Cette étude a comparé un traitement combiné de rivaroxaban et d’acide acétylsalicylique à l’acide acétylsalicylique en monothérapie dans la prévention cardio-vasculaire secondaire chez des patients à haut risque cardio-vasculaire. On a observé un bénéfice avec le traitement combiné sur un critère d’évaluation composé de mortalité cardio-vasculaire, infarctus aigu du myocarde et AVC. On a également constaté un taux de mortalité statistiquement significativement plus faible dans le groupe ayant reçu le traitement combiné. Ceci allait toutefois de pair avec une augmentation significative de l’incidence d’hémorragies majeures. L’étude a été menée dans une population fortement sélectionnée.
Depuis avril 2020, le rivaroxaban (Xarelto®) à 2,5 mg est également commercialisé en Belgique. Cette forme a d’autres indications que les doses supérieures disponibles depuis plus longtemps déjà. En association avec l’acide acétylsalicylique (AAS), le rivaroxaban à 2,5 mg a comme nouvelle indication la prévention de complications athérothrombotiques chez les adultes présentant une maladie coronarienne ou une maladie artérielle périphérique symptomatique à haut risque d’événements ischémiques (voir la remarque au bas du présent article concernant l’indication qui existait déjà pour le rivaroxaban à 2,5 mg). Cette nouvelle indication a été approuvée par l’EMA et la FDA sur la base des résultats de l’étude COMPASS1 de 2017.
L’étude COMPASS
Cette vaste étude (27.395 patients) randomisée, en double aveugle, sponsorisée par le fabricant de Xarelto®, menée chez des patients atteints d’une maladie coronarienne connue ou d’une maladie artérielle périphérique symptomatique, a comparé l’AAS en monothérapie (100 mg/j ; le traitement standard pour la prévention cardio-vasculaire secondaire) à l’association AAS (100 mg/j) + rivaroxaban (2,5 mg 2 x/j) et au rivaroxaban en monothérapie (5 mg 2 x/j)1.
Critères d’inclusion:
- Patients atteints d’une maladie coronarienne:
- infarctus du myocarde au cours des 20 dernières années
- angor stable ou instable, sur la base d’une atteinte documentée de plusieurs artères coronaires
- pose d’endoprothèse (stent) au niveau de plusieurs artères coronaires
- pontage au niveau de plusieurs artères coronaires
- si âgés de moins de 65 ans:
- + athérosclérose documentée d’un deuxième lit vasculaire en plus des coronaires OU
- + 2 facteurs de risque supplémentaires (tabagisme, diabète, insuffisance rénale modérée ou sévère, insuffisance cardiaque, AVC ischémique datant de plus d’un mois)
- Patients atteints d’une maladie artérielle périphérique:
- chirurgie vasculaire (pontage ou pose d’endoprothèse) au niveau des membres inférieurs
- amputation d’un membre inférieur ou d’un pied en raison d’une arthériopathie
- claudication intermittente (index cheville-bras < 0,90 ou sténose de plus de 50% en imagerie)
- antécédents de revascularisation au niveau des carotides ou sténose asymptomatique des carotides de plus de 50% à l’imagerie
L’étude a été interrompue prématurément parce que la première analyse intérimaire planifiée (après 50% du nombre d’évènements prévu) révélait un bénéfice statistiquement significatif sur le critère d’évaluation primaire avec le traitement combiné, par rapport à l’AAS en monothérapie. L’incidence du critère d’évaluation primaire (critère d’évaluation composé de mortalité cardio-vasculaire, infarctus aigu du myocarde et AVC) était statistiquement significativement plus faible dans le groupe ayant reçu l’AAS + rivaroxaban que dans le groupe ayant reçu l’AAS en monothérapie (NST: 77 après un suivi moyen de 23 mois). Le taux de mortalité (critère d’évaluation secondaire) était également plus faible, de manière statistiquement significative, dans le groupe ayant reçu l’AAS + rivaroxaban, par rapport au groupe n’ayant reçu que de l’AAS (NST sur 23 mois: 143). L'incidence des hémorragies majeures (hémorragies fatales, hémorragies symptomatiques concernant des organes critiques, hémorragies postopératoires entraînant une réopération et hémorragies nécessitant une hospitalisation) avait toutefois augmenté de manière significative avec le traitement combiné (NNN sur 23 mois: 83).
Dans le sous-groupe des plus de 75 ans, on n’a pas observé de différence significative entre le traitement combiné et l’AAS en monothérapie sur le critère d’évaluation primaire, mais on a observé une augmentation plus importante du risque hémorragique que dans les sous-groupes plus jeunes. Plus de 90% des patients dans l'étude COMPASS étaient atteints d'une maladie coronarienne, un peu moins de 10% seulement présentaient une maladie artérielle périphérique sans maladie coronarienne. Dans ce dernier groupe, le traitement combiné n’était associé à aucun bénéfice par rapport à la monothérapie à l'AAS en ce qui concerne le critère d'évaluation primaire.
Dans le groupe ayant reçu la forte dose de rivaroxaban (5 mg 2 x/j) en monothérapie, l’incidence du critère d’évaluation primaire ne différait pas significativement de celle du groupe ayant reçu l’AAS en monothérapie, mais il y avait une augmentation significative du risque d’hémorragies.
Commentaire du CBIP
L’étude COMPASS a été menée auprès d’une population hautement sélectionnée présentant un risque très fortement accru de nouveaux évènements cardio-vasculaires ischémiques et les résultats ne peuvent donc pas être simplement extrapolés à tous les patients utilisant l’AAS en prévention cardio-vasculaire secondaire. Les bénéfices de l’association AAS + rivaroxaban par rapport à l’AAS en monothérapie, en termes de morbidité cardio-vasculaire, sont en grande partie annulés par l’augmentation du risque d’hémorragies. Le bénéfice limité de l’association en termes de mortalité est considéré par l’EMA comme insuffisamment prouvé. En effet, lorsqu’une étude est interrompue prématurément sur la base d’analyses intérimaires concernant le critère d’évaluation primaire, aucune allégation ne peut être faite sur les critères d’évaluation secondaires2,3. Il est regrettable que l’étude ait été interrompue prématurément, car cela conduit souvent à une surestimation du bénéfice lié au traitement expérimental.
Dans une autre étude menée chez des patients à très haut risque cardio-vasculaire (patients atteints d’une maladie coronarienne connue et dont l’insuffisance cardiaque chronique s’était récemment détériorée (population partiellement exclue de l’étude COMPASS)), un traitement combiné identique n’a été associé à aucun bénéfice sur le même critère d’évaluation primaire composite, par rapport à l’AAS en monothérapie4.
Le coût élevé du rivaroxaban doit également être pris en considération: aux États-Unis, le coût par évènement évité est estimé à 1 million de dollars5 (le prix du rivaroxaban en Belgique ne représente toutefois qu’un cinquième du prix en Amérique; converti en fonction de la situation belge, le coût reviendrait à 180.000 € par évènement évité).
Dans la plupart des commentaires critiques, on considère que le traitement combiné n’est "à envisager" que chez un nombre limité de patients2 (pas chez les personnes de plus de 75 ans, pas chez les patients présentant seulement une maladie artérielle périphérique, uniquement en cas de faible risque hémorragique) ou uniquement dans le cadre des critères d’inclusion stricts de l’étude5,6 voire même à ne pas envisager du tout7. Le CBIP ne voit actuellement aucune place pour l’ajout systématique de rivaroxaban à un traitement par AAS en prévention cardio-vasculaire secondaire. Chez les jeunes patients à haut risque, il pourrait y avoir une place limitée, moyennant une évaluation rigoureuse du rapport bénéfice/risque. Le remboursement par l’INAMI (en catégorie B, avec contrôle a priori) est réservé aux patients présentant une maladie coronarienne dans le cadre des critères d’inclusion stricts de l’étude; pour les patients présentant seulement une maladie artérielle périphérique, la demande de remboursement a été refusée.
Nota bene: Indication qui existait déjà pour le rivaroxaban à 2,5 mg
Dans plusieurs pays européens, mais pas en Belgique, cette faible dose de rivaroxaban a déjà été commercialisée il y a quelques années, avec comme indication la prévention des événements athérothrombotiques chez les patients adultes suite à un syndrome coronarien aigu (SCA) avec élévation des biomarqueurs cardiaques. Cette indication a été approuvée par l’EMA sur la base de l’étude ATLAS ACS 2-TIMI 51 (et figure donc déjà dans le RCP européen approuvé), mais a été rejetée par la FDA en raison des graves lacunes méthodologiques de cette étude et des grandes incertitudes au sujet du rapport coût/bénéfice2.
Suite à la commercialisation en Belgique du rivaroxaban à 2,5 mg, cette indication apparaît également dans le nouveau RCP belge. Parmi ces patients (ayant présenté un syndrome coronarien aigu), un remboursement est uniquement prévu pour ceux qui répondent aux critères de remboursement pour la prévention secondaire des maladies coronariennes (= critères d’inclusion de l’étude COMPASS).
Sources spécifiques
1 Eikelboom JW, Conolly SJ, Bosch J, Dagenais GR, Hart RG et al. Rivaroxaban with or without aspirin in stable cardiovascular disease. N Engl J Med 2017;377:1319-30. doi: 10.1056/NEJMoa1709118
2 Arznei-telegramm. Neue Indikation – Rivaroxaban (Xarelto) bei stabiler KHK und PAVK. A-t 2018:49:75-6.
3 EMA. Assessment report Xarelto. 26 July 2018. Via: https://www.ema.europa.eu/en/documents/variation-report/xarelto-h-c-944-ii-0058-epar-assessment-report-variation_en.pdf
4 Zannad F, Anker SD, Byra WM, Cleland JGF, Fu M et al. Rivaroxaban in patients with heart failure, sinus rhythm, and coronary disease. N Engl J Med 2018;379:1332-42. doi: 10.1056/NEJMoa1808848
5 Brett AS, Fleischmann KE. New indication for rivaroxaban: what are the tradeoffs. NEJM JWatch November 1, 2018. Via: https://www.jwatch.org/na47850/2018/11/01/new-indication-rivaroxaban-what-are-tradeoffs
6 National Institute for Health and Care Excellence (NICE). Rivaroxaban for preventing atherothrombotic events in people with coronary or peripheral artery disease. NICE Technology appraisal guidance 607, 17 October 2019. https://www.nice.org.uk/guidance/ta607
7 Rédaction Prescrire. Angor stable et antithrombotique. Ajout de rivaroxaban à l’aspirine: bénéfice incertain, risques avérés. Rev Prescr 2018;38:771-2.