- 6 à 8 semaines après le passage à la nouvelle formule chez
- les patients atteints de cancer de la thyroïde
- les patients avec maladie cardiovasculaire (insuffisance cardiaque ou coronarienne et/ou troubles du rythme)
- les enfants
- les personnes âgées
- toute personne pour qui l’équilibre thérapeutique a été particulièrement difficile à atteindre lors de l’initiation thérapeutique.
- 4 semaines après le passage à la nouvelle formule chez les femmes enceintes.
Avis du CBIP: La bioéquivalence moyenne ne suffit pas à rassurer quant à l’interchangeabilité entre l’ancienne et la nouvelle formule de la thyroxine. Il pourrait être prudent d’envisager d’élargir cette recommandation de suivi de la TSH à l’ensemble des patients concernés par le switch. Si des symptômes évoquant une hypo- ou une hyperthyroïdie apparaissent dans le décours du changement de formule, il faut dans tous les cas envisager la possibilité que ceux-ci ont été provoqués par ce changement.
À partir du 1er juin, une nouvelle formule de l’Euthyrox® (lévothyroxine de la firme Merck) sera disponible, l’ancienne formule disparaissant à cette même date. L’objectif de cette modification de formule est d’offrir une meilleure stabilité de la substance active durant toute la durée de conservation du produit. Le lactose, un excipient à effet notoire, a également été supprimé (remplacé par le mannitol). Des études de biodisponibilité ont démontré la bioéquivalence (on parle de bioéquivalence moyenne, voir plus loin) entre l’ancienne et la nouvelle formule.
Historique en France
En France, courant 2017, le passage à la nouvelle formule de cette même médication a donné lieu à un nombre exceptionnel de notifications d’effets indésirables. Une enquête mandatée par l’agence nationale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (ANSM)2 n’a pas démontré de risque différent à ce qui était attendu à priori (en terme de nature et gravité d’effets indésirables). Des déséquilibres thyroïdiens en lien avec le passage à la nouvelle formule ont pu être mis en évidence mais pas de façon systématique. Le rapport conclut donc à l’importance d’une bonne communication envers les patients et les prestataires de soins, et suggère une attention particulière aux catégories de patients à risque, dans le but de minimiser le risque de voir se développer à l’avenir un phénomène similaire de notifications exceptionnellement nombreuses. Un effet amplificateur lié aux médias a également été évoqué pour expliquer ce phénomène.
Le journal Le Monde est revenu récemment sur ces événements3 et mentionne un article d’opinion rédigé par un biostatisticien4 qui déplore que l’Agence Européenne des Médicaments (EMA), se contente de recommander des études de bioéquivalence moyennes (voir plus loin), menées dans une population saine, et que les autorités nationales de santé se contentent des résultats de ces études. Dans le cadre de modification de formulation de médicaments (SWITCH obligatoire), en particulier lorsque ceux-ci sont à marge thérapeutique-toxique étroite, certains auteurs tels que Concordet et ses collègues4 estiment que les cliniciens devraient pouvoir disposer d’études de bioéquivalence individuelles. Selon leur opinion, avec un médicament à marge thérapeutique-toxique étroite, les études de bioéquivalence moyenne ne garantissent pas, pour chaque individu soumis à ce produit dit "bioéquivalent", une concentration individuelle stable lui évitant de ressentir des effets liés à des perturbations de concentration. Concordet et ses collègues4 ont analysé les chiffres de l’étude de bioéquivalence rendus disponibles par l’ANSM. Ils montrent que plus de la moitié des sujets testés se situent en dehors des seuils de bioéquivalence prédéfinis pour la lévothyroxine, suggérant une interaction sujet/formulation, autrement dit: chaque patient réagit différemment à la modification de la formulation du médicament (autre excipient). Ils évoquent une possible influence osmotique du mannitol, choisi pour remplacer le lactose dans cette nouvelle formule.
- Une étude de bioéquivalence moyenne donne la garantie que la biodisponibilité des 2 produits est équivalente, sur des paramètres pharmacocinétiques (la Cmax et L’AUC). On utilise ce type d’études par exemple pour évaluer si un médicament générique est suffisamment similaire à la molécule originale. La bioéquivalence est établie dès lors que la biodisponibilité moyenne (la moyenne des paramètres pharmacocinétiques mesurés) des 2 produits est comparable et que le rapport entre ces moyennes reste en dedans de marges prédéfinies. Ces marges sont plus étroites lorsque la marge thérapeutique-toxique de la molécule est étroite elle-même [voir aussi Répertoire chapitre 6.5. et Folia février 2010]. La bioéquivalence signifie en principe également l'équivalence clinique, mais pour les médicaments à marge thérapeutique-toxique étroite, des variations faibles chez certaines personnes peuvent parfois faire en sorte que l’efficacité clinique ne soit pas équivalente. En effet, si la variabilité inter-individuelle reste confinée aux marges prédéfinies, même étroites, la variabilité intra-individuelle peut néanmoins rester suffisante pour donner lieu à des plaintes chez le patient.
- L’analyse des données issues de l’étude de bioéquivalence moyenne disponibles sur le site de l’ANSM montre que la variation intra-individuelle dans les paramètres pharmacocinétiques mesurés est en dehors des limites prédéfinies chez plus de la moitié des patients.
- On sait que le moment de la prise, et la prise d’autres médicaments ou d’aliments influencent l’effet de la lévothyroxine (on recommande la prise le matin, à jeun et sans autres médicaments, 30 minutes avant le repas pour cette raison). Le mannitol est un excipient osmotique qui pourrait éventuellement interférer dans l’absorption de la thyroxine.
Conclusion du CBIP
Nous avions déjà attiré l’attention sur ce le fait que le switch entre 2 produits à marge thérapeutique-toxique étroite (dont fait partie la lévothyroxine), même s’ils sont bio-équivalents, nécessitait une prudence accrue (voir Folia Juillet 2014).
En ce qui concerne le switch obligatoire vers une nouvelle formulation de la spécialité Euthyrox®, à la lumière de la publication de Concordet4, et des événements qui se sont présentés en France, le CBIP est d’avis qu’un contrôle encore plus systématique que ce qui est proposé dans le RMA serait peut-être prudent. Le CBIP estime qu’un contrôle TSH pourrait être envisagé chez tous les patients concernés par le switch, ou du moins, dans tous les cas, si des symptômes évoquant une hypo- ou une hyperthyroïdie apparaissent dans le décours du changement de formule, il est important d’envisager la possibilité que ceux-ci ont été provoqués par ce changement.
Sources spécifiques
1 Matériel RMA concernant la nouvelle formule d’Euthyrox® (levothyroxine) comprimés: suivi des patients au cours du changement de formule. https://www.afmps.be/sites/default/files/content/RMA/E/Euthyrox/euthyrox_hcp_fr.pdf
2 1.ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé). Point d’actualité sur le Levothyrox et les autres médicaments à base de lévothyroxine - Communiqué (11/10/2017)
https://ansm.sante.fr/S-informer/Communiques-Communiques-Points-presse/Point-d-actualite-sur-le-Levothyrox-et-les-autres-medicaments-a-base-de-levothyroxine-Communique/(language)/fre-FR
3 Le Monde. Levothyrox: l’exigence de la transparence. https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/04/05/levothyrox-l-exigence-de-la-transparence_5446160_3232.html
4 Concordet D, Gandia P, Montastruc JL, et al. Levothyrox® New and Old Formulations: Are they Switchable for Millions of Patients? Clin Pharmacokinet 2019. https://doi.org/10.1007/s40262-019-00747-3