Place des antidépresseurs dans la prise en charge de la dépression en première ligne chez l’adulte
Abstract |
Cet article discute de la place des antidépresseurs dans la prise en charge de la dépression en première ligne chez l’adulte. Plusieurs directives, articles et commentaires ont en effet été publiés ces derniers mois. Il est important, également en première ligne, de distinguer les formes plus graves de dépression des formes moins graves, en évaluant p. ex. le risque de suicide. Ceci a en effet des implications importantes dans la décision d’opter pour un traitement en deuxième ligne. La décision de traiter un patient dépressif en première ligne, n’implique pas de prescrire systématiquement un antidépresseur. Lorsque l’on décide de prescrire quand même un antidépresseur, il faut faire un choix entre un antidépresseur tricyclique (ou apparenté), et un ISRS. Il n’est pas prouvé que l’efficacité des différents antidépresseurs soit significativement différente; le choix se fera dès lors surtout en fonction des contre-indications, d’une co-morbidité, des expériences antérieures avec des antidépresseurs, des effets indésirables et des interactions, du coût et de la préférence du patient.
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Une humeur sombre, dépressive est souvent une réaction normale à une déception ou à une perte; l’humeur dépressive est alors souvent passagère et ne nécessite le plus souvent pas de traitement spécifique. Une telle humeur dépressive doit être différenciée d’un trouble dépressif (appelé "major depression"). Le diagnostic d’un trouble dépressif peut être posé sur base des critères DSM-IV, complétés par des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux chez le patient: en fonction du nombre de symptômes, une distinction est faite entre une dépression subclinique, une dépression légère, une dépression modérée et une dépression grave.
Avant de décider d’instaurer un traitement (médicamenteux ou non médicamenteux) en première ligne, il est important de connaître l’efficacité et les risques des différentes options thérapeutiques. Cet article attire l’attention sur la place des antidépresseurs, ainsi que sur le choix de l’antidépresseur. L’emploi d’antidépresseurs chez les enfants et adolescents atteints de dépression a déjà été discuté de manière détaillée dans les
Folia de décembre 2004 .
Il est important, également en première ligne, de faire une distinction entre les formes plus graves de dépression et les formes moins graves; l’évaluation du risque de suicide, la présence de symptômes psychotiques, et l’existence d’un trouble bipolaire par exemple ont ici leur importance. Cette évaluation a en effet des implications importantes dans la décision d’opter pour un traitement en deuxième ligne; la décision de traiter un patient dépressif en première ligne n’implique pas de prescrire systématiquement un antidépresseur.
- Les études cliniques sur les antidépresseurs n’apportent pas les preuves souhaitées d’efficacité.
- Les études cliniques sur les antidépresseurs réalisées en première ligne sont rares. Celles dont on dispose ont souvent été sponsorisées par la firme pharmaceutique responsable, et il y a des raisons de croire que pour les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), il existe des biais de publication (c.-à.-d. que les études qui montrent un effet favorable de l’antidépresseur ont plus de chance d’être publiées que celles qui ne montrent pas d’effet ou qui montrent un effet défavorable).
- Etant donné les effets indésirables caractéristiques des antidépresseurs des différentes classes (voir plus loin), il est difficile de réaliser des études en aveugle.
- Dans la plupart des études cliniques, les modifications de certains symptômes sont évaluées, p. ex. à l’aide de l’échelle d’Hamilton. Dans plusieurs études, une modification du score des symptômes a été observée avec des antidépresseurs, mais la signification clinique des modifications parfois légères sur de telles échelles peut être mise en doute; de plus, on ne sait souvent pas très bien si les modifications du score des symptômes sont dues à un effet sur l’humeur ou plutôt à autre effet, p. ex. sur la qualité du sommeil. En outre, l’effet placebo dans les études est élevé.
- Des méta-analyses d’études contrôlées ne montrent pas une incidence moindre de suicides ou de tendances suicidaires chez des patients traités par un antidépresseur par rapport au placebo. Au contraire, il est suggéré que les antidépresseurs augmenteraient le risque de tendances suicidaires (voir plus loin). L’effet du traitement sur le fonctionnement social ou sur la qualité de vie a rarement été étudié.
- Les plupart des études cliniques sur les antidépresseurs sont de courte durée (moins de 8 semaines). Un traitement par antidépresseurs diminue le risque de récidive à court terme, mais il n’est pas clairement prouvé dans quelle mesure les antidépresseurs influencent le pronostic à long terme.
- Les études cliniques incluent rarement des patients atteints de dépression légère. Ce sont cependant surtout ces patients-là qui consultent en première ligne.
- Il est apparu dans certaines études que parmi les patients qui consultent en première ligne, beaucoup n’ont pas de préférence pour un traitement médicamenteux, mais plutôt pour l’une ou l’autre forme de psychothérapie (thérapie basée sur le dialogue, thérapie comportementale cognitive).
- Il semble aussi que l’observance thérapeutique lors d’un traitement par antidépresseurs soit faible, et qu’environ la moitié des patients arrêtent celui-ci dans les trois mois. Il faut aussi tenir compte de l’évolution naturelle de la dépression: avec ou sans traitement, 50 % des patients se rétablissent dans les trois mois, tandis que 20 % présentent une évolution plus ou moins chronique (avec des symptômes de dépression pratiquement continus pendant au moins deux ans).
- Il faut également tenir compte des effets indésirables possibles et des interactions des antidépresseurs (voir plus loin).
Les recommandations du National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE), du Kwaliteitsinstituut voor de Gezondheidszorg CBO, et du Nederlands Huisartsen Genootschap s’accordent à dire que chez des patients présentant un premier épisode de dépression légère, un traitement médicamenteux ne doit pas être instauré systématiquement, sauf lorsque les plaintes persistent depuis plusieurs mois. Une psychothérapie sous l’une ou l’autre forme est toutefois recommandée. [N.d.l.r.: il faut cependant remarquer qu’une psychothérapie plus spécialisée est peu accessible en pratique: souvent trop chère ou avec de trop longues listes d’attente. A ce sujet, il serait utile que les médecins traitants se forment par exemple à une thérapie cognitive comportementale, dans le but de faciliter l’accès à un traitement non médicamenteux]. Il est aussi important de revoir régulièrement les patients afin de juger si leur état s’aggrave, et si les plaintes deviennent chroniques. Pour les patients atteints d’une dépression légère chez qui les plaintes persistent depuis plusieurs mois, et pour ceux avec une dépression modérée à grave, il est recommandé d’instaurer immédiatement un traitement, médicamenteux ou non.
Lorsque l’on décide de prescrire un antidépresseur, la question se pose de savoir quel est le médicament de premier choix: un antidépresseur tricyclique ou apparenté, ou un ISRS. L’efficacité, les effets indésirables et les interactions ainsi que le coût interviennent dans ce choix.
- En ce qui concerne l’efficacité, celle-ci diffère peu dans les études réalisées en première ligne. Le nombre de patients inclus dans les études est par ailleurs souvent trop restreint pour pouvoir mettre en évidence de faibles différences.
- En ce qui concerne les effets indésirables, une meilleure tolérance a été observée dans un certain nombre d’études et dans des études systématiques ou des méta-analyses avec les ISRS par rapport aux antidépresseurs tricycliques. On ignore toutefois si ces différences sont significatives dans la pratique. De plus, il a été suggéré que les différences d’effets indésirables entre les antidépresseurs tricycliques et les ISRS ne portent pas tant sur leur fréquence ou leur gravité que sur la nature de ceux-ci. Les effets indésirables plus fréquemment rencontrés avec les antidépresseurs tricycliques sont des effets anticholinergiques tels constipation, sécheresse de la bouche, troubles de la vision et sudation; avec les ISRS, des effets indésirables gastro-intestinaux (nausées, diarrhée ) et des effets centraux (p. ex. anxiété, agitation, insomnie, céphalées) sont plus fréquemment rapportés. [Voir aussi Répertoire Commenté des Médicaments, édition 2005, p. 175, chapitre 6.3.1. en ce qui concerne les effets indésirables et les interactions des antidépresseurs]. Un des arguments pour recommander un ISRS comme premier choix est que lors d’un surdosage, les antidépresseurs tricycliques sont beaucoup plus cardiotoxiques que les ISRS, et donc beaucoup plus souvent mortels. Il faut toutefois tenir compte avec les ISRS du syndrome sérotoninergique qui peut être grave, certainement en cas de prise d’une dose très élevée, et lors de l’utilisation concomitante d’autres médicaments à effet sérotoninergique. Ces derniers temps, on a beaucoup attiré l’attention sur le fait que les antidépresseurs pouvaient induire ou augmenter les tendances suicidaires chez certains patients.
- En ce qui concerne les enfants et les adolescents, il a été démontré ces dernières années que certains antidépresseurs augmentent le risque de tendances suicidaires, mais on estime que ce risque ne peut être exclu pour aucun antidépresseur (ISRS, antidépresseur tricyclique ou autre) [voir
Folia de janvier 2004 et de
décembre 2004 ,et
communiqué du 27 avril 2005 dans la rubrique "Bon à savoir" sur notre site web].
- Quant aux adultes, la discussion portait auparavant surtout sur un risque accru de tendances suicidaires avec la fluoxétine; plusieurs communiqués ont toutefois été publiés récemment concernant un même risque avec la paroxétine [voir
communiqué du 23 août 2005 dans la rubrique "Bon à savoir" sur notre site web]. Les données sur le risque de tendances suicidaires et de tentatives de suicide par des antidépresseurs chez les adultes ne permettent pas pour le moment de tirer des conclusions, mais un risque accru ne peut être exclu pour aucun antidépresseur [
Brit Med J 2004; 329: 34-8
Brit Med J 2005; 330: 373-4 ,
Brit Med J : 385-8 ,
Brit Med J : 389-93 et
Brit Med J : 396-9 ; voir aussi à ce sujet
Minerva 2006; 5: 18-21 ].
- En ce qui concerne le coût, les antidépresseurs commercialisés plus récemment sont plus chers que les antidépresseurs commercialisés depuis longtemps, certainement lorsqu’il n’existe pas encore de générique ou de copie.
Les directives diffèrent entre elles en ce qui concerne le médicament de premier choix dans la dépression. Dans les recommandations de NICE, un ISRS est proposé comme premier choix; les raisons avancées sont qu’ils sont aussi efficaces que les antidépresseurs tricycliques, tout en étant moins souvent arrêtés pour cause d’effets indésirables; cette prise de position peut toutefois être critiquée (voir ci-dessus). Dans les recommandations du Kwaliteitsinstituut voor de Gezondheidszorg CBO aux Pays-Bas et de la Nederlands Huisartsen Genootschap, le choix est laissé en première ligne entre un ISRS et un antidépresseur tricyclique ou apparenté, en fonction de la présence de contre-indications, d’une co-morbidité, des effets indésirables et des interactions, des expériences antérieures, du coût et de la préférence du patient.
Dans les
Folia de janvier 2000 , l’attention a été attirée sur la durée d’un traitement par antidépresseurs, et sur l’arrêt de celui-ci.
Pour le traitement d’un épisode aigu, il est recommandé d’attendre au moins 4 à 6 semaines avant d’évaluer l’effet thérapeutique. On s’accorde à dire que, chez les patients dépressifs qui répondent favorablement au traitement de l’épisode aigu, l’antidépresseur doit être poursuivi pendant environ six mois: ceci diminue de moitié le risque de récidive. Il est conseillé de maintenir la dose qui était utilisée lors de la phase aiguë.
Chez des patients atteints de dépression grave récidivante, et en fonction du nombre d’épisodes de dépression antérieurs, un traitement d’entretien pendant 1 à 5 ans peut être envisagé; on ne dispose cependant pas de preuves scientifiques sur les indications spécifiques et la durée de celui-ci.
L’arrêt du traitement doit se faire de préférence de manière progressive, sur une période d’au moins 6 à 8 semaines après un traitement prolongé. En effet, des symptômes tels troubles du sommeil, troubles gastro-intestinaux et syndrome grippal ont été rapportés, surtout lors d’un arrêt brutal ou trop rapide. Après l’arrêt du traitement, il faut rester attentif à d’éventuelles récidives de la dépression.
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