supérieure à 90%. Des examens complémentaires simples tels l’utilisation de bandelettes urinaires analysant à la fois les nitrites, l’estérase leucocytaire et les globules rouges, ou l’examen du sédiment urinaire permettent de confirmer le diagnostic. Il convient d’utiliser des urines fraîches ou des urines conservées pendant 24 heures tout au plus au réfrigérateur. En cas d’échec thérapeutique ou de suspicion d’infection urinaire compliquée, une culture urinaire doit être effectuée. Infection urinaire simpleDans l’infection urinaire simple, le choix du traitement va dépendre de facteurs tels la concentration du médicament dans les urines, ses effets indésirables et son coût, ainsi que l’apparition et le développement de résistances. Pour la plupart des antibactériens, il a été démontré qu’un traitement en une seule prise ("traitement minute") est moins efficace qu’un traitement plus long par le même antibactérien, et est donc moins recommandé.
Infection urinaire compliquéeEn cas d’infection urinaire compliquée, une antibiothérapie empirique peut être instaurée mais le choix de l’antibiotique doit toujours être confirmé par une culture urinaire avec antibiogramme. Un traitement de plus longue durée est recommandé. Femmes enceintesLes femmes enceintes qui présentent des symptômes d’infection urinaire ou une bactériurie asymptomatique doivent être traitées, et une durée de traitement d’au moins 10 jours est recommandée. Un article sur les risques des médicaments utilisés en cas d’infection urinaire pendant la grossesse a été publié dans les Folia de décembre 2003 . En ce qui concerne le choix du traitement, celui-ci dépendra des résultats de l’antibiogramme et de la possibilité d’administration chez la femme enceinte. On optera de préférence pour l’ amoxicilline à condition que la sensibilité soit établie sur base de l’antibiogramme, ou pour la nitrofurantoïne sauf en fin de grossesse. Lorsqu’un antibiotique à plus large spectre s’avère nécessaire, l’association amoxicilline+ acide clavulanique ou une céphalosporine du premier groupe sont des alternatives valables. Les fluoroquinolones sont contre-indiquées pendant la grossesse. EnfantsChez l’enfant, les symptômes d’infection urinaire sont souvent peu spécifiques (fièvre, atteinte de l’état général, problèmes d’alimentation, retard de croissance, diarrhée, vomissements, douleurs abdominales) et le diagnostic doit toujours être confirmé par une culture urinaire. L’apparition d’une infection urinaire doit faire suspecter l’existence d’une anomalie du système urinaire, en particulier chez les garçons, chez les filles de moins de 5 ans, et chez les filles pré-pubères présentant des infections urinaires récidivantes. En cas d’infection urinaire basse chez l’enfant, un traitement d’au moins 7 jours par un des antibiotiques suivants peut être proposé en fonction des résultats de l’antibiogramme.
Le taux élevé de résistance des pathogènes urinaires aux antibiotiques β-lactames, comme mentionné plus haut, constitue toutefois un problème. Pour certains médicaments, les spécialités disponibles ne permettent pas une utilisation chez l’enfant. La nitrofurantoïne peut être prescrite sous forme d’un sirop en magistrale:
Le prix public de cette préparation est de € 6,86. Le ticket modérateur est de € 1,10 pour les assurés ordinaires et de € 0,30 pour les VIPO. Les fluoroquinolones, le triméthoprime et le co-trimoxazole sont à éviter chez le jeune enfant, sauf si les données microbiologiques l’exigent. Avec les fluoroquinolones, une atteinte du cartilage articulaire a été observée lors de l’administration chez l’animal pendant la période de croissance. D’après le Martindale, leur utilisation ne se justifie chez l’enfant que lorsque les bénéfices escomptés contrebalancent les risques du traitement. HommesLes infections urinaires qui surviennent chez l’homme sont souvent associées à une infection de l’urètre postérieur, de la prostate ou de l’épididyme et sont dès lors considérées d’emblée comme des infections urinaires compliquées. Les fluoroquinolones (p. ex. la ciprofloxacine 1 g p.j. en 2 prises) sont généralement proposées comme traitement de premier choix vu leur bonne pénétration tissulaire et leur plus grande efficacité en cas de prostatite. Certains proposent le triméthoprime comme alternative. La nitrofurantoïne et les β-lactames ne sont pas des médicaments de premier choix dans le traitement des infections urinaires chez l’homme. Une durée de traitement de 7 à 14 jours est recommandée; en cas de prostatite, le traitement doit être prolongé pendant 4 à 6 semaines. Femmes âgéesLa découverte d’une bactériurie asymptomatique est fréquente chez les femmes âgées et ne nécessite pas systématiquement un traitement. Un traitement ne sera envisagé qu’en présence de symptômes urinaires ou de symptômes parfois atypiques, tels fièvre, anorexie, confusion, ou d’une malformation du système urinaire. Le choix du traitement doit se baser sur les résultats de la culture urinaire. La durée optimale du traitement de l’infection urinaire basse chez la femme âgée n’est pas clairement définie. Récemment, une étude randomisée contrôlée chez 183 femmes âgées de 65 ans et plus, a montré qu’un traitement de 3 jours par la ciprofloxacine était aussi efficace qu’un traitement de 7 jours par le même antibiotique, et était associé à une meilleure observance du traitement ainsi qu’à un risque moindre d’effets indésirables et d’interactions. Pyélonéphrite aiguëLes fluoroquinolones (p. ex. ciprofloxacine 500 mg à 1 g p.j. en 2 prises; ofloxacine 400 à 800 mg p.j. en une prise; lévofloxacine 250 à 500 mg p.j. en une prise) sont les antibiotiques de premier choix dans le traitement empirique de la pyélonéphrite aiguë en pratique ambulatoire, et une durée de traitement de 7 à 10 jours est recommandée. L’utilisation prolongée de norfloxacine n’est plus recommandée. L’ association amoxicilline + acide clavulanique pendant 14 jours est une autre possibilité, en particulier en cas d’infection par des germes Gram positifs. Le triméthoprime, le co-trimoxazole, les aminopénicillines et les céphalosporines du premier groupe ne sont pas recommandés dans le traitement empirique de la pyélonéphrite aiguë vu les taux élevés de résistance des principaux pathogènes urinaires en Belgique. En présence d’une complication ou de facteurs de risque (p. ex. sepsis, diabète, affection sous-jacente) ou lorsque le choix du traitement se porte sur un autre antibiotique qu’une fluoroquinolone, un traitement de 14 jours est recommandé. Dans les cas sévères, p. ex. chez les patients présentant une malformation du système urinaire, des signes de bactériémie, une co-morbidité ou chez l’enfant, une antibiothérapie initiale par voie intraveineuse peut être indiquée. En fonction de l’évolution, l’antibiothérapie peut ensuite être poursuivie par voie orale. Infection urinaire récidivanteEn cas d’infection urinaire récidivante, le traitement ne diffère pas de celui d’un premier épisode mais on optera de préférence pour un autre médicament parmi les médicaments de premier choix. En présence d’au moins 3 épisodes par an ou de 2 épisodes en 6 mois, un traitement prophylactique basé sur l’antibiogramme peut être envisagé pendant au moins 6 mois. Les médicaments généralement utilisés en prophylaxie sont la nitrofurantoïne (50 à 100 mg le soir) ou le co-trimoxazole (80 mg de triméthoprime/ 400 mg de sulfaméthoxazole, 1 à 2 comprimés le soir). Ce traitement prophylactique est administré tous les soirs ou uniquement après les rapports sexuels. Il n’existe pas d’argument permettant de faire un choix entre ces deux schémas. L’automédication, c.-à-d. l’instauration d’un traitement de 3 jours par la femme elle-même dès l’apparition des premiers symptômes, est une autre possibilité qui paraît efficace, sûre et peu coûteuse. La femme doit toutefois prendre contact avec son médecin en l’absence d’amélioration dans les 48 heures. Quelques études suggèrent que la consommation de jus de canneberge (sous forme de jus ou de capsules) pourrait prévenir les récidives d’infection urinaire chez la femme. Certaines incertitudes persistent toutefois, en particulier quant à son innocuité à long terme, les risques d’interactions avec des médicaments (p. ex. la warfarine), la dose optimale et la méthode d’administration. D’autres études s’avèrent dès lors nécessaires avant d’en généraliser l’utilisation. Quant au vaccin à base d’extrait d’E.coli (Uro-Vaxom®) proposé sans beaucoup d’arguments dans la prévention des infections récidivantes, on ne dispose pas de preuves de son efficacité. Principales références
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