Interaction possible entre les inhibiteurs de la pompe à protons et le clopidogrel: état de la question


Abstract

Il a été suggéré sur base d’études d’observation que le clopidogrel pourrait être moins efficace chez les patients traités concomitamment par un inhibiteur de la pompe à protons (IPP), et plusieurs études mesurant la réactivité plaquettaire ont montré une diminution de l’effet antiagrégant du clopidogrel, mesuré ex vivo, chez les patients traités par un IPP. Deux études cliniques récentes n’apportent toutefois pas de preuves d’un impact de cette interaction sur la survenue d’événements cardio-vasculaires. Bien que ces données paraissent rassurantes, la FDA recommande toujours la prudence dans l’attente de données complémentaires.

Dans les Folia de juillet 2009 , l’attention a déjà été attirée sur le risque possible d’une interaction entre les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) et le clopidogrel. Le clopidogrel est une prodrogue qui doit être métabolisée entre autres par le CYP2C19 en son métabolite actif. L’interaction entre le clopidogrel et les IPP pourrait s’expliquer entre autres par l’inhibition du CYP2C19 par les IPP. Cette interaction potentielle a suscité un certain nombre de commentaires et de questions, notamment en ce qui concerne l’impact clinique éventuel de cette interaction et la possibilité d’un effet de classe des IPP.


Quelles sont les données disponibles à ce jour ?

Deux études de cohorte rétrospectives, réalisées chez des patients traités par le clopidogrel en raison d’un syndrome coronarien ou de la mise en place d’un stent, ont suggéré un risque accru d’événements cardio-vasculaires chez les patients qui prenaient également un IPP par rapport aux patients traités uniquement par le clopidogrel [voir Folia de juillet 2009 ].

Plusieurs études mesurant la réactivité plaquettaire ont également montré une diminution significative de l’effet antiagrégant du clopidogrel, mesuré ex vivo, chez les patients traités par l’oméprazole.

Bien que ces données suggèrent que le clopidogrel serait moins efficace chez les patients traités concomitamment par un IPP, et ont conduit la Food and Drug Administration (FDA) américaine et l’Agence européenne des médicaments (EMEA) à émettre des avertissements au sujet de ce risque potentiel, des études cliniques complémentaires s’avèrent nécessaires pour confirmer cet effet.

Une étude récente (Triton-Timi 38) a évalué l’impact d’un traitement par un IPP sur les événements cardio-vasculaires chez des patients traités par une thiénopyridine à la suite d’une angioplastie coronarienne percutanée pour un syndrome coronarien aigu [ Lancet 2009; 374: 989-97 ]. Les patients étaient traités de façon randomisée soit par le clopidogrel, soit par le prasugrel (une autre thiénopyridine enregistrée mais non encore commercialisée en Belgique). L’administration de l’IPP n’était cependant pas randomisée et était laissée au choix du médecin (oméprazole, pantoprazole, ésoméprazole, lansoprazole). Les résultats montrent que l’utilisation concomitante d’un IPP quel qu’il soit n’a pas entraîné d’augmentation de l’incidence des événements cardio-vasculaires (mortalité cardio-vasculaire, infarctus du myocarde et accidents vasculaires cérébraux) tant chez les patients traités par le clopidogrel (risque relatif 0,98 intervalle de confiance à 95% 0,84 à 1,14) que chez ceux traités par le prasugrel (risque relatif 1,05 intervalle de confiance à 95% 0,89 à 1,23).

Une autre étude récente (l’étude Cogent, non encore publiée) réalisée auprès de patients traités soit par une association fixe de clopidogrel et d’oméprazole, soit par le clopidogrel seul, n’a pas non plus révélé d’augmentation du risque d’événements cardio-vasculaires chez les patients traités par l’association. Cette étude a cependant été interrompue prématurément (pour des raisons commerciales) après un suivi de 133 jours en moyenne (au lieu des 362 jours initialement prévus), et on peut se demander si le pouvoir statistique de cette étude est suffisant pour pouvoir évaluer l’effet éventuel de cette association sur les événements cardio-vasculaires.


Effet de classe ?

Par ailleurs, on peut se demander si cette interaction, observée surtout avec l’oméprazole, est un effet de classe des IPP. Comme l’oméprazole, les autres IPP peuvent également inhiber le CYP2C19, mais de façon variable. Une interaction pharmacocinétique avec le clopidogrel ne peut dès lors en principe être exclue pour aucun d’entre eux. Dans une étude randomisée prospective récente, l’effet antiagrégant du clopidogrel, mesuré ex vivo, était significativement plus faible chez les patients traités par l’oméprazole que chez les patients traités par le pantoprazole [ J Am Coll Cardiol 2009; 54: 1149-53 ]. On ne dispose actuellement pas de données comparatives entre les différents IPP en ce qui concerne des critères d’évaluation cliniques chez les patients traités par le clopidogrel.


Conclusion

Les résultats de ces études cliniques récentes n’apportent pas de preuves que l’interaction entre le clopidogrel et l’oméprazole ait un impact sur l’incidence des événements cardio-vasculaires. Bien que ces données cliniques paraissent rassurantes, il convient néanmoins de les interpréter avec prudence vu les limites de ces études. Il paraît prudent de rester attentif aux interactions pharmacocinétiques et pharmacodynamiques, notamment chez les patients nécessitant un effet antiagrégant optimal ainsi que chez les patients polymédiqués. La FDA a d’ailleurs publié récemment un nouvel avertissement en ce qui concerne l’interaction possible entre le clopidogrel et l’oméprazole [via www.fda.gov/drugs (communiqué du 17/11/2009)]. Dans l’attente de données complémentaires, la FDA recommande d’éviter autant que possible l’utilisation concomitante de clopidogrel et d’oméprazole ainsi que d’autres inhibiteurs puissants du CYP2C19 (y compris l’ésoméprazole, la cimétidine). Le lansoprazole est également un inhibiteur puissant du CYP2C19 et son utilisation concomitante avec le clopidogrel doit aussi être évitée. Selon la FDA, les données actuellement disponibles ne permettent pas de formuler des recommandations spécifiques pour les autres IPP. Lorsqu’un traitement diminuant l’acidité gastrique s’avère nécessaire chez un patient sous clopidogrel, il est préférable, toujours selon la FDA, d’opter pour un antihistaminique H2 tel que la ranitidine (pas la cimétidine) ou pour un antacide.