Avec la publication de l'étude Solidarity, il devient clair que ni le remdésivir, ni l'hydroxychloroquine, ni le lopinavir, ni l'interféron bêta-1a n'ont un impact significatif sur la mortalité hospitalière, la nécessité d’une ventilation mécanique ou la durée d'hospitalisation chez des patients COVID-19 hospitalisés.
Le 2 décembre, les résultats intermédiaires de l'étude Solidarity ont été publiés en ligne dans le New England Journal of Medicine1. Il s'agit d'une étude internationale, randomisée et non en aveugle, portant sur 11.300 patients COVID-19 hospitalisés, coordonnée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), avec des patients provenant aussi bien de pays à revenu élevé et que de pays à faible revenu. L'objectif de l'étude est de déterminer de manière relativement simple et rapide si, par rapport aux soins standards, un certain nombre de médicaments sélectionnés ont un effet bénéfique sur des critères d’évaluation cliniques importants : la mortalité hospitalière (critère d’évaluation primaire), la nécessité de ventilation mécanique et le délai de sortie de l'hôpital (critères d’évaluation secondaires). Le 2 décembre, les résultats intermédiaires ont été publiés pour les 4 médicaments initialement sélectionnés pour l'étude Solidarity : le remdésivir, l’hydroxychloroquine, le lopinavir (toujours en association avec le ritonavir) et l’interféron bêta-1a.
[Note. L'étude Solidarity est toujours en cours (voir le site de l'OMS). Les bras HCQ et lopinavir ont été arrêtés de manière définitive. On évalue actuellement le lancement de nouveaux bras de traitement dans l'étude Solidarity (antiviraux plus récents, immunomodulateurs, anticorps monoclonaux anti-SARS CoV-2)].
Les résultats de l’étude Solidarity
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Aucun des 4 médicaments n'a eu un impact sur la mortalité hospitalière.
Détails des résultats concernant le critère d’évaluation primaire : la mortalité hospitalière :- remdésivir (301 décès/2.743 patients) versus soins standards (303 décès/2.708): rate ratio de 0,95 (IC à 95% de 0,81 à 1,11);
- hydroxychloroquine (104 décès/947) versus soins standards (84 décès/906): rate ratio de 1,19 (IC à 95% de 0,89 à 1,59);
- lopinavir (148 décès/1.399) versus soins standards (146 décès/1.372): rate ratio de 1,00 (IC à 95% de 0,79 à 1,25);
- interféron (243 décès/2.050) versus soins standards (216 décès/2.050): rate ratio de 1,16 (IC à 95% de 0,96 à 1,39).
- Pour une définition de « rate ratio », voir « ratio de proportions » dans le Glossaire de Minerva.
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Les 4 médicaments n'ont pas non plus eu d'effet sur la nécessité d’une ventilation mécanique ni sur le délai de sortie de l'hôpital.
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Que ce soit sur le critère d’évaluation primaire ou sur les critères d’évaluation secondaires, les résultats n’ont pas été influencés par des analyses de sous-groupes prédéfinis en fonction de l'âge (< 50 ans, 50-69 ans et > 70 ans) ou en fonction de l’assistance respiratoire à l’inclusion (patient ventilé ou non).
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Le nombre de patients sous corticothérapie était similaire dans le groupe ayant reçu le médicament étudié et le groupe ayant reçu les soins habituels. Les résultats n'ont pas été influencés par une analyse de sous-groupes définis en fonction de l’utilisation de corticostéroïdes.
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Certains aspects de l'étude Solidarity réduisent son niveau de preuve. Il n'y a pas de mise en aveugle ni de « groupe placebo », seulement un groupe témoin ayant reçu les « soins standards ». Les auteurs de l'éditorial correspondant2 notent à ce sujet qu'il existe une hétérogénéité au niveau des « soins standards » appliqués dans les différents pays et centres participants, et au niveau de l’ampleur de la charge de morbidité des patients au moment de leur admission à l'hôpital. On dispose également de peu d’informations sur les autres traitements appliqués simultanément (que ce soit dans le groupe traité ou le groupe témoin). La publication ne mentionne pas non plus les effets indésirables éventuellement rapportés.
Les investigateurs ont également effectué une méta-analyse
Pour le remdésivir, l'hydroxychloroquine et le lopinavir, les investigateurs de l'étude Solidarity ont effectué une méta-analyse des études randomisées qui ont comparé l'effet sur la mortalité (que ce soit un critère d'évaluation primaire ou non) avec un groupe témoin (soins standards ou placebo). Aucun de ces trois médicaments n’a été associé à un effet sur la mortalité dans les méta-analyses.
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pour le remdésivir (étude Solidarity, étude ACTT-13 et 2 études à petite échelle): remdésivir versus témoin: rate ratio de 0,91 (IC à 95% de 0,79 à 1,05);
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pour l’hydroxychloroquine (étude Solidarity, étude Recovery [voir Folia de novembre 2020] et 15 études à petite échelle): hydroxychloroquine versus témoin: rate ratio de 1,09 (IC à 95% de 0,98 à 1,21);
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pour le lopinavir (étude Solidarity, étude Recovery4 et 1 étude à petite échelle): lopinavir versus témoin: rate ratio de 1,01 (IC à 95% de 0,91 à 1,13);
Que signifient l’étude Solidarity et les méta-analyses?
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Selon les investigateurs, les résultats peu prometteurs de l'étude Solidarity et des méta-analyses sapent l'espoir - fondé sur des études antérieures, non randomisées ou de petite taille - que le remdésivir, l’HCQ, le lopinavir et l'interféron bêta-1a aient un impact significatif sur la mortalité hospitalière, la nécessité d’une ventilation mécanique ou la durée d'hospitalisation chez les patients COVID-19 hospitalisés. Les investigateurs appellent toutefois à des recherches plus approfondies, en particulier sur le remdésivir, pour pouvoir mieux cerner la place limitée de ces médicaments, mais ils soulignent que ce dont on a surtout besoin, ce sont des traitements plus efficaces.
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Selon les auteurs de l'éditorial correspondant2, l'étude Solidarity, malgré certaines limites, et les autres études montrent clairement que ces 4 médicaments, tels qu’ils sont appliqués actuellement, ne devraient plus être considérés comme des options thérapeutiques utiles dans la COVID-19. Concernant le remdésivir, l’éditorial renvoie à la conclusion de l'étude ACTT-12 selon laquelle le remdésivir pourrait raccourcir le délai de rétablissement par rapport au placebo. Selon les auteurs, ces résultats méritent d'être approfondis par des études supplémentaires, plusieurs questions restant encore ouvertes (le remdésivir doit-il être réservé aux patients présentant certains facteurs de risque ?, à quel moment vaut-il mieux initier le remdésivir ?, doit-il être associé à d'autres médicaments ?...)
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Comme indiqué dans notre communiqué « Bon à savoir » du 03/12/20, l’OMS recommande de ne pas utiliser le remdésivir chez les patients atteints de COVID-19, quelle que soit la gravité de leur maladie (recommandation « conditionnelle », fondée sur des preuves de faible niveau). En s’appuyant sur cette recommandation de l'OMS, l'Agence européenne des médicaments (EMA) a décidé le 20 novembre5 d'évaluer les données de l'étude Solidarity et d'examiner s'il y a lieu de modifier l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle qui a été accordée au remdésivir (Veklury®) en juillet 2020, sur la base des résultats de l'étude ACTT-1.
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L'OMS mène une synthèse méthodique continue, ainsi qu’une méta-analyse en réseau, sur divers médicaments dans la COVID-19. Dans sa dernière mise à jour (incluse dans la recommandation de l'OMS sur le remdésivir, et présentée pour publication au BMJ), l’OMS conclut que, d’après les données actuelles, seuls les corticostéroïdes réduisent probablement le risque de décès et la nécessité d'une ventilation mécanique, chez les patients atteints de formes graves de COVID-19. Sur la base de ces données, l'OMS recommande d’utiliser des corticostéroïdes chez les patients atteints de formes graves de COVID-19 (recommandation forte), et recommande de ne pas les utiliser chez les patients atteints de formes non graves de COVID-19 (recommandation faible) [voir aussi le Brit Med J et notre communiqué « Bon à Savoir » dans les Folia de novembre 2020]. Deux organisations américaines ont elles aussi récemment mis à jour leurs recommandations sur le traitement des patients COVID-19 : il s’agit de l’Infectious Disease Society of America (IDSA) et des NIH (ces recommandations peuvent être consultées librement). Ces deux organisations émettent également une recommandation forte en faveur de la corticothérapie chez les patients COVID-19 hospitalisés gravement malades. Contrairement à l'OMS toutefois, ces deux organisations accordent une place limitée au remdésivir chez certains patients COVID-19 hospitalisés.
Note: pour tous nos articles relatifs aux médicaments dans la COVID-19: voir “Actualités COVID-19” sur notre site Web.
Sources spécifiques
1. WHO Solidarity Trial Consortium. Repurposed Antiviral Drugs for Covid-19 — Interim WHO Solidarity Trial Results. En ligne le 02/12/20. Doi: 10.1056/NEJMoa2023184 Pour le Supplementary Appendix, cliquer ici
2. Harrington DP, Baden LR en Hogan JW. A Large, Simple Trial Leading to Complex Questions. Editorial. En ligne le 02/12/20. Doi: 10.1056/NEJMe2034294
3. Beigel JH, Tomashek KM et al. (for the ACTT-1 Study Group Members) Remdesivir for the Treatment of Covid-19 — Final Report. N Engl J Med 2020;383:1813-26. DOI: 10.1056/NEJMoa2007764, avec éditorial (DOI: 10.1056/NEJMe2018715)
4. The RECOVERY Collaborative Group. Lopinavir–ritonavir in patients admitted to hospital with COVID-19 (RECOVERY): a randomised, controlled, open-label, platform trial. The Lancet 2020;396:1345-52 (Doi: https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)32013-4/fulltext)
5. Update on remdesivir - EMA will evaluate new data from Solidarity trial. site Web EMA, communiqué du 20/11/20
6. Rchwerg B, Agoritsas et al. Rapid Recommendations. A living WHO guideline on drugs for covid-19. BMJ 2020;370:m3379 (Doi: https://doi.org/10.1136/bmj.m3379)